Pour les beaux yeux de Johnny Depp
Le dernier volet de la trilogie de » Pirates des Caraïbes » enfin sur les écrans, impossible d’échapper à la piratemania du moment. En exclusivité pour Weekend, Ve Neill make-up artist de Johnny Depp, décode le look du boucanier le plus sexy de l’histoire de la flibuste. A l’abordage !
A l’âge où la plupart des enfants redoutent encore que des monstres se cachent sous leur lit, Ve Neill avouait déjà un penchant pour les créatures étranges, n’hésitant pas à transformer en zombies inquiétants ses camarades de jeu à coups de crayon, rouge à lèvres et brosse à sourcils. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait pris un plaisir fou à défigurer des centaines d’êtres humains, plutôt beaux gosses d’ailleurs, pour en faire les pirates les plus grimaçants de ce début de siècle. En trente ans de carrière, Ve Neill a travaillé aux côtés des réalisateurs les plus cotés de Hollywood – comme Tim Burton, Steven Spielberg, Warren Beatty, Stefen Fangmeier… pour n’en citer que quelques-uns. Nominées six fois pour l’oscar du meilleur maquillage, elle repart trois fois avec la statuette : en 1989 pour » Beetlejuice » de Tim Burton (1988), en 1994 pour » Mrs Doubtfire » de Chris Columbus (1993) et en 1995 pour » Ed Wood » de Tim Burton (1994). Ses pinceaux ont touché les plus grands, de Sean Connery à Jack Nicholson, en passant par Robin Williams, Danny DeVito, Julia Roberts et bien sûr Johnny Depp qu’elle a accompagné tout au long de la saga de » Pirates des Caraïbes » dont le troisième opus » Jusqu’au bout du monde » est sorti sur nos écrans ce mercredi 23 mai. C’est elle qui, jour après jour, avec l’aide du coiffeur Martin Samuel et de la costumière Penny Rose, a donné forme et vie au capitaine Jack Sparrow.
» Johnny avait dès le départ une idée très précise de l’allure que devait avoir Sparrow, souligne Ve Neill. Et il l’a fait savoir aux producteurs qui étaient un peu inquiets à la base, il faut bien le dire. Mais il a posé ses conditions. Si vous me voulez, il faudra accepter ce que je vous propose. Ils se sont laissés convaincre. On sait aujourd’hui à quel point le résultat s’est avéré fabuleux. » Pour façonner l’image d’un pirate du xviiie siècle à la dégaine de rock star, Johnny Depp s’est inspiré du look excentrique de Keith Richards, guitariste des Rolling Stones. » J’ai passé pas mal de temps avec lui, rappelle l’acteur (1). A chacune de nos rencontres, il avait un truc nouveau dans les cheveux. Je lui demandais à chaque fois : » Qu’est-ce que c’est que ce machin qui pendouille ? » et il me répondait : » Ah, ça ? Je l’ai trouvé aux Bermudes » ou dans n’importe quel autre endroit visité. Je me suis dit que Jack devrait lui aussi rapporter de ses voyages et de ses aventures des colifichets, et se les attacher quelque part. Chaque babiole aurait ainsi une histoire. »
Ve Neill qui travaille régulièrement avec Johnny Depp depuis » Edward aux mains d’argent » (Tim Burton, 1990) est donc partie de ces improbables dreadlocks émaillés de trophées imaginaires ( NDLR : Depp aurait une préférence pour une petite médaille bleu Klein que l’équipe veillait à maintenir bien visible lors des plans de tournage, toujours à droite de son visage…) pour dessiner au millimètre près à l’aide de cosmétiques professionnels M.A.C et PPI ( lire encadré en page 16) chaque trait du visage du premier pirate de sa carrière.
Weekend Le Vif/L’Express : Sparrow n’est vraiment pas un pirate ordinaire. D’où vous sont venues les idées pour créer son look étonnant ?
Ve Neill : En voyant le bandeau et la fameuse perruque, Johnny et moi avons alors imaginé d’ajouter aussi des perles dans une barbe qui était fixée à son bouc naturel par une colle semi-permanente. Le noir sous les yeux est inspiré du maquillage que portent les nomades, dans le désert, pour se protéger des réflexions des rayons du soleil tout en faisant ressortir le blanc des yeux. On s’est dit que c’était aussi une bonne idée pour un type qui passe sa vie en mer. Plus j’en ajoutais, plus Johnny en redemandait, il adorait cela, il n’y en avait jamais assez. On a ensuite ajouté la cicatrice sur le sourcil droit, et la plaie sur la joue droite. Au final, ce n’était pas un maquillage très compliqué à réaliser au quotidien, il prenait à peine 45 minutes. Seule petite difficulté : réussir à maintenir le teint uniforme, car on a tendance à bronzer sous les tropiques et en plus Johnny bronze très vite et très facilement ! Il fallait ajuster la couleur tous les jours lors des tournages en extérieur.
Comment se passaient vos journées de tournage ?
On arrivait sur les lieux avant le lever du soleil et on repartait à la nuit tombée, c’était comme cela tous les jours. Dès que le temps le permettait, on passait la journée entière sur les bateaux ( NDLR : de vrais navires de plus de 33 mètres de longueur à bord desquels il valait mieux avoir le pied marin). Je supervisais les équipes, je maquillais Johnny mais aussi Keira Knightley, Geoffrey Rush et Orlando Bloom quand les autres maquilleurs n’avaient pas le temps. Dans les Caraïbes, vous subissez les pires conditions climatiques pour un maquilleur : vous combinez la chaleur et l’humidité ! Ajoutez à cela qu’il s’agissait d’un film d’action, où l’on bouge et crie beaucoup, et vous pouvez être sûr qu’il fallait retoucher les barbes et les postiches presque à chaque scène. Tous ces détails (cicatrices, plaies, fausses dents, poils de barbe…) demandaient une attention constante, il ne pouvait y avoir aucune différence d’un plan à l’autre.
Quel est votre meilleur souvenir de ce tournage ? Et le moment le plus difficile ?
C’est une expérience qui a duré quatre ans au total. Et franchement, il n’y a que de bons moments qui me reviennent à l’esprit. Bien sûr c’était parfois difficile d’être loin de chez moi si longtemps, j’avais bien un peu le mal du pays. Mais du coup, lorsqu’on ne pouvait pas tourner à cause des ouragans et qu’on nous renvoyait chez nous pour quelques jours, ce désagrément devenait presque une bonne nouvelle ! Malgré l’éloignement, je préférais encore tourner les scènes en décors naturels, car l’île de la Dominique est vraiment un endroit magique et magnifique.
En trente ans de métier, vous avez approché, touché même les plus grands stars de Hollywood. Vous est-il arrivé d’être impressionnée par ces visages mythiques ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que quelle que soit la personne que l’on maquille, il faut la traiter avec la même attention, avec le même respect. Mais c’est vrai que la première fois que j’ai travaillé avec Jack Nicholson ( NDLR : sur » Hoffa » (1992) de Danny DeVito), je n’arrivais pas à croire que j’allais maquiller quelqu’un d’aussi connu et surtout d’aussi talentueux. Et puis, bien sûr Sean Connery ( NDLR : sur » Rising Sun » (1993) de Philip Kaufman). Mais qui ne le serait pas ? D’abord parce qu’il mesure près de 1,90 m, et ça, je vous assure que c’est impressionnant. Et il sera toujours James Bond, non ?
A propos de Johnny Depp, ce n’est sans doute pas un hasard si vous travaillez encore avec lui en ce moment, à Londres, sur le tournage du nouveau film de Tim Burton, » Sweeney Todd » ?
En effet, Johnny a demandé de travailler une fois de plus avec moi. On se connaît depuis près de vingt ans maintenant. Il nous arrive de repenser ensemble à tous ces films un peu bizarres, expérimentaux, dans lesquels il a pu tourner tous ces personnages étranges. Je lui demande souvent » Tu pensais vraiment que tu allais devenir une telle superstar ? » Et il me répond : Non, pas du tout ! » Cela le fait rire aux éclats. Je peux vous dire en tout cas que ça ne l’a pas changé. C’est toujours le même gars, humble et attentionné. Et cela fait plaisir à voir.
(1) In » Le Capitaine Jack : de la tête aux pieds « , bonus du DVD » Pirates des Caraïbes 2 – Le secret du coffre maudit « , Buena Vista Home Entertainment.
Propos recueillis par Isabelle Willot
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