Depuis leur rénovation, les  » volcans  » imaginés par l’architecte Oscar Niemeyer font à nouveau trembler Le Havre. Ajoutez-y les oeuvres d’Auguste Perret ou un vieux port en pleine renaissance, et vous obtenez une ville façonnée pour séduire les passionnés d’esprit fifties.

« Lorsque je suis arrivée au Havre, à la fin des années 90, j’ai cru un instant avoir atterri à Bucarest « , avoue l’employée qui nous accueille à la réception du charmant hôtel Oscar, baptisé en l’honneur du grand architecte.  » Je me suis dit que je ne resterais pas plus d’un an ou deux… Mais finalement, je m’y plais bien. Quand le soleil éclaire ses façades roses, la ville dévoile même un charme certain.  » Par endroits, cette cité longtemps considérée comme le vilain petit canard de l’Hexagone a presque un air de Brasilia. Reconstruite à grand renfort de béton dans les années 50-60 suite aux bombardements de 1944, elle s’impose comme une ville nouvelle. Et ce même si elle reste avant tout un port accosté par les paquebots en provenance de New York ou des Caraïbes, expliquant sa mentalité plus libérale que dans le reste de la très rurale Normandie…

MAGICIENS DU BÉTON

À côté du bassin du Commerce, dans le centre de la ville, s’achèvent les travaux de restauration d’un site que les connaisseurs considèrent comme l’une des plus belles créations d’Oscar Niemeyer : celui où trônent les fameux  » volcans  » conçus par le célèbre architecte brésilien en 1982. Le petit abrite la médiathèque et la gigantesque bibliothèque municipale, qui rouvriront leurs portes d’ici la fin de l’année. Le grand, sobrement baptisé Le Volcan, accueille quant à lui une magnifique salle de théâtre et un club de jazz. Sa forme se situe à mi-chemin entre la cathédrale de… Brasilia et une île flottante.

Autre architecte ayant marqué la ville de son empreinte : Auguste Perret.  » Un personnage exceptionnel « , nous confie Vincent Duteurtre, l’un de ses  » collègues  » havrais. Né en Belgique où son père parisien s’était réfugié après son implication dans la Commune, l’homme a reçu au Havre un accueil assez mitigé.  » Après la guerre, la plupart des habitants espéraient voir la ville reconstruite dans un style néo-normand, aux antipodes de l’Art déco très épuré de Perret.  » Oui mais voilà : ce fils d’un tailleur de pierre exploitait avec ses frères une entreprise spécialisée dans… le béton. Le produit était manifestement d’une qualité remarquable : plus d’un demi-siècle plus tard, il accuse à peine le passage du temps.  » Perret l’a utilisé comme une pierre naturelle, en y intégrant des poudres de marbre et des coquillages afin de créer des surfaces et des nuances de couleurs très variées « , explique notre interlocuteur.

Ces particularités font de la ville normande un jalon majeur de l’architecture en béton. Contrairement à Brasilia, Le Havre reste néanmoins une ville tout en lignes pures et au tracé rectiligne. Auguste Perret a utilisé  » son  » béton tel un magicien, créant de superbes avenues et une colossale église dédiée à saint Joseph. Celle-ci, dotée d’une tour creuse de plus de cent mètres de hauteur, est d’autant plus originale que l’homme était athée. Bien sûr, il faut souligner que si Perret a été choisi comme bâtisseur du Havre nouveau, c’est aussi parce que le béton était bon marché. Vincent Duteurtre poursuit :  » La ville a d’ailleurs constitué l’une des premières et des plus importantes expériences dans le domaine de l’architecture préfabriquée. Nombre d’éléments des façades et des parois intérieures ont été coulés à l’avance.  » Résultat : une cité à la fois moderne et classique, avec des colonnades et des corniches qui lui apportent une touche néoclassique empreinte de grandeur…

VILLE ROUGE ?

Beaucoup s’imaginent que Le Havre est une création des communistes. La raison : ceux-ci ont dirigé la ville pendant de longues années, c’est un maire d’extrême gauche qui a invité Oscar Niemeyer à venir y construire son Volcan et, surtout, jusqu’au début du XXIe siècle, la cité est restée dans un indéfectible état de délabrement.  » Jusqu’au tournant du millénaire, Le Havre était négligée, pleine de chancres et de bâtiments à l’abandon, qui n’étaient pas sans rappeler les grises cités d’Europe de l’Est. Et côté touristes, on ne voyait passer que quelques passionnés d’architecture « , se souvient Vincent Duteurtre. Au prix de longues années d’efforts d’inventorisation et de sensibilisation, ce dernier et une poignée d’historiens sont toutefois parvenus à changer les choses, notamment en faisant inscrire la ville, en 2005, sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis, les restaurations vont bon train. Le Havre est devenu un vrai pôle d’attraction touristique, et l’économie locale est en plein boom.  » Certes, on y accueille surtout des férus d’art et de design, plutôt que les touristes habituels de la Normandie « , précise Nathalie Jegousse, la directrice de l’hôtel Oscar qui, collectionneuse d’objets vintage, a décoré son établissement en se promenant sur les marchés aux puces.  » Mais c’est un début !  »

Parmi les attractions incontournables, se démarque notamment l’Appartement Témoin, reconstitution intégrale (cuisinière, jouets d’enfants, produits de beauté…) d’un logement de 1946, recréé dans l’un des immeubles de la ville. Pour imaginer ce projet, Vincent Duteurtre a rassemblé une étonnante collection de meubles et objets design. Autre bâtiment à découvrir : le musée d’Art moderne André Malraux (MuMA), ouvert en 1961, qui a bénéficié de la collaboration de Jean Prouvé et pourrait bien avoir inspiré Mies van der Rohe pour la création de la célébrissime Neue Nationalgalerie à Berlin. En plus d’être un musée moderne de toute beauté offrant une jolie vue sur le port, le lieu possède une collection exceptionnelle d’oeuvres des plus grands impressionnistes, de Renoir à Monet en passant par Manet, Degas et bien d’autres. Etonnant ? Pas tant que ça, puisqu’on oublie souvent que la région a été le berceau de ce courant artistique…

NOUVEL ÉLAN

Direction, ensuite, le vieux port et ses superbes entrepôts du XIXe siècle, qui sont aujourd’hui en plein renouveau. On peut notamment y piquer une tête dans la plus belle piscine de France, les Bains des Docks, construite en 2008 d’après les plans de Jean Nouvel. Réinterprétation contemporaine d’une maison de bains romaine, ce vaste complexe arborant saunas, spa et hammams se révèle délicieusement agréable. Non loin de là, autorisez-vous un détour par l’hôtel Dubocage de Bléville, une bâtisse séculaire aux lourdes poutres tout droit sortie de la Normandie d’autrefois, qui accueille actuellement une expo sur le commerce entre l’Orient et l’Occident. L’occasion de rappeler que, dans cette cité portuaire du XVIe siècle, le commerce du café, du coton, du sucre et du thé a fait la fortune de grandes familles d’armateurs et de marchands.

Un témoin subsiste : la Maison de l’Armateur, à l’entrée du port. Miraculeusement épargnée par les bombardements, cette perle architecturale est sans aucun doute l’une des plus belles maisons de France, construite en style directoire entre 1790 et 1800, en pleine période révolutionnaire. Le rez-de-chaussée a longtemps servi de pied-à-terre pour des rendez-vous galants, le théâtre n’étant autrefois qu’à un jet de pierre.  » À l’époque, Le Havre était une ville mondaine « , explique la conservatrice Elisabeth Leprêtre, passionnée d’intérieurs historiques qui a insufflé au bâtiment une vie nouvelle. La maison possède une série de salons intimes et de chambres organisés en carré autour d’une tour d’observation centrale. Son esthétique est exceptionnelle.  » Autrefois, les armateurs s’en servaient pour surveiller les navires en approche. Une chance qu’elle soit restée inoccupée pendant plus d’un demi-siècle et n’ait donc jamais été modernisée !  »

Avant de quitter Le Havre, n’oubliez pas d’aller manger un morceau dans les environs du marché au poisson, où sont installés d’excellents restaurants, pour goûter quelques plaisirs de la mer. Et s’il vous reste un peu de temps, n’hésitez surtout pas à faire une petite escapade à Harfleur, une ancienne bourgade portuaire remplie de maisons à colombages. Offrez-vous également une visite l’abbaye de Montivilliers, avant de vous rendre à Saint-Adresse, la cité balnéaire que Claude Monet adorait peindre et qui, au cours de la Première Guerre mondiale, servit brièvement de capitale administrative à la… Belgique.

PAR PIET SWIMBERGHE / PHOTOS : BERTRAND LIMBOUR

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