Tendance venue d’outre-Atlantique, le yoga version junior fait de plus en plus parler de lui chez nous également. Boostant l’épanouissement des plus jeunes et même, semble-t-il, leurs capacités d’apprentissage, la discipline s’immisce aussi en milieu scolaire. Reportage.

Ils sont assis en tailleur dans la salle de sports de l’école communale d’Ittre, en Brabant wallon. Douze petites têtes blondes, âgées de 6 à 8 ans, les yeux tournés vers Catherine Blondiau qui, d’une voix douce, leur annonce le programme de la séance de yoga. Une comptine, avec automassages à la clé, et les mômes, qui suivent l’activité une fois par semaine, en extrascolaire, sont prêts pour les premières postures.  » On va faire la Montagne, vous devez être solides comme elle « , annonce l’animatrice qui organise de nombreux ateliers et stages un peu partout en Wallonie et à Bruxelles (1). Un gamin lance, fanfaron :  » Moi, je suis tout mou !  » Petit rire étouffé de l’assemblée mais le calme, olympien malgré le public très jeune, revient vite. On passe à la Salutation au soleil, puis au Bûcheron.  » On plante un pied au sol, on prend sa hache et… aaaaaaaaaaah, on l’abat vers le sol ! « , conseille la prof avant de corriger une fillette qui reste trop timide dans son cri :  » N’oublie pas que le son doit sortir de ton ventre car quand on est énervé, c’est là que ça se noue !  » Le groupe se rassied et chacun prend une plume. L’objectif : travailler la respiration en soufflant sur celle-ci, puis en regardant, yeux écarquillés, les filaments qui s’agitent. Les élèves placent ensuite le duvet sur leur tête et tentent une position de l’Arbre, debout sur un pied, bras en l’air joints vers le ciel, sans se casser la figure… Certains sautillent, d’autres se figent, très sérieux, comme des pros.

Les exercices s’enchaînent jusqu’à la relaxation finale. Les participants s’étendent sur leur natte et madame Catherine, comme ils l’appellent, leur intime de  » garder les mots dans la bouche pour quelques instants « . Elle passe près de chaque paire d’oreilles avec un petit instrument qui tinte puis le cours s’achève. Le niveau sonore remonte illico de trois crans, la vie active reprend.  » Je me sens à l’aise et j’aime bien refaire tout ça chez moi pour me détendre avant d’aller au lit « , lâche Valentine.  » Moi, je suis un peu fatiguée après le cours « , constate Maelys.  » Quand je m’énerve très fort, j’utilise ce que j’ai appris ici pour respirer « , renchérit Lisa.

Le groupe des 8-12 ans prend le relais sur les tapis de gym.  » Lorsque je me dispute avec une amie, je mets en application ce que j’ai vu avec Catherine pour passer au-dessus « , énonce d’entrée de jeu Emma.  » C’est bien utile pour mon mal de dos « , ajoute Youri… Le silence se fait, le cours des plus grands commence, bercé par les phrases posées de la coach.  » Le yoga, c’est un chemin de vie. On a coutume de dire qu’on peut commencer à le pratiquer dès qu’on sait porter la nourriture à la bouche, explique la spécialiste, qui a décidé, il y a quelques années, de partager sa passion avec les kids. L’idée est de laisser les gosses grandir comme ils sont, tout en essayant de leur faire comprendre ce qu’ils ressentent et en les aidant à mieux connaître leur corps.  » Cette philosophie implique par ailleurs une notion de relation avec les autres, le but étant d’installer l’harmonie dans le groupe, sur une base non violente.

L’AMUSEMENT D’ABORD

Généralement, on estime donc que l’on peut appréhender cette activité dès 2 ou 3 ans, l’enjeu étant de captiver ces apprentis par définition plutôt distraits, voire indisciplinés.  » Tout doit être prétexte au jeu, insiste celle qui signe aussi un livre sur le sujet, Yoga pour les enfants et synergies d’huiles essentielles(*). Certains aiment compter, d’autres préfèrent les histoires. J’utilise beaucoup d’accessoires et de chansons, comme  » Ainsi font, font, font, trois respirations, c’est tellement bon…  » C’est un mini-rituel facile à intégrer dès le début des maternelles, pour se calmer à la fin de la récréation par exemple. Travailler la respiration est crucial, car c’est un outil qu’on a toujours avec soi !  »

Mais au fond, pourquoi s’initier si tôt aux chandelles, cobras et autres chiens tête en bas ?  » Vu leur rythme de vie, le stress lié aux contraintes de temps, l’angoisse qu’ils peuvent ressentir à l’école, les petits peuvent trouver dans cette discipline une manière de gérer leurs émotions. Le corps étant la première maison, il faut s’en occuper « , souligne Catherine Blondiau. Le Groupe de Recherche sur le Yoga dans l’éducation (RYE) (2) va même plus loin. Selon Catherine Nozeret, la présidente belge de cette institution née en France il y a plus de trente ans déjà et qui propose des formations pour les enseignants entre autres :  » La neuropédagogie a montré que pour pouvoir apprendre, il faut d’abord être détendu. De ce fait, cette pratique contribue non seulement à faciliter les apprentissages des élèves, leur capacité de concentration… mais aussi à améliorer la qualité de vie des adultes qui s’en occupent.  » L’association suggère donc d’introduire, en classe, de courtes interventions d’initiation de 5 à 10 minutes, les gosses étant soit assis devant leur banc, soit debout derrière leur chaise.  » Nous ne démarchons pas directement les écoles, poursuit la présidente. Ce sont les professeurs qui viennent durant leur temps libre se former et nous avons de plus en plus de demandes. Cela dit, j’insiste sur le fait que l’enseignement du yoga ne s’improvise pas, car il faut avoir le bagage pour s’adapter au public et toucher la graine de paix que chacun a en soi. Si on met bout à bout diverses postures sympas, ça ne marche pas et on peut même se faire mal ! Certes les bambins auront l’impression de s’amuser, comme à un goûter d’anniversaire, mais l’objectif ne sera pas atteint.  » Convaincue que sa passion pourrait être véritablement intégrée au programme scolaire, comme la gym ou la musique, la responsable du RYE encourage néanmoins les instituteurs à mettre l’accent sur l’aspect  » laïque et sans spiritualité  » de ces notions dispensées en classe.

UNE INTELLIGENCE INTUITIVE

En parallèle de ces pratiques inspirées de la philosophie indienne, ou en complément, certains experts en bien-être prônent la méditation dès le bac à sable.  » Nous associons volontiers l’enfance à l’insouciance, mais cette dernière est une intelligence intuitive : celle de vivre intensément l’instant présent, constate Eline Snel dans la préface de son bouquin Calme et attentif comme une grenouille(*), qui donne un mode d’emploi aux parents pour aborder la méditation avec leur marmaille. Les enfants disposent ainsi, de manière naturelle, de belles capacités spontanées de pleine conscience, qui contribuent à rendre leurs existences plus légères et plus heureuses que les nôtres.  » Si la notion de pleine conscience est parfois bien difficile à définir, l’auteure entend ici  » cette aptitude de notre esprit à se tourner vers ce qui est là, ici et maintenant  » et estime qu’avec le temps les mouflets perdent cette capacité originelle en apprenant à anticiper, à revenir sur le passé, etc. C’est pourquoi, la thérapeute invite à la pratique de la méditation dès l’âge de 5 ans. Elle se souvient ainsi des problèmes qu’avait sa fille à cet âge-là pour s’endormir.  » Finalement, j’ai trouvé une solution, raconte-t-elle. Il suffisait qu’elle écoute moins les ruminations dans sa tête et qu’elle fasse descendre son attention, lentement, jusqu’à son ventre. Elle devait essayer encore et encore, jusqu’à ce qu’elle finisse par se calmer. Dans le ventre, il n’y a pas d’idées. Là se trouve la respiration qui, comme une houle douce, bouge constamment. Un mouvement apaisant qui la berçait en l’endormant.  » Aujourd’hui, la gamine est devenue adulte mais utilise encore souvent cet exercice. Au-delà de ces problèmes d’insomnie, Eline Snel conseille ces techniques pour tout môme  » qui souhaite s’accepter tel qu’il est et avoir confiance en lui « . Et d’aller plus loin en suggérant les bienfaits de la méthode pour les hyperactifs, dyslexiques… bien que ce ne soient évidemment pas des remèdes miracles :  » Néanmoins, elle leur permet d’apprendre à gérer autrement les troubles ou les problèmes qui les perturbent, comme les orages dans la tête, l’impulsion à toujours bouger ou à faire immédiatement ce qui vient à l’esprit.  »

De leur côté, Sandrine Deplus et Magali Lahaye, auteures d’un livre sur la pleine conscience (lire par ailleurs), nuancent un peu cette notion et l’âge pour l’aborder :  » Il s’agit en réalité d’une conscience réflexive de soi : nous nous observons nous-mêmes en train de vivre une expérience. Les 5 à 8 ans commencent certes à réaliser l’existence des pensées, et le fait qu’elles peuvent occuper l’esprit même si elles ne sont pas bienvenues. Mais bien qu’ils puissent être importunés par ces dernières, ils ont encore des difficultés à rapporter ces pensées intrusives et à les contrôler. C’est pourquoi nous proposons la pleine conscience à partir d’environ 7 ans. Pour les plus jeunes, nous abordons des exercices d’attention au corps. Nous pouvons également aider à l’identification des émotions, mais nous ne parlerons pas de pleine conscience.  »

Petite routine pour agrémenter le quotidien ou véritable philosophie de vie, yoga, méditation et pleine conscience semblent quoi qu’il en soit apporter une plus-value dans les cours de récréation, d’autant que, comme le suggère Edouard, 10 ans, élève de Catherine Blondiau, ça peut servir aux parents !  » Quand ma maman a une réunion et qu’elle est stressée, je lui conseille des exercices de respiration « , raconte-t-il. Et si la sagesse nous était enseignée par les mômes ?

(1) www.inspireatwork.be Catherine Blondiau animera une séance en famille pour Parents-Thèses, le 20 septembre prochain, à Woluwe-Saint-Lambert. Inscription : http://parents-theses.be/

(2) www.ryebelgique.be

PAR FANNY BOUVRY

 » L’idée est de laisser les gosses grandir comme ils sont, tout en essayant de leur faire comprendre ce qu’ils ressentent.  »

 » L’enseignement du yoga ne s’improvise pas, car il faut avoir le bagage pour s’adapter au public et toucher la graine de paix que chacun a en soi.  »

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