Parler du bonheur deux jours après s’être fait dérober son sac renfermant ses précieux outils de travail (carnet d’adresses, stylo, dossiers…) est une expérience bizarre. Tellement contre-nature qu’elle en devient presque agréable. Un peu comme quand on se réveille d’un cauchemar, tout heureux d’en avoir réchappé mais encore légèrement groggy par l’expérience.

Pourquoi alors parler aujourd’hui de bonheur, sinon par masochisme ? Parce que la félicité et le bien-être trônent en tête des préoccupations. Même les économistes, pourtant peu enclins aux états d’âme, en sont devenus friands. Par un tour de passe-passe dont ils ont le secret, ils ont réussi à mettre en équation ce sentiment évanescent. En résulte une série d’indicateurs très sérieux comme le Bonheur national brut ou l’Indice du bonheur mondial. Même si on dirait des slogans pour Disneyworld, l’objectif est pourtant louable : prendre en compte le développement social et environnemental d’un pays pour établir son diagnostic.

Comme on se soucie de sa santé quand elle flanche, on se préoccupe de son confort quand il se dérobe. Plus le monde sombre dans la déprime, plus le besoin de positiver s’impose. L’optimisme forcené agit ainsi comme un antidote à la sinistrose.  » Envies de bonnes nouvelles « , s’exclamait d’ailleurs dernièrement Fanck Nouchi dans une chronique du Monde 2.

Encore faut-il savoir comment s’y prendre. Nager dans le bonheur n’est pas donné à tout le monde. Cela s’apprend. Flairant le filon, des éditeurs nous montrent la voie à suivre. Belfond vient ainsi de lancer une nouvelle collection baptisée  » l’esprit d’ouverture « . Objectif :  » Faire connaître aux lecteurs des livres marquants dans le domaine du développement personnel.  » Le premier auteur donne le ton : Tal Ben-Shahar, star des amphithéâtres dans la prestigieuse université Harvard, vole à la rescousse des éclopés de la béatitude. Au programme de L’apprentissage du bonheur : carpe diem et exercices pratiques. Exemple : se fixer des objectifs, mais sans chercher à tout prix à les atteindre. Rien de méchant. Rien de fracassant non plus. Plutôt des règles d’hygiène mentale élémentaires. On n’est pas très loin finalement des leçons d’Epicure, qui préconisait l’ataraxie, à savoir l’absence de trouble, à une course effrénée et souvent suicidaire au plaisir. Le bonheur serait-il une forme de sagesse ?

Après cette orgie de bonheur, on se prend à rêver d’un bon petit spleen…

Laurent Raphaël

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