Barbara Witkowska Journaliste

Loin des tendances de mode, Anne Willi et Mélodie Wolf, deux jeunes créatrices parisiennes proposent des looks personnels, empreints d’originalité et de caractère. Au choix : version graphique et minimaliste ou version colorée et décalée.

Carnet d’adresses en page 88.

A nne Willi s’adresse à la femme épanouie, bien dans sa peau, une femme qui a envie d’être respectée pour les choix qu’elle fait. Elle aime les vêtements bien coupés, faciles à vivre, intemporels et confortables. En apparence simples, ils sont, en réalité, joliment sophistiqués : leur caractère réversible et bicolore ainsi que leurs détails raffinés, permettent jeux et fonctions multiples. Si chaque collection d’Anne Willi est cohérente, bâtie autour d’un thème bien précis et reliée par une palette chromatique équilibrée et harmonieuse, elle peut très bien vivre hors des saisons. Les pièces du présent se mélangent aisément à des pièces du passé. On interprète son look suivant ses humeurs et ses envies du moment.

Pour l’été 2004, la robe est la véritable guest star de la collection. On la choisira dans un coloris doux. Le vieux rose, le vert d’eau, l’indigo ou le beige sont subtilement  » passés « , car teintés souvent de façon artisanale. Côté matières, il n’y a rien que du naturel. Les cotons chintzés, les cotons rebrodés ou les cotons mélangés à du lin sont veloutés au toucher et délicieusement frais à porter. Les modèles sont à la fois sages et coquins, le dos nu s’affiche sans complexes. Une panoplie de rubans, de ficelles et de liens sophistiqués permettent des  » fermetures  » savantes et originales. Les tops, les blouses, les cache-c£urs sont unis, décorés de fines rayures ou de délicats motifs géométriques. Tout va avec tout, on mélange, on juxtapose, on superpose et on s’amuse pour changer de tenue en un clin d’£il. Les jeunes mamans perfectionnistes habilleront leur tout-petits dans le même style. Enceinte il y a trois ans, Anne Willi a décliné ses créations en mini-format. Depuis lors, la collection enfant  » grandit  » avec son fils.

Un concept évolutif, donc. Parisienne de 33 ans, Anne Willi a appris ce mode de fonctionnement sans contraintes à l’école Steiner, modèle d’enseignement autrichien qui laisse une grande place à la liberté d’expression de chaque enfant. Le théâtre était au centre des activités. A l’âge de 12 ans, elle crée des costumes pour la pièce  » Le Cercle de craie caucasien « , de Bertolt Brecht. L’expérience l’enchante et détermine sa future vocation.  » J’ai grandi auprès de parents artistes, raconte la jeune femme. Chez nous, la règle consistait à dépenser de l’argent pour les livres, l’éducation et la musique. Les vêtements étant secondaires, nos parents nous habillaient chez Tati. Par réaction, j’ai décidé de devenir styliste.  »

A l’école Esmod, à Paris, Anne Willi rencontre un jeune styliste israélien. Coup de foudre, mariage, embarquement immédiat pour Tel-Aviv. Là, le couple ouvre une petite boutique, crée des collections, organise des défilés. Les jeunes Israéliennes applaudissent, la presse lui consacre des articles dithyrambiques. Mais la belle aventure tournera court. Anne Willi décide de tourner la page et regagne Paris. C’est alors le film de Cédric Klapitsch  » Chacun cherche son chat  » qui ouvre un nouveau chapitre dans sa vie. Ce film a pour cadre, notamment, la rue Keller, dans le XIe arrondissement. Synonyme d’une vraie vie de quartier, elle déploie un charme obsolète typiquement parisien. Anne Willi s’emballe pour son atmosphère et… pour les loyers très bas. Elle y ouvre une boutique-atelier et crée sa propre marque. Son premier défilé a lieu au Pause-café, café typique du quartier, qui, du coup, devient très branché. C’était il y a cinq ans. Aujourd’hui, la rue Keller fait partie de ces rues qui  » montent « , qui sont au top de la tendance. Cinq autres stylistes y proposent une mode différente, des galeries d’art ont pignon sur rue. Anne Willi a eu du flair, aujourd’hui, tout lui sourit. Elle a rencontré aussi l’homme de sa vie, le vrai. Evariste Richer est un jeune artiste et vient de décrocher le deuxième prix à la Biennale d’Art contemporain à Alexandrie. La complicité est totale. Bien épaulée, Anne Willi ne cesse d’affiner son style lié au design et à l’art contemporain. Pour le plus grand bonheur d’une clientèle de plus en plus nombreuse, très fidèle, issue des milieux artistiques, à la recherche d’un style certain plutôt que de tendances fugaces.

Les couleurs des quatre coins du monde

Pour cet été, Mélodie Wolf fait vibrer des tons turquoise lumineux, des nuances bleu électrique et des verts émeraude savoureux. Elle les associe, en contrastes vigoureux et audacieux, à du noir profond ou à du blanc optique. La collection Mascarade s’inspire du carnaval de Rio. Ce thème gai, riche, ludique et coloré a été soufflé à la jeune femme par le ciel parisien souvent gris et par des envies d’évasion.  » Lorsque je détermine le thème de ma collection, je me documente beaucoup, puis j’essaie de reconstruire une histoire, explique Mélodie Wolf. Il y a quelques mois, je suis tombée par hasard, dans une petite librairie spécialisée dans le cinéma, sur le film  » Orfeu Negro « , Palme d’Or à Cannes en 1959. Une interprétation nouvelle du carnaval de Rio et la collection Mascarade sont immédiatement nées dans mon esprit.  »

Ce qui frappe chez Mélodie Wolf c’est son approche novatrice et inédite de la maille. Comme dans le thème Coquillages, par exemple. Une simple robe noire est  » enrichie  » par un plastron singulier, caractérisé par un travail sophistiqué de pliage sur de la maille rayée en relief. On dirait des cocottes en papier réalisées en tissu. Décliné en version jupe, le concept s’accompagne d’un top noir parcouru d’inscriptions  » The mascarade is over « . On retrouve une autre vision de la maille dans ce marcel XXL, en viscose très fluide blanche. Des losanges et des poissons stylisés sont rebrodés par-dessus avec des fils métallisés. A porter avec un cycliste en maille lurex. L’idée de la maille, brodée d’applications métallisées, envahit aussi ce manteau blanc à godets, taillé pour une Colombine d’un soir. Mélodie Wolf accomplit aussi des exercices de style intéressants et novateurs sur les tee-shirts en maille jersey. Elle a demandé à une amie graphiste de redessiner tous les personnages du Carnaval et les a fait imprimer par sérigraphie. Un travail de recherche se remarque aussi au niveau des coupes et des formes. Les manches sont chauve-souris, les décolletés trapèze. Parfois, d’audacieuses découpes mettent le dos à nu. Les ensembles sont élégants et féminins, agrémentés d’une pointe de décalage et d’un brin d’humour.

Bourrée d’idées originales, Mélodie Wolf, Parisienne de 32 ans, a bifurqué vers la mode un peu par hasard. La jeune créatrice, comme son prénom l’y prédisposait, rêvait d’être musicienne. Curieusement, elle choisit la psychologie, mais arrête tout en licence.  » J’avais soudain envie d’aller vers des gens ludiques et créatifs « , souligne-t-elle. A l’école de stylisme Berçot, à Paris, son intérêt subit pour la mode se confirme. Elle trouve les réponses aux questions qu’elle se pose, elle affine son £il et commence à comprendre les mouvements de la mode. De là naît sa certitude : être toujours à la pointe, proposer des choses nouvelles et ne pas se fondre dans la masse. Elle fait ses premières armes sous la houlette d’un jeune créateur américain très pointu. Il la fait bosser, mais  » oublie  » de la payer. Alors, autant travailler pour soi. Mélodie Wolf se lance tout d’abord dans la création d’accessoires et de bijoux customisés. Les boutiques d’avant-garde en raffolent. Elle est remarquée par les responsables du Labo des créateurs aux Galeries Lafayette. Ils lui donnent un coup de pouce. Sa collection de maille, assez ambitieuse, mêle le noir aux couleurs vives et s’inspire du folklore des différents pays. Petit à petit, sa griffe se structure, Mélodie Wolf dessine deux collections par an, mais à l’avenir voudrait se concentrer uniquement sur la maille.  » Dans la mode, la période est difficile, car c’est une période transitoire, dit-elle. La grosse époque de marketing, d’uniformisation, de clonage et de lavage de cerveau est en train de se terminer. Le départ de Tom Ford, directeur artistique de Gucci et de Yves Saint Laurent ( lire aussi pages 3 et 4), va ouvrir un nouveau chapitre dans la mode. On ira vers une personnalisation accrue, vers de nouvelles formes d’expression, vers des vêtements portables, égayés par une pointe d’originalité.  »

Barbara Witkowska

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