Petite fille deviendra grande ?
Femme-poupée, adulescente (adulte désireuse de rester ado) plus ou moins attardée, lolita liftée ou jeune beauté vite montée en graine… Le mythe de la grande gamine à couettes n’a pas – trop – vieilli.
(1) » Martine » et son univers sont l’objet d’une expo baptisée » Martine à Woluwe-Saint-Lambert » qui se tient jusqu’au 6 juillet prochain au 40, rue de la Charrette, à 1200 Bruxelles (Tél. : 02 774 36 36 ou 0473 529 189).
(2) Terme inventé par le quotidien » Le Monde » du 2 juin 2001.
« C’est une poupéééée qui dit nan, nan, nan « … l’air du gentil provocateur Michel Polnareff plane encore dans notre mémoire musicale. Dans un registre identique, la » poupée de cire, poupée de son » de France Gall a aussi de beaux restes. Et cette saison, pas question d’affirmer que » l’air ne fait pas la chanson « . En mode du moins. Car la demoiselle de bon ton qui paradait, tirée à quatre épingles, lors de l’été 2000 û c’était l’avènement du look bourgeoise branchée û, a remonté le temps de quelques années. Histoire de singer la femme-enfant, la gamine allurée limite délurée comme le mannequin Twiggy dans les années 1960, la poupée de chiffons chics, la lolita japonisante, la petite fille modèle ou plutôt, le modèle déguisé en petite fille.
Ballerines et sandalettes compensées, jupons de gaze et jupettes froufroutantes, pantalons corsaire et robes à manches ballon, cols Claudine, salopettes fifties, motifs enfantins (pois, fleurettes, vichy, denim délavé et rebrodé de dessins mignons, voire nunuches, etc.), couleurs acidulées ou tons pastel, mini-doudous épinglés un peu partout, n£uds, smocks et volants, satin, crépon et coton qui craquette… l’allure a choisi un mode ludique, un style Sophie Rostopchine, un chic candide et même, du côté des tenues de soirée, un faste digne des contes de fées, avec mousseline et tulle à gogo. Bref, le genre » Alice in Wonderland » sur fond de cour de récré et d’imagerie façon » Salut les copains » porte beau. Et les allusions à Aggie Mack, une héroïne de BD américaine des fifties lisse comme la réglisse ou à Martine, la gentille gosse » croquée » par Marcel Marlier (1), sont légion.
Moins barbante que Barbie, moins brutale que Lara Croft, moins benêt que Bécassine, la femme-poupée de l’été 2003 semble sortie d' » Attrape-moi si tu peux « , l’excellent film de Steven Spielberg. Chez Louis Vuitton, par exemple, des clones charmants de la jeune Brigitte Bardot, chignon serré ou queue de cheval, ont annoncé un printemps sage comme une image. Dans le journal de classe » très classe » de Marc Jacobs, le créateur d’origine new-yorkaise, l’on trouve des robes en satin duchesse aux couleurs de sorbet ou de macaron (citron, pêche, framboise, lilas…), des vestes courtes à pois roses, des mini-jupons volantés, une pluie de n£uds et de fleurs qui abondent également sur les sacs revus par l’artiste japonais Takashi Murakami. Interrogé sur sa garde-robe perso, Marc Jacobs avoue d’ailleurs avoir aimé » être une poupée qu’on habille « , en se rappelant le costume qu’un oncle lui avait offert à l’adolescence.
Question régression et parade de peluches, on se régale chez D&G, la ligne » jeune » û elle n’aura jamais si bien porté son nom û, de Dolce & Gabbana puisque les créateurs ont saupoudré leur collection estivale de sacs ornés de nounours punky. Pendant ce temps, dans l’esprit plus Liberty que libertin de Cacharel, les couleurs jamais fades et les tenues de gamines » qui ont tout d’une grande » prêchent pour une mode mâtinée d’humour et d’aimable nonchalance. A ce propos, rappelons que Jean-Charles de Castelbajac avait déjà, il y a plus d’un quart de siècle, constellé ses manteaux maxi de nounours hilares et lancé, voici deux ans, un premier parfum dont la fragrance rappelait les petits pots de colle de nos années d’école. Côté cosmétique, la tendance générale vire au rose (blush, poudre, rouge à lèvres, fard à paupières…) bien calibré pour un effet bonne mine qui rappelle le teint éternellement frais des teenagers.
Nostalgie rieuse, humour et optimisme caractérisent aussi la » patte » de Bensimon ( NDLR : l’inventeur, à l’aube des années 1980, des fameuses tennis conjuguées dans les couleurs de l’arc-en-ciel), dont l’âme d’enfant s’amuse, à travers les vêtements et la déco ultracolorée, à ranimer le mythe proustien des jeunes filles en fleurs. Notre compatriote Olivier Strelli, via sa ligne H pour F, zoome sur la fraîcheur et la légèreté (coton, crépon, lin, tons fondants…) alors que la marque belge Hampton Bays û la s£urette de Xandres û, joue la carte de la spontanéité juvénile, volontiers ironique, en s’appuyant sur des matières naturelles et des coupes sans chichis. Belges encore, les labels Mer du Nord et Rue Blanche qui mettent en scène des demoiselles sachant se tenir et garder la tête haute… qu’il s’agisse de répondre au tableau, de virevolter au » bal des déb’ » ou de s’éclater sur un terrain de sport.
Au pays des accessoires, les gamineries glamour sont reines : porte-monnaies » Les Chouchous » chez Soco, sacs espiègles pour donzelles sautillantes d’Emmy Wieleman, panoplie en rose Barbie pour Escada, » babies » et ballerines de petite princesse signées Armando Pollini, bottines de boxeuse aux dents de lait chez KangaROOS, bonnets en forme de mini-pulls pour Elvis Pompilio… la mode est mutine jusque dans les moindres détails. Comme chez la Madrilène Agatha Ruiz De La Prada, égérie de la Movida espagnole avec le cinéaste Pedro Almodovar, connue pour commettre divers objets et vêtements ornés de grands c£urs kitsch… parmi d’autres fantasmagories d' » adulescente » gentiment attardée.
Nettement plus sérieux, le styliste anglais Lawrence Steele, qui avait basé, fin 2001, sa collection sur des vêtements d’enfants réinterprétés à l’aune des adultes, estime que » la femme habillée comme une fillette dégage à la fois du mystère et de la provocation « . L’innocence û de surface û véhiculée par cette » puéricouture » (2) transporte donc certains messages, parfois pimentés.
» Jouer à la poupée que l’on habille revient à se transformer en objet sur lequel les hommes projettent un imaginaire, souligne le psychanalyste Michel Pieront. Ce sont les hommes qui habillent les femmes…. afin de se donner le plaisir de mieux les déshabiller ensuite. D’autre part, être l’objet de l’amour d’un homme plus âgé constitue un fantasme qui a hanté/hante encore n’importe quelle jeune demoiselle. Jouer à la gamine, à l’ado, peut très bien réactiver ce fantasme et devenir ainsi un argument de séduction. Certaines û et certains aussi û, se donnent d’ailleurs beaucoup de peine pour ne jamais devenir adulte ! Enfin, la période de l’adolescence une fois passée peut être fantasmée comme un paradis… perdu, où le monde est à découvrir, les capacités sont optimales et les responsabilités, réduites au minimum. »
Cinéma vestimentaire que tout cela ? Peut-être, mais cette » Parenthèse enchantée » apporte un peu de douceur dans ce que l’on peut désormais, sans même plagier la pub, appeler » un monde de brutes « .
Marianne Hublet n
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