Obéissant à une étrange alchimie faite de légende, de culte populaire et de consécration people, certains accessoires contredisent crânement le cycle infernal de la mode pour accéder au statut quasi magique d’icônes intemporelles. Notre top 10.

Illustration : Philippe Godefroid

Couvre-chef en chef

Le Borsalino est au chapeau ce que le Frigidaire est au frigo : une marque si célèbre qu’elle est devenue un nom commun, un essentiel du vocabulaire de la mode. Particulièrement connue pour son modèle en feutre mou, rebaptisé par ailleurs le  » Bogart  » en référence à l’acteur de Casablanca, la griffe italienne couvre les (grands) chefs depuis plus de cent cinquante ans. Dans l’imaginaire collectif, le Borsalino est indéfectiblement lié aux films de gangsters et donnera d’ailleurs son nom au long-métrage éponyme de Jacques Deray réunissant, en 1970, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans le rôle de truands au c£ur du Marseille des années 30. Glamourisé par Frank Sinatra, Robert Redford et bien d’autres gloires de Hollywood, le plus mythique des feutres en poil de lapin était un peu devenu une pièce de musée à la fin du xxe siècle. Il revient furieusement à la mode depuis que les créateurs, de Giorgio Armani à Gucci, ont remis ce modèle de chapeau au goût du jour sur les podiums et depuis que Johnny Depp en a fait un de ses accessoires fétiches.

quinqua requinquée

Tout commence par une chute à ski, l’hiver 1946. Klaus Maertens, un docteur allemand, profite de son alitement pour réfléchir à une chaussure qui lui permettrait de se remettre à marcher sans douleur. Avec un pote ingénieur, il imagine une bottine orthopédique à coussin d’air. Dans les maisons de retraite, c’est un gros succès. Qui met la puce à l’oreille de Bill Griggs, un fabricant britannique. En 1960, ce dernier rachète la licence, anglicise le nom du docteur allemand. La Doc Martens est née. Le premier modèle, le 1460 (en référence à sa date de naissance, le 1.4.60) devient rapidement un must auprès des postiers, bobbies et autres pompiers. Récupérée par les punks, skinheads, hooligans, gothiques et tout ce que le Royaume de Sa Majesté compte comme contre-cultureux, la godasse prolo devient symbole de rebelle attitude. Aujourd’hui, à 50 piges, elle reprend des galons glamour auprès des stars (Johnny Depp, Agyness Deynà) et à travers ses rééditions fashion (Jean Paul Gaultier, Raf Simons).

Un sac de voyage viril ou girly

Né dans les années 30, le Keepall, un des sacs cultes de Louis Vuitton, résulte de l’approche visionnaire du malletier français qui l’imagine au départ en simple toile de coton. Souple, léger et à usages multiples, il se glisse aisément dans une valise, préfigurant une nouvelle manière de voyager. Ce best-seller se voit ensuite décliné en toile Monogram ainsi que dans d’autres cuirs et matières. Depuis son arrivée chez Vuitton, en 1997, le créateur américain Marc Jacobs le réinterprète chaque saison et en fait un véritable  » terrain de jeux  » pour des artistes internationaux qui le colorent, le customisent, comme le Japonais Takashi Murakami et son successful Monogram multicoloreà Dernière innovation en date : chacun peut désormais apposer ses initiales et des bandes de couleur via un logiciel disponible en boutique ou sur le Net (www.louisvuitton.com). Pour ceux qui veulent s’offrir une légendeà personnelle.

Zizi impératrice

Dans les années 40, Rose Repetto crée la marque de chaussons éponymes, référence absolue de tous les danseurs. Dans les sixties, la griffe séduit la rue pour une utilisation citadine. En grande partie grâce à Serge Gainsbourg qui popularise le modèle Zizi (en hommage à Zizi Jeanmaire, femme de Roland Petit, lui-même fils de Rose Repetto).  » Serge cherchait des gants pour ses pieds, car il avait horreur de marcher « , racontera, en 2001, au magazine Les Inrockuptibles, Jane Birkin, qui lui avait dégoté la petite pompe blanche à lacets. Gainsbourg consacrera cette dernière d’un définitif  » Repetto à perpet’ « , lui qui en consommait jusqu’à 30 paires par an. Depuis sa création en 1967, plus de 150 000 paires de Zizi ont été vendues, le créateur japonais Yohji Yamamoto l’a réinterprété en 2005 et la NSCF (nouvelle scène de la chanson française), de M à Thomas Dutronc, chausse et entretient le mythe.

Le coup du Bamboo

L’histoire du prêt-à-porter grouille de modèles inventifs créés en périodes de crise. Ainsi en est-il du sac Bamboo de Gucci, qui a vu le jour en 1947. En ces temps d’après-guerre, la débrouille oblige les artisans de la marque italienne à recourir au robuste cuir de sanglier et à une canne de bambou japonais. Avec bonheur ! Car ces matières brutes et sans charisme insuffleront son surnom et sa notoriété à ce modèle devenu emblématique et toujours fabriqué dans les ateliers de la maison florentine fondée en 1921 : 140 pièces de cuir assemblées à la main forment le sac tandis que le bambou est chauffé et courbé en demi-cercle pour lui donner la forme d’une anse. Au total, cette pure merveille nécessite treize heures de travail. Sous la férule de Frida Giannini, la directrice artistique de Gucci, le Bamboo s’offre aujourd’hui un lifting en se dotant d’un format plus généreux, arborant également tout un éventail de matières plus high-tech comme le Néoprène ou le python gommé, deux anses dont une en cuir tressé et des pompons frangés. Le New Bamboo est prêt à entrer dans une (nouvelle) légende.

Il était une fois un carré de soieSi de nombreux foulards fleurissent au cou des femmes, LE carré, lui, est griffé Hermès. Une passion qui englobe la terre entière : ne s’en vend-il pas un toutes les 30 minutes de par le monde ? Le premier des 1 500 modèles différents créés jusqu’ici par la prestigieuse maison parisienne est né en 1837 : Jeu des omnibus et dames blanches célébrait l’inauguration d’une ligne de voitures publiques. Succès jamais démenti depuis pour cet accessoire à qui l’on prodigue les soins les plus attentifs. Au total : deux ans depuis le dessin jusqu’à l’arrivée en boutique. On compte, en effet, pas moins de 140 manipulations et 140 gestes différents pour finir un carré en twill de soie pesant seulement 79 grammes. Pour fêter ses 170 années, en 2007, Hermès a sorti un carré de 70 cm x 70 cm en soie vintage douce et souple, une mini-révolution par rapport au 90 cm x 90 cm originels. Et pour l’occasion, le Jeu des omnibus et dames blanches a été réédité, tout comme il l’avait déjà été en 1987 pour le 150e anniversaire. Mais le best-seller reste Brides de Gala, né en 1957, relancé, recoloré, remixé, pailleté de nombreuses fois. Pour que le mythe ne meure jamais.

Way(farer) of life

Moulées dans l’acétate, avec leur look sobre et fonctionnel, les Wayfarer débarquent en 1952, au début des Trente Glorieuses. La starification de Hollywood bat son plein et quand Audrey Hepburn pose ces solaires sur son petit nez mutin dans Breakfast at Tiffany’s (1961), elles signent leur entrée dans l’histoire de la mode. Elles séduiront James Dean, Bob Dylan, Marilyn, et à leur climax, Andy Warhol. En bonne forme durant les années Miami Vice et Top Gun, le modèle est à la ramasse dans les années 90 – on avait alors honte des eighties, synonymes de kitscheries pour yuppies fatigués. Aujourd’hui, le cycle de la mode a fait son travail : les Wayfarer sont devenues iconiques comme on dit, et réapparaissent aux premiers rangs des défilés sur le visage des fashionistas et des people. Ray-Ban tire sur la solide corde du mythe : elles sont rééditées en toutes sortes de couleurs et motifs pop.

Succès à la chaîne

1955. La DS envoie la vieille Traction au rebut, le micro-ondes apparaît aux Etats-Unis, la machine à laver s’installe dans nos foyers. Gabrielle Chanel, elle, continue à révolutionner la mode tout en affranchissant la femme de ses contraintes. L’air de rien, par cette juxtaposition de détails qui définit, dans son vocabulaire, ce qui fait le beau. Ainsi en va-t-il du sac à main. Pour libérer le geste, Mademoiselle le dote d’une bandoulière – une chaîne, comme celle qu’elle coud à l’intérieur de ses vestes de tweed afin de leur assurer un tombé parfait, parfois entrelacée de cuir. D’une doublure grenat, pour ne plus perdre de temps à y chercher les trésors qu’il renferme. D’un double rabat, à l’envers duquel se cache  » la secrète « , où ne peut se glisser qu’un mot doux. D’une autre poche, oblongue, destinée à accueillir un bâton de rouge à lèvres. C’était en février 1955. Le 2.55 était né. Depuis, Jackie Kennedy et Romy Schneider l’ont immortalisé, Karl Lagerfeld lui a offert mille vies – de tweed, de jeans, de strass, XXL ou mini – et la génération people, de Christina Ricci à Lily Allen, collectionne ses avatars. Il reste cependant unique et reconnaissable entre tous, quintessence des codes de la griffe au double C.

Italian touch : le Gommino

35 morceaux de cuir, 100 picots sur la semelle, 120 interventions manuelles et 350 contrôles associés à une bonne dose de génie marketingà Voici le Gommino, imaginé en 1978 par Diego Della Valle, CEO de l’empire Tod’s. Fabriqué à Casette d’Ete, dans la région des Marches en Italie, le mocassin est né d’une première idée folle : concevoir une chaussure plate et à picots comme celle portée par les pilotes automobiles, mais avec un twist fashion et, surtout, offrant un confort hors norme. Deuxième inspiration : la faire porter par des VIP et susciter l’envie de ses semblables. Au point d’associer la fameuse chaussure à des personnalités supercool comme Steve McQueen, Audrey Hepburn ou encore Cary Grantà qui n’auraient jamais pu la posséder puisque cette campagne a eu lieu en 1996, après leur décès. Une belle success story déclinée aujourd’hui en une multitude d’accessoires comme des sacs, des bijoux, misant toujours sur des matériaux nobles travaillés dans la pure tradition d’artisanat. Et aujourd’hui pour affronter la jungle urbaine avec style, on peut la personnaliser.

À la Baguette

 » Une rédactrice de mode américaine a écrit un jour qu’il se portait nonchalamment sous le bras, comme un pain français, se souvient Silvia Fendi, directrice artistique de la maroquinerie, des accessoires et du prêt-à-porter masculin de la griffe qui porte son nom. C’est comme cela que le Baguette s’est imposé.  » En 1997, lorsqu’elle imagine l’accessoire devenu mythique, la petite-fille d’Edoardo et Adele Fendi, fourreurs romains, est loin d’imaginer que son surnom deviendra un vocable générique. Ou que son succès – près d’un million d’exemplaires vendus de par le monde – engendrera les premières listes d’attente dans les boutiques. Encore moins que le désormais it bag sera décliné en un millier de versions différentes, que les people s’arrachent : Naomi Campbell a opté pour le cuir noir à paillettes, Gwyneth Paltrow pour le croco, Madonna pour les perles, Paris Hilton pour le métallisé. Silvia Fendi, elle, n’a pas de favori : elle les aime tous,  » pourvu qu’ils soient à la fois excentriques et hors du temps « . En langage mode, ça se traduit par iconique.

Textes : Baudouin Galler, Delphine Kindermans et Chantal Piret

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