Étang bucolique ou pièce d’eau épousant les lignes séduisantes d’une architecture contemporaine. Les piscines écologiques ou naturelles ont bien du charme. Tenté ? Voici les conseils des spécialistes.

Raphael Cornelis n’est pas paysagiste, encore moins jardinier. Il est architecte et fut ainsi chargé, avec ses collègues Harold Fallon et Benoît Vandenbulke du bureau AgwA, de la conception d’un garage pour voitures et gros matériel de jardinage.  » L’endroit se situe dans le Condroz, en pleine campagne, au milieu de prairies à vaches, explique-t-il. Nous avons donc opté pour la construction d’un hangar agricole, intégré au site par le choix des matériaux : la pierre naturelle et le bois. Les propriétaires nous ont également sollicité notre avis pour le creusement simultané d’un étang. Nous leur avons signalé que la situation géographique, à savoir le sommet d’une côte, n’était pas heureuse d’un point de vue urbanistique. C’est alors que l’idée d’une piscine s’est imposée. Nous avons immédiatement pensé aux abreuvoirs qu’on trouve dans les prairies. Le bassin a donc été coulé en béton brut. Il mesure 15 m de long, 2,40 m de large et a une profondeur de 1,20 m.  » Nous aurions pu réaliser une piscine avec traitement traditionnel au chlore. Nous avons plutôt opté pour les techniques d’épuration naturelle, pour lesquelles, nous avons fait appel à des spécialistes.  »

Les premières piscines écologiques ou naturelles construites en Belgique l’ont été par des spécialistes en épuration des eaux. Ceux-ci sont notoirement plus présents dans le nord du pays, comme certaines des réalisations les plus intéressantes, d’ailleurs. Servaas Blockeel est l’un de ces spécialistes. Il compte à son actif la construction d’une piscine en béton. Le principe d’épuration consiste en une chute qui transfère l’eau dans un bassin-filtre où poussent des plantes. Ce filtre d’épuration a non seulement un côté esthétique mais provoque une oxygénation permanente de l’eau et des bonnes bactéries qu’il contient. Car qu’est-ce qu’une piscine écologique, sinon un système d’épuration des eaux, basé sur la technique du lagunage ? L’eau  » souillée  » est mise en contact avec des plantes aquatiques qui se nourrissent de ses  » impuretés « . Ce sont des micro-organismes, fixés sur les racines, qui effectuent le travail en dégradant les matières organiques contenues dans l’eau. Ces micro-organismes les transforment ainsi en aliments, utilisés par les plantes pour leur croissance.

Un étang ou un lac propre ? Essentiellement localisée le long des berges, une ceinture de plantes participe ainsi à l’épuration du milieu aquatique. C’est sans aucun doute ce prodige de la nature qui a généré le succès des piscines écologiques en Allemagne et, plus encore, en Autriche. Dans un récent article, le très sérieux journal anglais  » The Garden  » estimait que plus de 70 piscines publiques fonctionnaient sur ce mode dans ces deux pays, depuis l’édification de la première en 1998. Quant aux piscines privées bâties sur le même principe, on les compte aujourd’hui par milliers.

L’essentiel des piscines naturelles, telles qu’on peut les rencontrer chez nous, sont plus sophistiquées. Les eaux pures et la partie  » filtrante  » sont ainsi séparées en deux bassins contigus. Pour que la nature puisse agir, ces deux entités doivent être en contact permanent. Plus précisément, l’eau qu’elles contiennent doit circuler en permanence, été comme hiver. Elle s’évacue de la piscine vers la zone de lagunage par gravité naturelle et elle est ainsi mise au contact du biotope autour des racines. Pour boucler le cycle, l’eau est pompée à la base de la zone de lagunage et réexpédiée au bout de la piscine. Ces pompes sont équipées de filtres qui permettent notamment d’évacuer des particules minérales.

Technique et esthétique

Le secret d’une piscine naturelle efficiente est d’optimaliser le fonctionnement de cette petite usine bactérienne en un minimum d’espace, compte tenu du fait que le volume de la zone d’épuration équivaut au cinquième de celui de la piscine. C’est ici qu’intervient la pierre de lave, dont les pores constituent autant de nichoirs, de refuges pour les bactéries.

En résumé, une zone de lagunage est une sorte de citerne qui peut atteindre 1,80 m de profondeur. Bourrée de pierres de lave, elle est plantée d’espèces qui poussent d’habitude le long des berges des cours d’eau et dans les zones marécageuses. Le rôle des plantes dépasse la simple dégradation des matières organiques. La piscine naturelle doit en effet faire face à d’autres enjeux, à savoir détruire des germes nocifs comme les coliformes, la salmonelle, les streptocoques ou les germes responsables du botulisme. C’est ce que réalise, par exemple, un roseau comme Acorus calamus.

Ces principes étant établis, reste à construire la piscine naturelle. C’est ce que font, avec leur personnalité et leur sens de l’esthétique propre à chacun, les différents entrepreneurs dont nous avons pu voir les projets. Leur intervention porte à la fois sur la création de la zone de lagunage et sur la réalisation d’une piscine de type traditionnelle, c’est-à-dire un bassin étanche et propre, habillé d’un revêtement en matière synthétique. Hormis le béton, trois types essentiels de matériaux sont utilisés : le polyester et deux  » liners  » : l’EPDM, une membrane en caoutchouc synthétique, et le Polyolefin, élaboré à partir de plusieurs couches de polyéthylène.

Propriétaire avec son épouse Karin de la pépinière De Watertuin spécialisée en plantes aquatiques, Peter Bronswijk est un amoureux des étangs et de leur biotope. Il met un point d’honneur à démontrer que les piscines naturelles peuvent prendre place même dans de tout petits jardins. La dimension d’une pièce (20 m2) peut suffire. Il est un des rares à utiliser le Polyolefin, parce que sa durée de vie garantie est plus importante que ceux des liners similaires.

Lode Bourez et Servaas Blockeel, eux, utilisent tous les deux de l’EPDM. Tout en étant l’un des premiers à avoir appliqué les techniques de l’épuration par lagunage aux piscines écologiques, Lode Bourez est aussi un pionnier dans de nombreux domaines. Quant à son fils Karel, il a mis au point une pompe immergée capable de faire circuler 80 000 litres d’eau à l’heure en utilisant seulement 350 watts. Ses réalisations comptent également un système de contrôle permanent du niveau de l’eau, de manière à ce que le lagunage ne soit jamais à l’arrêt.  » Même en hiver et même sous nos climats, on doit tenir compte de l’évaporation naturelle « , souligne Lode Bourez.

Du point de vue technique, Servaas Blockeel rejoint Lode Bourez en de nombreux points. Tous deux, par exemple, comptent à leur actif, la reconversion d’anciens plans d’eau en piscines naturelles. Les photos prises avant et après les transformations sont des plus convaincantes quant à la qualité et à la transparence de l’eau offerte aux nageurs.

Problèmes et solutions

Guy Bohyn, pour sa part, propulse de l’air dans le fond de ses piscines naturelles, à l’aide de tout petits tuyaux, dispensant de microbulles d’oxygène. Ce n’est pas la seule originalité de ce spécialiste qui, à la différence de ses collègues, réalise ses bassins en polyester. Selon lui, ce revêtement présente plusieurs avantages : flexibilité dans la réalisation des formes, sans raccords et plis, résistance, notamment pour les entretiens, possibilité de colorer le fond de la piscine sur mesure (la gamme de coloris des liners est limitée) et durée de vie.

Quelle que soit l’option choisie, les propriétaires de piscines naturelles doivent compter avec la nature. Il leur faut donc apprendre à faire face à ses caprices. Parmi les plus ennuyeux figurent les algues, qui peuvent se développer et rendre la natation peu agréable. Cela arrive plus particulièrement en début de saison et surtout si l’eau utilisée est riche en nitrates et en phosphates, comme l’eau de la nappe phréatique dans une région d’agriculture intensive.

 » Si votre piscine écologique est bien conçue, note Lode Bourez, le biotope retrouvera son équilibre en quelques jours. Nous avons des problèmes dans environ 10 % des cas. Nous proposons alors un système à base d’ultrasons. En tout cas, je trouve complètement incohérents ceux qui proposent d’utiliser des herbicides chimiques ou à base de métaux lourds. Pourquoi respecter la nature pour la combattre ensuite ?  »

D’autres techniques modernes peuvent encore être utilisées, comme les UV qui combattent le développement des bactéries libres dans l’eau, groupe auquel appartiennent les micro-organismes pathogènes. Les bactéries fixées sur un substrat, celles que l’on trouve sur la pierre de lave, ne sont pas touchées par ce rayonnement. Pour obtenir un beau résultat, toutes ces considérations techniques sont utiles, voire indispensables. Mais une fois maîtrisées, on peut alors s’abandonner à l’extrême poésie que la piscine naturelle procure au jardin… Comme ce plan d’eau rectangulaire positionné dans l’axe d’une drève de hêtres ou ce canal qui semble sans fin imaginé par le pépiniériste et entrepreneur Marc Moris pour son jardin privé.

Carnet d’adresses en page 60.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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