Il y a plus de vingt ans, Sonja Noël ouvrait Stijl, première boutique dédiée aux stylistes belges. Depuis, elle continue à les promouvoir via Modo Bruxellæ, l’ASBL qu’elle préside. Plongée dans le microcosme ultratrendy d’une avant-gardiste.

Les plus belles rencontres sont souvent celles que l’on n’attend pas. Depuis le temps qu’elle fréquente les créateurs belges, Sonja Noël a eu l’occasion de s’en rendre compte. Et, il y a quelques semaines, elle en a encore eu la confirmation.  » On était en plein déballage des collections, se souvient la propriétaire de Stijl, trendissime enseigne de mode de la rue Antoine Dansaert, à Bruxelles, quand on a entendu, en anglais :  » Où se trouvent les pièces dessinées par Ann Demeulemeester ? Et comment prononcez-vous son nom ?  » Toute l’équipe a sorti la tête des cartons pour se retrouver face à Lou Reed, accompagné de sa femme, Lori Anderson.  » Séduits par les vêtements tout autant que par l’ambiance à la fois chic et sans façon qui règne dans la boutique, les deux musiciens ont fini par y passer l’après-midi, faisant le plein de pièces de créateurs belges. C’est qu’ici, la tentation est grande : tous sont représentés, de Dries Van Noten à Veronique Branquinho en passant par Tim Van Steenbergen, A.F. Vandevorst, Haider Ackermann, Dirk Schönberger, Cathy Pill, Kris Van Assche, Christian Wijnants, Sofie D’Hoore ou Raf Simons.

Et pour Martin Margiela, c’est  » 5 min. walk ! « , comme l’indique la vitrine de Stijl. C’est en effet au 114 de la rue de Flandre, à quelques encablures de la rue Antoine Dansaert, que se situe la discrète boutique bruxelloise du créateur.  » La première à avoir ouvert en Europe « , rappelle Nicola Vercraeye, le gérant. On est alors en 2002 et, une fois de plus, c’est Sonja Noël, avant-gardiste dans l’âme, qui se lance dans l’aventure en achetant cet espace et en l’aménageant selon les codes de la Maison Martin Margiela : du blanc partout, des mannequins nus et bien sûr, ni vitrine, ni logo.

Mais la love affair qui unit Sonja Noël à la mode belge commence en réalité bien plus tôt, dès les années 1980. Après des études d’histoire de l’art à la VUB (Vrije Universiteit Brussel), Sonja Noël fait une rencontre – déjà ! – qui va orienter le cours de son existence.  » J’avais une amie, en Suisse, qui avait ouvert un magasin où elle vendait les griffes de petits créateurs locaux, explique-t-elle. Son mode de vie, fait d’indépendance et de choix esthétiques, m’a attirée. J’ai eu envie, à mon tour, de faire connaître de nouveaux styles.  »

Démarrage en flèche

Le lieu qui lui permettra de concrétiser son ambitieux projet ? Un ancien magasin de grains situé au numéro 22 de la rue Antoine Dansaert, l’artère bruxelloise où se concentre tout ce que la mode a de plus créatif. Sauf qu’à l’époque, le quartier n’a rien de fashion. Le marché de gros a déserté le centre-ville, et les commerces qui y étaient liés ferment les uns après les autres.  » On a souvent dit que j’avais redonné vie à cette rue. C’est oublier un peu vite qu’à quelques pas de là, place Sainte-Catherine, des créateurs comme Yohji Yamamoto ou Comme des Garçons avaient déjà des boutiques à leur nom « , nuance la jeune femme.

Il n’empêche, en 1984, son concept tient de la mini-révolution. L’espace qu’elle investit, très vaste, fait la part belle à une déco minimaliste. Et surtout, Sonja Noël y vend les collections des créateurs belges encore peu connus.  » C’était l’époque de la Canette d’Or, des Six d’Anvers, rappelle-t-elle. Ce qui était une aventure pour eux l’était pour moi aussi. On était jeunes, enthousiastes, on osait tout. On a grandi ensemble.  » D’où la belle amitié et la fidélité indéfectible qui la lie aujourd’hui encore aux grands noms de la création belge, y compris ceux qui, comme Kris Van Assche, n’ont pas connu cette période excitante des balbutiements. Il faut dire que la jeune femme rend à la mode au moins autant que ce que celle-ci lui a donné. Ainsi, elle est membre du comité d’administration du Flanders Fashion Institute et s’implique corps et âme dans Modo Bruxellæ, structure chargée de la promotion des créateurs débutants ou établis, dont elle assume depuis quelques mois la présidence.

 » Maintenant, je suis sa boss, ironise Sonja Noël lorsque Linda Van Waesberghe, coordinatrice de Modo Bruxellæ, arrive cet après-midi là chez Stijl. Plus sérieusement, le titre n’a aucune importance à mes yeux : si mon expérience et ma vision de la mode peuvent aider à faire bouger les choses, je suis ravie. Je suis très fière d’être impliquée dans un projet où s’investissent autant de personnes talentueuses. Linda et Véronique Heene ( NDLR : l’autre coordinatrice de Modo Bruxellæ), qui sont aussi mes amies, font beaucoup avec peu de moyens. Elles sont très respectées dans le petit milieu.  »

Ses adresses fétiche

En 1994, Stijl déménage un peu plus loin, au numéro 74 de la même artère. Entre-temps, Sonja Noël et son compagnon Eric, qui s’occupe depuis toujours de la gestion administrative et financière de la société, ont eu trois enfants.  » Je fais tout, il fait le reste « , aime à dire la jeune femme pour qualifier la répartition des tâches professionnelles. Pour avoir assisté au naufrage économique de créateurs pourtant talentueux, elle est particulièrement consciente qu’un tel soutien est plus que précieux :  » J’ai énormément de chance d’être épaulée par quelqu’un qui aime les chiffres ! On est opposés, mais aussi complémentaires . » A la maison, en revanche, c’est plutôt lui qui assume le quotidien, tandis que Sonja voyage beaucoup, que ce soit pour assister aux défilés dans les grandes capitales de la mode ou pour se ressourcer.  » Depuis quelques années, je suis mordue de trekking, explique-t-elle. Le plus souvent, on fait ça en famille, surtout en Italie. Mais parfois, j’ai besoin de me retrouver seule, même si j’adore les nombreux contacts que me procure mon métier. J’ai un côté très écolo, j’ai besoin d’être proche de la nature. Il n’y a pas de plus grand bonheur pour moi que de nager dans une rivière ou un lac de montagne.  »

Au cours des dix années qui séparent l’ouverture puis le déménagement de Stijl, le visage de la rue Dansaert a déjà bien changé. Plus aucun rideau de fer baissé sur les vitrines, que du contraire : les places au soleil se font rares et chères. Depuis lors, des stylistes comme Christophe Coppens, Annemie Verbeke, Mademoiselle Jean ou Aleksandra Paszkowska s’y sont également installés, et la branchitude a déteint sur les rues avoisinantes, où l’on trouve les ateliers-boutiques et les showrooms de Valérie Berckmans, les Own, Shampoo & Conditioner ou encore Sofie D’Hoore.

Comme autant de satellites de la planète mode, d’autres hauts lieux de la branchitude bruxelloise gravitent dans ce quartier naguère désolé. Parmi ceux-ci, Sonja Noël a ses adresses incontournables, comme le magasin de design Stylissimo, la galerie d’art contemporain Erna Hécey ou l’épicerie audiovisuelle Le Bonheur, qui propose une sélection pointue de magazines, tee-shirts, artoys et CD.  » C’est Thierry Berleur, le propriétaire, qui sélectionne la musique qu’on passe dans la boutique, et tous les clients en sont fans.  » Tous, même un certain Lou Reed, qui, lors de son passage dans le quartier modeux, ne s’est pas seulement contenté de dévaliser les portants de Stijl. Après avoir demandé de qui était  » ce super son  » qui inonde la boutique, le rocker est également reparti avec le CD, offert par Sonja. Et quand, un peu plus tard, il lui a téléphoné pour qu’elle lui indique une adresse de resto  » casual « , c’est tout naturellement le Vismet, une de ses tables préférées du quartier, que la jeune femme lui a recommandé. Certes, le quartier Dansaert aurait peut-être connu une deuxième jeunesse sans l’impulsion de Sonja Noël. Mais, n’en déplaise à sa modestie, certainement pas aussi dorée.

Delphine Kindermans

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