A l’heure du texto, on aurait pu les croire bons pour le musée. Pourtant la vente des stylos de luxe s’emballe. Zoom sur les plus belles plumes du moment.

Lors de la signature de traités de paix internationaux ou de gros contrats d’affaires, ils sont là, au premier plan. On les retrouve aussi à côté des livres de condoléances. C’est leur encre qui sèche au bas des tout gros chèques. Eux toujours qui paraphent les textes de lois et entérinent la nomination des ministres. Pour tous ces instants solennels, c’est rarement le Bic – aussi léger, pratique, étanche (du moins la plupart du temps) et jetable soit-il – qui tient la vedette. Mais plutôt un stylo à réservoir, plus que probablement un Montblanc Meisterstuck d’ailleurs, le père des stylos prestigieux et le plus imposant d’entre eux, objet d’un effort marketing constant.

Le recours aux textos, aux e-mails et la généralisation des cartes à codes ou à puces aurait pourtant pu laisser croire qu’écrire à la main ferait bientôt partie du passé, si l’on excepte bien sûr la rédaction de l’un ou l’autre mémo occasionnel ou la signature d’une carte d’anniversaire. Mais ces cinq dernières années, les ventes de stylos ont augmenté de près de 20 %. Et la demande pour les sous-mains élégants a pris le même chemin.  » Toute avancée technologique s’accompagne généralement d’un certain retour en arrière, dans ce cas précis, une envie de redécouvrir le plaisir d’écrire les mots à la main, analyse Nicola Leadley, marketing manager à l’international de Cross qui s’apprête à lancer Apogée, une ligne de stylos en or super-premium. Les gens veulent écrire avec un stylo et de l’encre car c’est plus personnel. Cela requiert aussi une certaine aptitude que les écoles tendent à nouveau à encourager chez les enfants : car lorsqu’on écrit au stylo, il faut davantage faire attention et l’on forme mieux les lettres. « 

Ecrire au stylo est pour beaucoup un plaisir physique mais oublié : on redécouvre ainsi sa véritable écriture qui apparaît au travers du flot libre et régulier de l’encre tout en ayant l’impression de laisser une trace d’importance sur papier, même s’il s’agit seulement de sa liste de courses…

Le revival du stylo s’explique également par le retour en grâce de l’artisanat qui fait que l’on préfère aujourd’hui un objet unique à un objet pratique. Le marché des collectionneurs ne s’y est pas trompé : les stylos anciens en laque, en argent ou en or des années 1920 à 1940 sont particulièrement prisés des salles de vente, pou-vant atteindre des montants dépassant les 230 000 euros.

Un objet personnel

Car, contrairement au dernier gadget électronique du marché, un stylo est réellement un objet personnel, pas uniquement d’ailleurs grâce aux designs audacieux que l’industrie s’est autorisée ces dernières années. Ainsi les modèles d’Oma arborent les dessins de créateurs de manga japonais. Faber-Castel utilise pour sa part de l’ivoire de mammouths fossilisés. Quant à Caran d’Ache, il a fait appel au créateur Mario Botta qui signe un stylo inspiré du Bauhaus habillé d’une plume de paon. A l’usage, la plume aussi se façonne, reflétant la prise en main de son propriétaire, l’une des raisons pour lesquelles un stylo ne se prête pas, (l’autre étant tout simplement qu’on risque de ne jamais le revoir).

Certes, la taille et la ligne du modèle importent dans le choix – les plus grands signés Montblanc et Pelikan offrent un plus grand réservoir – mais c’est réellement la plume qui au final fait toute la différence. Les plus récentes peuvent être plus rigides que leurs cousines vintage, ce qui est sans doute une bonne chose si vous avez la main lourde mais surtout, elles sont plus douces, ce qui frustrera les nostalgiques du crissement du stylo sur le papier.

Toutefois, selon Patrick Rudomino, directeur de Montegrappa, le fabricant italien de stylos qui ouvre ce mois-ci sa première boutique à Londres, la qualité de la plume n’est pas la seule nouveauté notable. Les pistons plus doux permettent aussi de remplir le réservoir du stylo plus facilement, les encres aussi sont plus fines ce qui assure une meilleure fluidité. Le corps du stylo en résine renforcée ou pour les modèles les plus luxueux en celluloïd se fait doux au toucher.  » Autrefois, il pouvait arriver que le stylo ait une vie propre, une personnalité forte et n’en fasse qu’à sa tête, plaisante Rudomino. Mais, si en apparence le stylo à réservoir n’a pas changé de nature, la technologie d’aujourd’hui en fait un produit bien plus sophistiqué qui résiste, par exemple, aux différences de pression lorsque l’on prend l’avion. Oubliés donc les risques de taches d’encre sur la chemise à l’arrivée. « 

Un luxe accessible

Mais le stylo doit davantage son retour à l’avant-scène à son statut d’objet à haute valeur symbolique. C’est un objet de luxe accessible qui suggère que celui qui le possède occupe un certain statut social. Encore aujourd’hui, des modèles meilleur marché dotés de plumes en acier inoxydables offrant quasiment les mêmes qualités d’écriture sont offerts aux enfants pour marquer le passage à l’âge adulte alors que les stylos de prestige se transmettent, comme les montres, en héritage. Toutefois, selon une récente étude réalisée par Mintel, les 25-35 ans seraient les moins enclins à utiliser un stylo à réservoir, trop souvent synonyme de maturité.

Une expérience sensuelle

Les membres d’un comité de direction sur le point de conclure un deal important savent que le stylo qu’ils sortiront de l’élégant étui qu’ils ont en poche en dira long sur eux-mêmes, qu’il porte le nom de l’une des prestigieuses marques dont nous venons de parler, d’un classique Parker, Dunhill ou Waterman (du patronyme de celui qui en 1884 inventa le stylo) ou, au contraire, de l’un des nouveaux venus plus branchés comme Conway Stewart, Nakaya, voire même Armani qui vient de lancer sa première ligne de stylos.  » Ecrire au stylo, c’est une expérience très sensuelle : il y a le crissement que fait la plume lorsqu’elle glisse sur le papier, le claquement du capuchon que l’on referme, semblable à celui que peut faire la portière d’une voiture de luxe « , ajoute Jean-Marc Pontroué, vice-président de Montblanc, une marque qui, au travers de sa diversification dans les montres et la haute joaillerie, confirme l’attrait pour son nom et partant, son produit de base.  » Quelqu’un qui sort son stylo, cela suggère une forme de pouvoir, conclut Jean-Marc Pontroué. Un beau stylo est aussi romantique qu’une montre mécanique. En fait, ce n’est pas juste un stylo, c’est un instrument d’écriture. « 

Josh Sims (adaptation Isabelle Willot)

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