Travailleuse et fière, la cité a donné son nom au Portugal. Avec ses riches églises, ses maisons colorées accrochées aux falaises, ses ruelles médiévales, elle révèle aux promeneurs ses charmes cachés.

Guide pratique en page 106.

 » C oimbra chante, Braga prie, Lisbonne s’amuse et… Porto travaille  » : c’est ainsi que les Portugais ont coutume d’évoquer leurs cités. Bien vu. Avant de gagner le c£ur de Porto, il vous faudra ronger votre frein dans les embouteillages, puis vous perdre dans un dédale inextricable de rues barrées et de places hérissées de barricades pour cause de… grands travaux. Depuis quatre ans, Porto est un gigantesque chantier à ciel ouvert. On creuse des tunnels pour désengorger la ville, on installe le métro qui traversera le Douro, on se dote d’un théâtre et d’un stade flambant neufs… Cité laborieuse, berceau du Portugal auquel elle a donné son nom, capitale européenne de la culture il y a trois ans, Porto veut prendre le train de la modernité. C’est vrai qu’il y a du travail : la roche résiste aux excavatrices et met la patience des ingénieurs à rude épreuve. C’est comme si, accrochée à la falaise de granit, la ville n’en finissait pas de cultiver sa réputation : ici, tous les Portugais vous le diront, on défie le temps. Non sans orgueil.

Il faut, pour s’en convaincre, quitter les artères fébriles de la ville haute pour se perdre dans les venelles des quartiers de Guindais, en contrebas de l’église Santa Clara, longer le Cais da Ribeira jusqu’à l’embarcadère, pousser jusqu’à Miragaia. C’est là que se niche l’âme de Porto, dans la pénombre de ses ruelles médiévales qui dégringolent des collines, si raides et tortueuses qu’on en oublie toute frénésie. Ici, on vit hors du temps : les voitures sont rares, les piétonnes, attentives aux pavés meurtriers pour leurs talons de chaussures, le silence est tout juste traversé par le cri des mouettes. Derrière l’enfilade de solides arcades, de très anciennes maisons dressent leurs deux ou trois étages étroits et trapus. La ville est née là, dans ces quartiers populaires qui bordent le fleuve, avant de s’étager à flanc de colline en un saisissant panorama.

C’est en empruntant le pont Dom Luis I qu’on le perçoit le mieux : on voit alors un amphithéâtre de maisons serrées les unes contre les autres, grimpant à la verticale sur la colline de Pena Ventosa. Des façades jaunes, rouges, vertes, bleues, qui tranchent avec le gris du granit et du fer, si souvent employés ici. Du linge suspendu et des géraniums aux fenêtres. Des palais imposants. Une superposition de toits de tuiles, ponctuée de verdure et de remparts, avec, dressée comme un immense et baroque cierge de pierre, la tour des Clérigos : le plus haut clocher du Portugal, avec ses 76 mètres, qui a longtemps servi de point de repère aux bateaux de retour des colonies. Le matin et au crépuscule, quand le brouillard monte de l’Océan, la cité flotte, telle une extravagante silhouette. Il faut attendre le soleil pour qu’elle révèle ses couleurs pastel et les azulejos de ses églises.

Porto n’a certes pas la même langueur que Lisbonne, mais elle n’est pas construite en pierre calcaire comme la capitale lusitanienne, la  » ville blanche « . Porto, c’est la ville du granit : une roche qui lui donne son charme austère et fait aussi sa fierté. Elle lui a en effet permis de résister au temps, alors qu’une bonne partie de Lisbonne fut détruite par un terrible séisme en 1755.  » On a toujours bâti sur du solide, s’enorgueillit l’historienne Manuela Pinto da Costa. Cela nous a donné une volonté, un goût pour le travail dont nous sommes fiers. Même si cela nous a aussi rendus trop conservateurs.  » Solidaires aussi : on raconte que lorsque Henri le Navigateur, le prince natif de la ville, décida d’aller explorer les côtes africaines, les habitants ont donné aux marins leurs meilleures viandes pour le voyage, ne gardant pour eux que les tripes. Six siècles plus tard, les  » tripeiros  » (mangeurs de tripes, le surnom des habitants de Porto), continuent de les mettre à leur menu.

De leurs conquêtes par-delà les mers, les marins ont rapporté des trésors. Un étalage incroyable de ces richesses se trouve à l’église São Francisco, dont la nef, les murs, les statues, les voûtes et même les piliers disparaissent sous des bois sculptés entièrement recouverts d’or. Ce délire baroque aurait nécessité quelque 500 kilos du précieux métal acheminé du Brésil. Quant au palais de la Bourse, il abrite derrière sa façade sobre des salles décorées dans une débauche de styles û Renaissance, baroque, mauresque… û où l’or le dispute, là aussi, aux bois précieux.

La ville haute, elle, est vouée aux affaires. Dans la rue Santa Catarina, l’une des plus commerçantes, les enseignes modernes voisinent avec des magasins désuets où l’on propose du vin et de la morue mais aussi des semences pour potager… Dans une rue parallèle, rue Sà da Bandeira, une ravissante épicerie ancienne à la devanture ornée de carreaux de faïence vend du thé, du cacao, des fruits secs et les traditionnelles charcuteries portugaises à l’enseigne d’A Pérola do Bolhão. En face s’ouvre une grande halle, le Mercado do Bolhão, où l’on se presse entre les étals de poissons frais, de légumes, de viandes, de fruits et d’olives… Quant aux échoppes de  » barbeiros  » et de  » cabeleireiros  » (barbiers et coiffeurs) du quartier, elles offrent un véritable voyage dans le temps.

En remontant la rue de Cedofeita, on rejoint l’avenue da Boavista. La plus longue artère du pays, près de 7 kilomètres, file jusqu’à l’Océan. Après avoir traversé une zone de centres commerciaux, on arrive dans un autre Porto : c’est Foz do Douro, à l’embouchure du fleuve, et son atmosphère balnéaire. On a laissé les collines escarpées, les vieux pavés, les odeurs de lessive et de sardines grillées de Ribeira. Ici, tout est plat, balayé par l’air de la mer et le parfum des eucalyptus, plantés de part et d’autre de larges avenues bordées de villas cossues. L’été, la foule prend d’assaut les plages, flâne sur l’avenue du Brésil jusqu’à la jetée, surveille les bateaux qui remontent le fleuve pour vendre leur pêche au marché du Bolhão.

La fête la plus populaire se déroule à la Saint-Jean. Toute la ville défile alors en une joyeuse sarabande autour du pont Dom Luis I. Au milieu des danses et des agapes, on tape la tête de son voisin avec un petit maillet et on lui passe de l’ail et de la lavande sous le nez. Le Douro retrouve son allure d’antan : on hisse les voiles carrées des  » rabelos « , ces longues barques aux allures de drakkar qui ont jadis convoyé les fûts de porto jusqu’aux chais, sur l’autre rive du fleuve. Les propriétaires de cave alignent fièrement leur barque pour la régate. Le premier qui réussit à toucher le pont de son mât gagne : à Porto, on n’aime pas que le travail.

Corinne Thermes

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