Balade dans l’extrême sud du pays, entre Pondichéry et Madurai. Des rouleaux de la mer du Bengale aux villes-temples hindouistes, plongée dans la luxuriance des Indes tropicales.

Dans l’extrême sud du sous-continent, le Tamil Nadu (pays des Tamouls) est un brasier de l’hindouisme connu pour ses temples-montagnes et son authenticité vibrante. On n’en revient pas d’y trouver une cité  » française « , avec un front de mer calqué sur la Croisette, où des policiers à képi surveillent les tournois de pétanque : Pondichéry. Loin des chaos surpeuplés du nord, cette ville harmonieuse aux rues ombragées déroule hôtels de grand charme et boutiques alibabesques face aux rouleaux grondants du golfe du Bengale. Ses rues s’appellent Dumas ou Surcouf, elle a son monument aux morts de 14-18 et sa statue de Jeanne d’Arc. Ce qui n’exclut pas le parfum suave des frangipaniers, le coup de trompe amical d’une éléphante au temple… Toute l’Inde lui ressemblerait sans doute si les rêves de son gouverneur Dupleix avaient reçu un ferme soutien de Louis XV. Aujourd’hui, ce décor dissimule une grande ville tamoule (4 millions d’âmes) branchée sur l’Europe. Cette  » France des cocotiers  » qui émoustille est récupérée par les riches Indiens du nord, qui rachètent à prix d’or ses maisons de style colonial aux plafonds hauts. Enfin,  » Pondy  » reste la mère des Mauriciens et des Antillais hindous, dont les aïeux embarquèrent ici voilà 150 ans…

Si le tamil nadu ouvre sur tous les ports de la planète, c’est avant tout un jardin nourricier. La plaine côtière filant vers le sud est un feu d’artifice végétal, où les bataillons de cannes à sucre vert fluo donnent la réplique à de vastes rizières dont les reflets ouvrent un second ciel. Toute une chlorophylle en folie composée d’arbres utiles : cocotiers, papayers… Derrière la mare où les buffles se vautrent parmi les lotus, les chaumières aux toits de palme, modestes, pas miséreuses, se dressent des murs indigo ou safran. Le Tamil Nadu, dont la capitale est Madras (Chennai, 6 millions d’habitants), est le deuxième Etat contributeur au PNB, un géant de l’industrie qui se rêve en Silicon Valley. L’origine de cette grandeur ? Travailleur et instruit, son peuple, le plus ancien d’Inde, a bâti les cités de l’Indus au temps des pyramides égyptiennes et a donné au pays Shiva, son dieu. A cent lieues de l’Asie turbulente, ses empires rêvaient de haute mer, accueillant les navires de Rome, envoyant leurs flottes planter le trident hindou sur l’Asie du Sud-Est.

A Tanjore, l’ancienne capitale culturelle, on est estomaqué en découvrant le Brihadishvara. Haut comme le premier étage de la tour Eiffel, c’est le plus grand temple de l’Inde. Il est né vers l’an mil, grâce au butin raflé de Ceylan jusqu’à Java par des armées féroces. Classé au Patrimoine mondial par l’Unesco, c’est un champignon géant qui fait flamboyer jusqu’au ciel des millions de divinités, tournoyant sur fond de paons faisant la roue, jusqu’à la coupole finale de 80 tonnes. Dans chaque niche, un dieu se déhanche, étire ses bras multiples. Quel chemin depuis les fastes naïfs de Mahabalipuram, complexe plus ancien, près de Madras… Sans compter qu’au temple de Tanjore, on prie depuis mille ans ! Torse nu, le front barré de craie, des pèlerins venus de loin y honorent l’ombrageux Shiva, représenté par un taureau de 25 tonnes.

Petite ville douce à vivre, Tanjore cultive toujours les arts initiés par ses rois successifs, bronzes (sans égaux en Inde, ceux de la dynastie des Cola ont leur musée au palais du raja), icônes dorées, danses savantes, musique extatique.

Un peu plus au sud, des bourgs fantômes hantent la campagne du Chettinad. En pleine brousse à cactus, cinq ou six rues alignent des palais délabrés du plus pur style tutti frutti – arches gothiques ou frontons Art déco mixés avec les stucs et lanterneaux indiens. Absolument irrésistible ! Ici vivaient des marchands cossus, pratiquant l’import-export avec Londres et la Chine, les prêts aux Britanniques et aux rois locaux : l’indépendance les balaya. Dans les rues désertes, une Jaguar signale un de leurs descendants, sommité de Durban ou de New York venue participer aux fêtes familiales. Il fait aimablement visiter : marbre de Carrare, lustres en cristal de Bohême, escalier victorien en fonte, céramiques du Japon… Un luxe mondialisé avant l’heure, ennobli par le reflet profond du teck, arbre de Birmanie, décliné en colonnes très pures et en portes ciselées. Hindou, Chrétien ou musulman, l’Indien est champion en piété. Le problème, ce sont les démons. Ici, on les repousse en dessinant des mandalas devant les maisons bardées d’effigies grimaçantes, on protège les temples avec des statues d’obèses à moustaches roulant des yeux fous. Dans le sanctuaire de Chidanbaram, des gargouilles géantes façon Druillet permettent à Shiva d’exécuter la danse cosmique sous des plafonds en bois de rose. Dans un raffut de cloches, les rideaux de brocart dévoilent des idoles entortillées de linges, pendant que des cris énergiques réclament au dieu sa présence. La moiteur fait couler la craie appliquée sur le front des fidèles, conférant aux visages un teint livide.

A Madurai, les temples s’élèvent bien au-dessus des maisons. Connue des Romains, c’est la capitale du royaume du Sud depuis les temps immémoriaux où sa princesse épousa Shiva. Au temple Parankudram, leur couple patronne une école pour enfants brahmanes : coiffés de chignons compliqués, ils bachotent leurs rituels sur des manuscrits en palmier… pendant que, 3 mètres plus haut, la foule se presse en riant dans des passerelles en grillage qui mènent aux chapelles. Simple hors-d’oeuvre avant l’Olympe de l’hindouisme : un temple grand comme une ville qui occupe le centre de Madurai. C’est de là que Minaksi, la princesse aux yeux en forme de poisson, devenue Parvati la déesse, scrute l’âme de ses fidèles. Foisonnant de statues, 11 gopuras (pylônes), hauts de 50 mètres, ceignent cette immense ruche à bénédictions, où bourdonnent chaque jour 15 000 fidèles. On y croise 100 000 dieux, qui dansent dans des corridors géants, des idoles informes et noires, croûtées de pétales et d’épices, qui sentent le jasmin et le lait tourné. Shiva aime ceux qui lui offrent ici 1008 conques rangées en spirale. Lisez les miracles qu’il a accomplis et joignez les mains : vous êtes ici chez lui.

PAR JACQUES BRUNEL

La plaine côtière est un feu d’artifice végétal, où les bataillons de cannes à sucre vert fluo donnent la réplique à de vastes rizières.

Ici, on protège les temples avec des statues d’obèses à moustaches roulant des yeux fous.

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