Ressuscitée par des fans nostalgiques, adoubée par Karl Lagerfeld, relookée par Philippe Starck, statufiée dans des expos : la célèbre petite photo automatisée est vraiment la reine du shooting. En cabine !

Forcément, ces jolis portraits noir et blanc un peu granuleux, un peu flous, nous disent quelque chose. Ils sont tous signés Karl Lagerfeld, certes, on y reconnaît des actrices et mannequins au top, comme Astrid Bergès-Frisbey ou Anja Rubik, bien entendu, mais encore. Vous ne voyez pas ? Mais oui, ce sont des Photomatons !

En enfermant ses people préférés dans la célèbre petite cabine au rideau plissé, Kaiser Karl cède à son tour au rituel du tabouret pivotant et au flash-qui-vous- écarquille-les-yeux et vous fait ressembler à Malcolm McDowell dans Orange Mécanique. Le directeur artistique de Chanel n’aimant pas la demi-mesure, il a eu la bonne idée de magnifier l’exercice par des tirages grand format – 1 m x 1,5 m – accrochés aux murs du très chic hôtel Eden Roc durant le dernier festival de Cannes. C’est que c’en est fini de jouer les miniatures pour le Photomaton qui connaît un véritable retour en grâce. Mais attention, pas n’importe lequel ! Le vrai, l’authentique, autrement dit issu du bon vieux procédé argentique remplacé au fil du temps – progrès oblige – par la cabine numérique. Et les survivants sont rares. À moins de faire comme le Français Eddy Bourgeois qui, las de dénicher les dinosaures, a fabriqué lui-même son prototype ancienne génération (www.fotoautomat.fr).

LA POÉTIQUE DES 4 VUES

Brian Meacham et Tim Garrett, cofondateurs du site de référence www.photobooth.net, ont répertorié à ce jour moins de 400 machines authentiquement vintage dans le monde dont quelques dizaines en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en France mais aucune à ce jour chez nous…  » Cet engouement pour le shoot argentique tient non seulement à son beau rendu mais aussi au rituel des quatre vues successives qui généraient des images aléatoires. Avec le numérique, vous recommencez autant de fois que vous voulez la prise de vue pour ensuite la dupliquer. Il n’y a plus aucune poésie ! « , explique Igor Lenoir. À 27 ans, ce jeune Parisien a relancé dans sa ville la mode du Photomaton old school en proposant à la location des cabines construites dans les années 50 et 60. Destination : boutiques tendance, places to be culturelles et organisateurs d’événements. Sa société, La Joyeuse de Photographie (www.lajoyeusedephotographie.com), a déjà séduit Canal +, mais aussi de grands noms du luxe comme le groupe LVMH, Hermès ou Cartier, ravis de tirer le portrait en tronc de ses invités dans le cadre de défilés ou de soirées VIP.

L’idée surgit en 2006 lorsque Igor, étudiant Erasmus à Berlin, passe des heures à se  » flasher  » dans un antique Photomaton installé non loin de la Karl-Marx Allee. De retour en France, il décide avec sa comparse Camille Pachot d’importer des vieilles cabines des États-Unis.  » Il n’y a plus que là-bas qu’on les trouve, comme la chimie et le papier qui sont devenus des denrées rares. C’est des USA que proviennent également les pièces de rechange car les appareils possèdent des mécaniques fragiles qui nécessitent un accompagnement constant. « 

Mais rien ne vient faiblir l’enthousiasme du collectionneur qui voit dans la réhabilitation du Photomaton d’autrefois un authentique manifeste libertaire.  » Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les photos d’identité doivent répondre à tout une série de critères de conformité qui va de la taille du visage à l’interdiction de sourire ou de porter des accessoires vestimentaires excentriques. Pour moi, le Photomaton, c’est exactement l’inverse, c’est le lieu où tout est permis ! « 

UN ESPACE CLOS ET INTIME

Un propos qui aurait séduit les surréalistes, grands adeptes du procédé avant l’heure. Le célèbre portrait de groupe Je ne vois pas la [femme] cachée dans la forêt, signé René Magritte, où chaque membre pose les yeux fermés, a été réalisé… en 1929. Trois ans avant à peine, un jeune inventeur d’origine russe, Anatol Josepho, 32 ans, installe sa première cabine à New York, entre la 51e et la 52e rue. L’attraction ne passe pas inaperçue. Contre une pièce de 25 cents glissée dans la fente du monnayeur, le client obtient en quelques minutes huit portraits d’identité sans l’intervention d’un opérateur. Une révolution dans l’histoire de la photographie. Les demandes affluent, les files s’allongent et des centaines de mini studios sont installés dans les halls de gare, les stands de foire et les salles de jeux. Le label ne tarde pas à voir arriver des concurrents comme la marque Photomatic qui squatte le bitume nord-américain dès 1930.

D’autres artistes verront dans cette découverte un moyen de renouveler l’exercice de l’autoportrait. À chaque époque ses fans… Warhol comme son égérie le mannequin Edie Sedgwick, le dessinateur et romancier Roland Topor ou, plus près de nous, l’écrivain Michel Folco qui collectionne des rebuts récupérés dans les recoins des gares parisiennes. Son personnage a inspiré le rôle de Mathieu Kassovitz dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain.

 » Ce qui fait la grande singularité du Photomaton, c’est qu’il n’y a plus le regard du photographe et donc plus de jugement extérieur. Quand on entre dans cet espace clos, on pénètre dans un lieu intime où l’on est confronté à soi-même. Le succès est aujourd’hui amplifié par la nostalgie de l’argentique et l’intérêt pour la photo anonyme, les clichés de Monsieur Tout-le- Monde « , souligne Raynal Pellicer, auteur d’une récente monographie sur le sujet (1). Et de la cabine aux cimaises, il n’y a qu’un pas que Le musée de l’Elysée à Lausanne franchira début 2012, en organisant une importante rétrospective sur le Photomaton qui voyagera ensuite à travers l’Europe.

Pendant ce temps, le groupe Photomaton, leader mondial, préfère regarder vers le futur en confiant le relooking de ses cabines numériques à Philippe Starck. Équipé des dernières technologies (fonction 3G, capteur auto-focus pour une plus grande netteté), le studio de poche se veut à la fois plus épuré et moins austère, comme ce siège translucide orange qui s’illumine, conçu par le célèbre designer français. On n’est pas sûr que les puristes soient près d’abandonner leurs cuves de révélateur et de bain d’arrêt pour autant. À moins de tenter la Photomobile (www.laphotomobile.fr), une cabine numérique ultra haut de gamme itinérante, mise au point par une photographe de mode. Un remix qui prend les contours d’une ultime réconciliation entre anciens et modernes…

(1) Photomaton, par Raynal

Pellicer, Éditions de La Martinière.

À découvrir aussi :

www.laphotocabine.fr

PAR ANTOINE MORENO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content