Juliette Nothomb, publie, en hommage à sa sour cadette, le fameux écrivain, un livre de recettes ahurissant. Rencontre.

Environ 600 000 lecteurs avaient fait sa connaissance en 2004, sous la plume de sa s£ur, Amélie Nothomb, dans Biographie de la faim :  » J’avais faim d’un cataclysme, Juliette aussi. Nous n’en parlions pas. Nous étions déjà à ce stade qui est toujours le nôtre : nous n’avions plus besoin de nous parler. Nous savions ce que vivait l’autre : la même chose. [… ] Au Bangladesh, on m’avait appris que la faim disparaissait très vite : on en subissait les effets sans plus en subir la souffrance. Forte de cette information, je créai la Loi : le 5 janvier 1981, jour de la Sainte-Amélie, je cesserais de manger.  »

Amélie a alors 13 ans, Juliette, deux ans et demi de plus. Les deux s£urs, unies par une relation fusionnelle, quasi gémellaire, scellent ce pacte extrême. Leur anorexie durera deux ans, jusqu’à frôler la mort. Dans le torrent d’interviews déversées au moment de la promotion du roman, Amélie, interrogée sur son rapport à la nourriture, s’était dite définitivement guérie. Pour Juliette, figure récurrente de l’£uvre nothombienne, réfugiée dans sa vie anonyme en province, on n’a jamais su. Quatre ans plus tard, la revoici. En chair et en os, accompagnée de l’attachée de presse d’Amélie, dans la  » cantine  » parisienne d’Amélie (le Dôme), à deux pas de la maison d’édition d’Amélie (Albin Michel).

Jeans slim, chemisier blanc cintré, talons hauts comme des échasses, joli minois fardé, sourire éthéré sous une cascade de cheveux écumeux… Elle porte ses plus beaux atours, comme pour faire écho à la déclaration d’amour d’Amélie, toujours dans Biographie de la faim :  » Juliette, 10 ans et demi, était mon rêve. Quand on lui demandait ce qu’elle voulait devenir à l’âge adulte, elle répondait :  » Fée.  » En vérité, elle en était une de toute éternité, comme le prouvait son joli visage toujours dans la lune.  » Entre la fée coquette et le lutin halluciné, un trait commun cependant : le timbre de la voix et l’accent vaguement belge, troublants de similitude.

A peine trois mois après la sortie massue du Fait du prince, 17e titre d’Amélie, Juliette entame la promotion de son premier livre : La Cuisine d’Amélie, sous-titré 80 recettes de derrière les fagots (Albin Michel). Autant dire un ovni débarquant par surprise sur la planète consensuelle des recueils culinaires. Pas de belles photos au stylisme méticuleux, mais des saynètes décapantes du dessinateur Jul. Aucun texte dégoulinant de mièvrerie, mais des anecdotes, souvenirs et conseils brodés avec un humour de famille. Et vous n’avez pas encore lu les recettes… Elles ont été créées  » en hommage à ma muse inspiratrice si chérie [… ], sur son autel – autrement dit, en fonction de ses prédilections, ou alors tout simplement de sa gourmandise éclairée « , prévient l’introduction.

Au menu, des prouesses pas piquées des vers extraites des romans d’Amélie et des délires boulimiques conçus sur-mesure en fonction de ses péchés gloutons, du chocolat blanc au thé vert, en passant par la courgette, le cassis ou le chicon. Pêle-mêle : l’alexandra, cocktail favori du personnage Prétextat Tach dans Hygiène de l’assassin, mélange ubuesque de crème de cacao, de cognac, de lait concentré sucré et de beurre ; les Saint-Jacques à la kumquette d’huîtres, méli-mélo flattant l’obsession d’Amélie pour les fruits de mer, le kumquat, la noix et la coriandre ; ou encore le signal de Botrange, dédicace orgiaque à la Belgique natale, composé, tenez-vous bien, d' » un fond croustillant aux spéculoos et pavot noir, surmonté d’un bavarois au safran moulé en dôme sous un biscuit roulé à la confiture de fraises et enjolivé d’une ceinture de grosses fraises de Wépion entières scellées à la gelée de groseille « . Point culminant de cette chaîne de montagnes sucrées et ultracaloriques, le mont-fuji. Une version japonisante du mont-blanc où la meringue est agrémentée de sésame blanc, la crème de marrons, remplacée par de la pâte de haricots rouges, et la chantilly, parfumée au thé matcha.

Juliette nous propose aimablement une démonstration dans les cuisines du Dôme. En fouettant énergiquement la crème dans le cul-de-poule :  » J’aime inventer des plats de circonstance, qui racontent nos souvenirs d’enfance à Tokyo, à New York ou à Pékin. J’ai eu l’idée du mont-fuji en novembre 2007, quand Amélie est venue à Lyon pour une signature. A la première cuillerée, elle a poussé un râle orgasmique qui résonne encore dans ma tête « . Quand la chantilly est prête, elle se met à sculpter son sommet verdâtre à la fourchette, puis ajoute les haricots rouges dans le cratère. On n’est pas très pressé de goûter. Elle insiste :  » Dépêchez-vous avant que mon mont-fuji ne se transforme en volcan d’Auvergne !  » Passé l’impression gloubiboulguesque, c’est finalement assez bon.

Jointe par téléphone, Amélie, cobaye consentant de ces élucubrations pâtissières et  » facteur  » du manuscrit chez Albin Michel, s’enflamme :  » Le livre de Juliette est un acte d’amour magnifique. Je salive à chacune de ses pages !  » Et vu à l’aune de leur expérience commune d’anorexie à l’adolescence ?  » C’est une question qui ne regarde que ma s£ur.  » On tente de la soulever avec Juliette.  » C’est un sujet que je ne souhaite pas aborder.  » Pas moyen non plus d’évoquer sa vie privée, à part quelques bribes impressionnistes sur sa vie  » en ménage, sans enfants ni travail  » dans le quartier de la Guillotière, à Lyon.

S’agissant de sa passion dévorante pour la nourriture, en revanche, l’intéressée bavarde à satiété. Avec érudition et drôlerie, elle évoque son grimoire où elle consigne depuis l’âge de 16 ans tours de main et recettes de famille ; le figuier sur son balcon qui donne de petites gourdes mielleuses d’un goût extraordinaire ; sa mémoire  » gastrocentrée  » par laquelle elle se souvient dix ans plus tard de si quelqu’un met du sucre dans son café ou pas ; et sa curiosité intarissable pour le welsh rabbit des Gallois, la burrata des Italiens (une mozzarella crémeuse originaire des Pouilles) ou – sa dernière trouvaille la farine chinoise pour les brioches à la vapeur, avec laquelle elle fait des quatre-quarts d’un moelleux incroyable.  » Aux fourneaux, je suis polyglotte « , conclut-elle. Comment imagine-t-elle l’après ? Un autre livre de cuisine ?  » Pourquoi pas.  » Une collaboration pour la rubrique cuisine d’un magazine féminin ?  » J’adorerais !  » Ouvrir un restaurant ?  » Beaucoup trop de boulot et de stress. Je ne veux être dépendante de personne.  » A l’exception d’Amélie ?

François-Régis Gaudry

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