Créateur prolifique de meubles, il doit surtout sa renommée à son travail à l’Élysée pour Georges Pompidou. Deux expositions – l’une au Grand-Hornu, l’autre à Paris – rendent hommage à son talent… Pierre Paulin a ouvert à Weekend les portes de sonrefuge au cour des Cévennes.

La route, qui conduit à la maison de Pierre Paulin dans la région des Cévennes au sud de la France traverse en serpentant des paysages d’une beauté à couper le souffle. Comme un clin d’£il à l’hôte, elle rappelle les lignes sinueuses des formes très funky et très chics des années 1960 et 1970 qui firent la renommée du designer.

La demeure de Pierre Paulin et de sa femme Maia Wodzislawska est étonnamment isolée : il n’y a aucune habitation à des kilomètres. De l’extérieur, elle ressemble à une ferme traditionnelle (elle se trouve dans un parc national où les styles de construction sont très réglementés), mais elle est résolument moderne à l’intérieur. L’aménagement a pour modèle une maison que Pierre Paulin avait visitée au Liban : elle compte une cour intérieure et, dans la cuisine, les fenêtres sont disposées comme des encadrements des plus belles vues du paysage. Le maître des lieux a aussi dessiné le feu ouvert du salon en forme de pyramide : il évoque les casques des chevaliers d’ Alexandre Nevsky, le film d’Eisenstein (1938). La bibliothèque monumentale du salon, elle, a été insufflée par la cathédrale de Milan.

Parmi les plus belles pièces du mobilier, on pointe les sièges  » Ribbon « ,  » Mushroom  » et  » Tongue chair  » ainsi que la table basse qui ornèrent jadis les appartements présidentiels français. De pures merveilles, encore exaltées par l’art de vivre simple et presque austère de leur créateur. Pierre Paulin possède aussi quelques exemplaires de la chaise S de Verner Panton qui fut un de ses amis proches. Avec son épouse, il collectionne également des objets d’artisanat traditionnels comme des paniers brésiliens, des gourdes africaines ou des patchworks canadiens.

 » Je suis un passionné d’histoire « , confie Pierre Paulin qui, dans les années 1980, imagina une chaise aux pieds en X inspirée de la Rome antique. Et d’enchaîner :  » Une chaise doit être bien plus que fonctionnelle : elle doit être agréable, amusante et vibrante de couleur. » Un parti pris à haute valeur créative ajoutée.

Innovation et étrangeté

Pierre Paulin est l’un des plus illustres créateurs de meubles contemporains français. Né en 1927 d’un père parisien et d’une mère originaire de Suisse, il souhaite devenir sculpteur mais son élan est brisé net par un accident au bras. Il entre alors à l’école Camondo, à Paris, où il apprend, entre autres, à dessiner des meubles de style. Son professeur, le décorateur Maxime Old, le fait travailler chez l’architecte d’intérieur Marcel Gascoin, pour qui  » se loger n’est pas seulement une nécessité fondamentale, mais la première règle de l’art de vivre « .

Pierre Paulin expose pour la première fois en 1953 un appartement fonctionnel, qui remporte un grand succès : de là commence sa collaboration avec l’éditeur de meubles Thonet, qui durera jusqu’en 1957. À cette époque, ses maîtres sont Charles Eames, Florence Knoll, Charlotte Perriand, et ses créations déjà caractérisées par ce qui sera sa signature : la justesse des proportions, l’élégance des lignes, la qualité formelle. À partir de 1958, la société néerlandaise Artifort édite son mobilier et met à sa disposition des moyens financiers et techniques. Naîtront alors ses sièges – dont il devient  » le  » spécialiste – la plupart composés de coques revêtues de tissu jersey et de formes pures, confortables, ludiques.

Dans le même temps, Pierre Paulin dessine appliques, lampadaires, bureaux et autres tables, avec cet esprit innovateur et un peu étrange qui si souvent le caractérise. En 1968, le  » Ribbon Chair « , étonnant ruban plié en forme de fauteuil, remporte le Chicago Design Award et devient rapidement, grâce à son dessin l’apparentant à une sculpture, un véritable objet culte des seventies. Paulin est aussi un concepteur d’espaces, qu’il structure et meuble.

Aménagements présidentiels

Emblématique de ce travail, les appartements privés de l’Élysée pour le président français Georges Pompidou en 1972 : quatre pièces pour lesquelles il représente des voûtes de polyester, jouant avec les courbes et la lumière. Le salon est meublé de canapés et fauteuils dessinés en forme de fleur, constitués d’une structure métallique recouverte de coussins en mousse, le tout étant garni de cuir. Les piètements des tables basses qui reprennent l’idée de la fleur sont fabriqués en aluminium coulé et recouverts de plateaux en verre trempé teinté. La salle à manger est spectaculaire avec ses éléments en forme de nef en polyester moulé et son gigantesque lustre de 9 000 tiges et billes de verre.

C’est au début des années 1970 que Solange Gorse, rédactrice en chef de Maison Française, demande à Pierre Paulin, selon elle  » un des meilleurs créateurs non seulement français mais mondiaux  » de tenir une rubrique afin d’analyser un meuble créé par un grand designer : citons Eames, Van der Rohe, Panton et Colombo. Ce fut l’origine d’une collaboration passionnante qui durera plusieurs années. Au début des années 1980, Pierre Paulin change d’orientation, abandonne les éditions en série et renoue avec la grande tradition française de l’ébénisterie. Les meubles sont souvent sculpturaux, à l’instar de cette table de salle à manger  » cathédrale « . Il utilise la préciosité de la laque et du sycomore pour des bureaux, bonheurs-du-jour ou tables de réunion, l’acajou pour ce grand fauteuil d’inspiration chinoise.

En 1983, François Mitterrand lui demande d’aménager son cabinet de travail : le bureau sera bleu à liserés d’aluminium rose et le fauteuil canné à cinq pieds inspiré des sièges d’armateurs néerlandais du xviiie siècle. L’ensemble, composé en plus d’un salon de six fauteuils, d’un canapé en métal laqué bleu et drap bleu, et de tables basses également laquées bleu avec des filets roses, sera définitivement installé à l’Élysée en 1988, dans un bureau recouvert de boiseries xviiie. Pierre Paulin aura marqué son époque par une £uvre unique, faite de lignes épurées, simples, souvent ludiques, mais aussi touchée par le raffinement d’un homme de culture. C’est avec justice qu’on le fête aujourd’hui !

Guy Bloch-Champfort avec Dominic Lutyens (Luxproductions)

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