Philosophe Josef Schovanec

© FRÉDÉRIC RAEVENS

L’auteur, philosophe et globe-trotteur Josef Schovanec (39 ans) milite pour la dignité des personnes autistes, dont il est l’un des représentants les plus médiatiques, et porte un regard particulier sur notre situation actuelle de confinement. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation à l’autisme de ce 2 avril.

C’est le moment de redécouvrir d’autres formes de bonheur. Le bonheur est-il nécessairement à trouver dans un grand magasin ? Est-ce que, dès que le travail s’arrête, on n’a comme unique horizon que le centre commercial ? Ou peut-on imaginer autre chose ? Ce sont des questions existentielles qui peuvent paraître douloureuses, mais je pense qu’elles peuvent avoir un effet bénéfique à moyen et long terme. Ce qui me chagrine, c’est que la situation actuelle ne pousse pas à davantage de lien entre voisins, contrairement aux guerres ou à certaines catastrophes naturelles. Ça rend la situation plus grinçante ou plus compliquée.

‘Peut-être que le XXIe siècle réussira à se recentrer sur des choses qui auraient dû rester au centre des préoccupations.’

Pour une personne autiste,la sensation d’avoir réussi sa journée ne se mesure pas à la quantité d’interactions sociales. Je pense que si on consacre une trop grande partie de son temps aux interactions sociales, on ne parvient pas à construire son propre projet, en tous cas un projet original pour la société. On a besoin de beaucoup de profils, si tout le monde adopte celui de l’hypersocialisation, le degré d’innovation sera faible. C’est l’un des paradoxes des réseaux sociaux : les gens les plus populaires ont peut-être le plus faible degré d’innovation.

Le principal risque de la popularité, c’est de devenir obnubilé par son image. Et il ne faut pas : on fait ce que l’on a à faire, et puis, le succès social et la gloriole, c’est secondaire. L’une des maladies de notre époque, c’est cet accent mis sur l’image. Et tous les réseaux sociaux sont articulés autour de ces questions d’image, de réputation. Je ne pense pas que cela mène à une satisfaction humaine  » réelle « , ni à une créativité humaine  » réelle « . Plus on consacre de temps à gérer ces questions narcissiques, moins on a d’énergie ou de temps à faire autre chose. Et on en arrive à un stade où certaines célébrités – ou  » influenceurs  » – finissent par consacrer tout leur temps à gérer uniquement leur réputation, et le fond derrière est inexistant.

Il faut se poser la question de l’idéal de vie que l’on propose aux jeunes générations. Ce qui amène une deuxième question, toujours à long terme : quel héritage laissera-t-on dans l’histoire de l’humanité ? Chaque époque a eu d’éminents artistes, architectes, toutes sortes de gens qui ont construit des choses, eu des idées. La façon la plus sûre de tuer cette créativité-là, c’est de ne miser que sur la popularité du moment. J’ai très peur que l’un des tombeaux de notre projet commun soit justement ce piège-là, celui de la réputation immédiate. Mais peut-être que le XXIe siècle réussira à se recentrer un peu sur des choses qui auraient dû rester au centre des préoccupations.

Personne ne naît militant. Mon projet professionnel, c’était d’être professeur à la fac en philosophie ou en histoire des religions – je l’ai brièvement été, d’ailleurs, à Téhéran et à Jérusalem. C’est la hausse de l’activité associative en Europe qui a mis fin à ce projet. Je n’avais pas pour vocation d’enfance d’être militant. D’une certaine façon, mon quotidien est fait de l’inverse de ce à quoi j’aspirerais – les événements associatifs où je vais sont absolument géniaux, mais demandent un sacré effort en termes de socialisation.

Quand je vais dans le tiers-monde, je ne suis pas touriste. La quasi-totalité de mes voyages sont liés à du militantisme, plus ou moins déguisé. Et je suis extraordinairement privilégié parce que je vais tout de suite avec les vrais gens – je fais partie d’une famille, souvent défavorisée, et je peux voir comment ça se passe, ce qu’on mange lors des repas, etc. Si vous allez dans des pays très touristiques, vous ne vous ferez pas d’amis. Tout au plus vous aurez un guide, payé, qui disparaîtra juste après. Moi, j’ai par exemple de supers amis aux Seychelles – ce qui normalement n’arrive pas – donc je me considère comme vraiment chanceux.

Ce qui donne le sentiment d’épanouissement humain, c’est la découverte de l’imprévu. Je crois que la société occidentale l’a en grande partie oublié – une augmentation de salaire ne vous rendra pas heureux, on s’en réjouit 5 minutes tout au plus. Mais c’est une dimension que la fréquentation du handicap donne à entrevoir. D’ailleurs, à peu près tous ceux qui naviguent dans le monde du handicap n’en ressortent pas, même pour d’autres métiers pourtant très grassement rémunérés. Il y a un côté addictif. Passez du temps avec des gens handicapés, vous oublierez tout de suite la déprime du virus et les problèmes politiques. C’est ce type de moment magique que vous pouvez trouver dans le domaine de la différence radicale.

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