Un des cuisiniers les plus doués de sa génération, Corey Lee, concocte le menu du restaurant gastronomique du nouveau musée d’art moderne de San Francisco, le SFMOMA, avec plusieurs confrères. L’un des plats y est signé par le Bruxellois Christophe Hardiquest.

 » Benu, mon restaurant, est situé à 100 mètres du musée d’art moderne de San Francisco. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’ai été choisi pour mener à bien ce projet de restaurant qui verra le jour avec la réouverture du musée lui-même, en juin prochain.  » Corey Lee peut être considéré comme une étoile filante au firmament de la gastronomie mondiale. Son ascension au sein du guide Michelin a en effet été spectaculaire : sa troisième étoile lui a été attribuée en 2014 soit quatre ans seulement après l’ouverture de son établissement !

Le parcours de ce jeune Américain, né en Corée, est tout aussi impressionnant. Lorsqu’on lui demande quel fut l’élément déclencheur, Corey plonge dans ses souvenirs :  » A l’âge de 16 ans j’ai suivi un cours d’été en littérature anglaise. Une de mes condisciples était une jeune Française assez unique en son genre. A l’issue de ces cours, j’ai pris un billet d’avion pour Paris. Je suis tombé amoureux de l’art de vivre « Made in France », de la nourriture et de la relation que les gens entretiennent avec elle.  » Plus tard, en attendant d’intégrer une université new-yorkaise, Corey Lee travaille à SoHo, au Blue Ribbon.  » C’était en 1995 et j’avais 17 ans. Le soir, je bossais en salle, jusqu’à 2 heures du matin.  » Il ne rejoindra finalement jamais les bancs de l’université, leur préférant les fourneaux. Durant les six ans qui suivent, il prend le chemin de tout apprenti ambitieux, essayant de collectionner les maisons réputées.  » Je n’ai pas pu accomplir un de mes rêves d’alors et partir en France, avoue-t-il toutefois. J’ai envoyé ma candidature à tous les 3 et les 2-étoiles de l’Hexagone, sans jamais recevoir de réponse…  » De 2005 à 2009, il deviendra finalement chef de cuisine au French Laundry de Thomas Keller, celui-ci ayant été classé plusieurs années de suite comme meilleure adresse des Etats-Unis. Le jeune homme y excellera dans les bases des gastronomies française et américaine modernes. En parallèle, il développera son intérêt pour les spécialités asiatiques, avec une nette préférence pour celle des provinces chinoises. Il dévorera la littérature existante et se mettra à explorer le pays.

Aujourd’hui, la carte de Benu reflète l’atmosphère typique de San Francisco, une ville multi-ethnique où les communautés se sont fondues avec une symbiose certaine :  » J’explore des saveurs asiatiques qui s’harmonisent avec des idées, une esthétique occidentale, ce qui, in fine, reflète mon propre itinéraire évoluant entre deux cultures.  »

Pourtant lorsqu’il s’est agi de créer le concept d’In Situ, au nouveau musée d’art moderne, Corey Lee a choisi de laisser la parole à d’autres confrères.  » Le musée a été fermé durant deux ans, pour des travaux d’agrandissement, afin d’abriter l’importante collection privée d’art contemporain des fondateurs de la chaîne GAP, Doris et Donald Fisher. J’ai donc raisonné de la même manière en composant une collection de mets qui pourraient être considérées comme des pièces maîtresses des cuisiniers que j’ai sélectionnés.  » A l’évidence, le menu suivra les saisons et les nonante plats ne figureront pas à la carte en même temps.  » L’idée est aussi de rendre accessible à un large public ces préparations iconiques. Tout le monde n’a pas l’occasion de réserver une table ou de se payer le menu chez René Redzepi (Noma, à Copenhague), Alice Waters (Chez Panisse, à Berkeley) ou Albert Adrià (Tickets, à Barcelone)…  » Trois Belges figurent dans cette liste : Peter Goossens (Hof van Cleve, à Kruishoutem), Kobe Desramaults (In de Wulf, à Dranouter) et Christophe Hardiquest (BonBon, à Bruxelles).  » Je me sens une responsabilité envers toutes ces personnes, celle d’arriver à reproduire les saveurs, l’esprit, et le design de chaque plat, souligne l’Américain. Certains m’envoient le déroulement sous forme de vidéo et je profite de l’occasion qui m’est offerte pour découvrir des gens que je n’avais jamais rencontrés, à l’image de Christophe Hardiquest.  » Armé de sa plume, Corey Lee annote la recette qu’il a reçue. Son iPhone à la main, il enregistre les étapes clés, prenant garde à fixer les gestes, les textures, le dressage. Mieux, il extirpe une petite latte de sa sacoche pour mesurer l’assiette qui est employée.  » C’est un grand professionnel et un vrai perfectionniste, relève le chef de BonBon. Dans ma préparation par exemple, tout est important : le taux de matières grasses de la crème qui porte les autres saveurs et leur donne de la longueur ; l’utilisation d’échalotes crues pour le côté piquant… C’est une gourmandise iodée et fraîche qui s’appuie également sur des différences de texture.  » D’ici à quelques mois, cette spécialité pourra être dégustée à San Francisco.  » Bien entendu cela me touche que Corey m’ait demandé de collaborer, commente le Bruxellois. J’ai planifié un voyage en Californie pour l’an prochain. Il est clair que je répondrai à son invitation et lui rendrai visite. Il est toujours enrichissant de voir un cuisinier dans son univers, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un grand.  »

Corey Lee, www.benusf.com. Christophe Hardiquest, www.bon-bon.be

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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