Barbara Witkowska Journaliste

Avec des dizaines de nouvelles créations PAR AN, on peut butiner d’un parfum à un autre. Mais on peut aussi (re)découvrir les grands classiques, définitivement entrés dans la légende. Ils n’ont rien perdu de leur pouvoir de séduction.

A l’orée du XXe siècle les hommes terminent leur toilette par quelques gouttes d’Eau de Cologne. Les notes de lavande y sont incontournables et omniprésentes. En 1934, le grand parfumeur parisien Caron a alors l’idée de lancer le premier  » parfum  » destiné exclusivement aux hommes. Son nom coule de source : Pour un Homme de Caron. Pour ne pas brusquer les habitudes masculines, le concept est bâti sur un bouquet de lavande. On choisit les plus belles lavandes naturelles des Alpes de Provence et on y ajoute la chaleur de la vanille. Le fond, composé d’ambre, de musc et de bois précieux, tresse un sillage unique et inimitable, doux, charnel, légèrement poudré. L’homme qui l’adopte lui reste fidèle parce qu’il colle admirablement à sa peau, devient son odeur. On l’apprécie aussi parce qu’il passe très bien partout. On peut le mettre à n’importe quel moment de la journée et en toute saison. A la fois contemporain et intemporel. La fragrance n’a jamais été modifiée et demeure aujourd’hui telle qu’elle a été créée en 1934.

Coco Chanel et les hommes

Mademoiselle Chanel citait à l’envi cette boutade de Paul Valéry :  » Une femme qui ne se parfume pas, n’a pas d’avenir.  » L’histoire ne dit pas si elle avait la même pensée à l’égard des hommes. Cela étant, elle ne les a pas oubliés et, en 1955, elle a lancé Pour Monsieur, la seule eau de toilette masculine créée sous son égide. Coco Chanel aimait les parfums classiques et élégants. Avant la naissance du N° 5, par exemple, le créateur Ernest Beaux a reçu pour mission de composer  » un parfum qui sent la femme « . Pour Monsieur est l’£uvre de Henri Robert. Coco Chanel souhaitait qu’il soit l’hommage aux hommes qui ont compté dans sa vie : le grand duc Dimitri, le duc de Westminster ou encore le dessinateur Paul Iribe. Pour traduire olfactivement cette vision intemporelle et chic du séducteur aristocratique, Henri Robert a fait appel à des notes fraîches, boisées et aromatiques et les a orchestrées avec beaucoup d’équilibre et d’harmonie. Le départ, résolument tonique, pétille d’accords joyeux de citron de Sicile et de néroli de Tunisie. Puis, le cardamome du Sri Lanka et le poivre blanc de Madagascar tissent un c£ur mystérieux et épicé. En finale, le bois de cèdre de Virginie et le vétiver Bourbon, tracent un sillage subtil et sensuel. Très masculin.

Le succès américain

En 1953, Estée Lauder, la célèbre marque de cosmétiques et de produits de soin outre-Atlantique, se lance dans le parfum et sort Youth Dew. Cet oriental très riche est le premier parfum américain à faire une belle carrière internationale. Dix ans plus tard, en 1964, Estée Lauder innove encore, en lançant son premier parfum masculin, Aramis, escorté d’une ligne complète de 17 produits de toilette : mousses à raser, gels douche, shampooings, après-rasage, déodorants. Le tout vendu dans des parfumeries. Du jamais vu ! La fragrance appartient à la famille des chyprés. Elle est chaude et un brin sexy, tout en se voulant classique et distinguée. Composée comme certains vins fins à coups d’ingrédients rares, de bois aromatiques, d’épices exotiques et d’accents sensuels de cuir, elle réunit 138 ingrédients ! D’où sa belle densité et une profondeur très attirante. Tout démarre dans un tempo vif et tonique, lorsque l’huile de bergamote d’Italie déploie ses notes citronnées et herbacées. Puis, les notes plus chaleureuses prennent le relais, telles la sauge, le bois de santal et une pincée d’épices. Dans le fond, la mousse de Yougoslavie s’épanouit dans un sillage moelleux et sensuel. Aramis a une tenue exceptionnelle. Il est charnel et intimiste sans être envahissant.

Un oriental au masculin

Pour ce  » nez  » surdoué, la création de chaque parfum est liée à un souvenir, une rencontre ou une histoire vécue. Excellent cavalier, Jean-Paul Guerlain, dans les années 1960, montait souvent à cheval dans la forêt de Rambouillet proche de Paris. Ces balades inoubliables ont inspiré Habit Rouge, né en 1965. Le créateur raconte cette anecdote :  » Des lambeaux de brume bleuâtre s’accrochaient aux dentelles d’un été déjà enfui. Puis ce fut, le temps d’un éclair, l’apparition furtive du rouge strident de la tunique d’un homme dont la main énergique serrait les rênes d’un pur-sang. Il flottait dans le sillage de l’habit rouge de troublantes senteurs automnales auxquelles se mêlait un sensuel parfum de cuir et de tabac. Habit Rouge naissait en moi.  » Il a suffi de matérialiser l’idée. Jean-Paul Guerlain l’a réussi avec maestria en mêlant le citron, la limette, la bergamote, la lavande, la vanille, le patchouli et une note cuir. Le sillage est audacieux, entêtant et très enveloppant. Il est l’équivalent d’un parfum oriental pour femmes, intense, personnel et plein de caractère.

Le premier parfum unisexe

Dans les années 1960, les événements se bousculent comme dans un kaléidoscope. On citera, pêle-mêle, le scandale de la minijupe, l’engouement des intellectuels pour le Petit Livre rouge, le succès du film  » Un homme et une femme  » de Claude Lelouch… En 1966, Christian Dior propose cette merveille, appelée Eau Sauvage. Le couturier a fait appel à Edmond Rudnitska, en lui recommandant :  » Faites-moi une senteur, discrète et naturelle. Ni un parfum ni une Eau de Cologne.  » Dans le superbe compromis, on retrouve les accords frais des Eaux de Cologne classiques (citron, lavande, romarin et basilic) ainsi que… une grande surprise. Edmond Rudnitska a innové en utilisant en overdose de l’hédione. Ce jasmin abstrait (ou synthétique si l’on préfère) a le don de mettre en lumière et d’exalter les notes qu’il accompagne. Un fond de mousse de chêne enrichit le sillage d’une touche extrêmement sensuelle. Eau Sauvage connaît dès sa sortie un succès foudroyant. Hommes et femmes l’adoptent. C’est le premier parfum unisexe. Sa composition simple et aérée, d’un équilibre parfait symbolise, de par sa fraîcheur fleurie, discrète et tenace, la jeunesse chic et élégante. Toujours au top des hit-parades, il reste le parfum masculin le plus plébiscité par les femmes.

L’essence de la virilité

En 1973, un autre couturier crée l’événement. Paco Rabanne lance Paco Rabanne pour Homme. Le turbulent enfant de la mode a pour habitude de ne copier personne et de surprendre par des concepts  » révolutionnaires « . L’écrin, tout d’abord. Ce n’est pas un flacon, mais un  » objet  » original. Il ressemble à une flasque de whisky que les Britanniques glissent dans leur poche revolver. L’autre nouveauté : il n’est pas en verre transparent, mais en verre de couleur vert foncé, teinté dans la masse. A l’intérieur, coule un nectar étonnant qui ne ressemble à aucun autre. Les notes de tête hespéridées, incontournables dans un parfum masculin, sont remplacées par un bouquet aromatique méditerranéen, composé de romarin, d’armoise, de myrrhe et de sauge. Le c£ur titille les sens avec des accords de géranium et de girofle. Dans le fond, le tabac, le lentisque et le ciste forment un sillage ambré et musqué. Trente ans plus tard, le succès de ce jus sensuel conçu pour  » les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes  » ne faiblit pas.

L’élégance extrême

Dans les années 1980, Giorgio Armani est déjà une valeur sûre dans l’univers de la mode féminine et masculine. Mode ? Le mot a quelque chose d’inadéquat, presque d’inconvenant, tant la beauté de ses créations est dénuée d’ostentation et de show-off. Sereine et maîtrisée, celle-ci respire l’équilibre et la mesure. Lorsque Giorgio Armani conçoit son Eau pour Homme, en 1984, c’est pour prolonger tout naturellement cette élégance intemporelle. On y devine, savamment orchestrées, des matières nobles et classiques, telles les agrumes, le jasmin et la lavande, les épices rares et les bois exotiques précieux. Aucune fausse note dans ce jus viril et raffiné, séduisant à l’extrême, cousu avec amour et savoir-faire, tel un costume idéal. On rencontre les mêmes codes d’assurance et d’élégance, quelques années plus tard, chez Lanvin L’Homme. Conçu comme un hommage à l’homme du XXIe siècle, il se dévoile dans une exubérance d’agrumes, se déploie sur un accord épicé inattendu de poivre, de cardamome et de sauge pour se fondre à la peau dans un nuage de vanille et de santal. Chic et sobriété.

L’homme et la mer

Derrière les hommes des années 1980, flottent donc des sillages aromatiques, boisés et cuirés, plutôt classiques. En 1988, Davidoff lance Cool Water. Et secoue le monde des parfums masculins. Cool Water est le précurseur de la grande vague aquatique qui déferlera durant toute la dernière décennie du XXe siècle. L’idée ? Elle est soufflée par l’immense succès du  » Grand Bleu « , le célèbre film de Luc Besson qui remet  » à la mode  » la relation mystérieuse et la subtile alchimie de l’homme et de l’océan. La force de la fragrance consiste dans l’art de combiner la fraîcheur marine aux notes aromatiques, dont les hommes sont toujours friands. Fleurs, épices, muscs et ambre forment un ensemble où les touches marines et les touches plus sensuelles, propres à la terre, sont équilibrées et perceptibles. Les jeunes trend-setteurs, mais aussi les hommes plus mûrs, en raffolent. Cool Water ne se contente pas d’amorcer une nouvelle famille olfactive. Elle initie également une nouvelle communication, symbolisant un homme  » libéré « , voulant s’affirmer dans le sport et dans l’action.

Les rayures très mâles

Jean Paul Gaultier a  » habillé  » ses parfums avec ses deux-pièces vestimentaires fétiches : le corset et le maillot marin. Pour les femmes, un flacon évoquant le corps de Madonna, emprisonné dans un corset couleur chair. Pour les hommes un flacon ressemblant à un buste viril protégé par un tricot rayé. Dans  » l’homme de verre « , baptisé Le Mâle, s’épanouit une fragrance torride qui rompt avec tous les codes de la parfumerie masculine classique. Pour la composer, le couturier a fait son shopping de matières premières aux quatre coins du monde. La menthe, l’armoise, la cardamome, la bergamote, la lavande, la fleur d’oranger, la cannelle, le cumin, le santal, la vanille, le cèdre, la fève tonka et l’ambre se bousculent et s’entrechoquent dans une ambiance détonante. Le jus, débordant de sensualité, tourne la tête des hommes (et des femmes) depuis déjà presque dix ans (il a été lancé en 1995). Il fait toujours partie des best-sellers mondiaux.

Barbara Witkowska

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