PRÊT À PARFUMER

© PHOTOS : SDP / IMAXTREE

A côté des Chanel N°5 et J’adore de Dior, de nouveaux flacons grappillent leur place sur les étals. Développés par des enseignes  » milieu de gamme « , ils sont censés séduire un autre public et donc booster les ventes. Décryptage.

Le 9 juin 2016. Zadig & Voltaire célèbre la sortie de ses deux fragrances, This is Him et This is Her, dans son hôtel privé du XVIe arrondissement, avenue d’Iéna, face à la tour Eiffel.  » Attending  » ce soir-là : le joli monde parisien, dont Ludivine Sagnier, Mélanie Thierry, Virginie Ledoyen et Doria Tillier, héroïnes contemporaines, rocks dans l’allure, citadines dans la tête – où serait-ce l’inverse ? – deux qualificatifs qui font l’ADN de l’enseigne française. Marketing et communication parfaitement ficelés, le lancement des flacons est un vrai happening. C’est qu’il représente un enjeu commercial fort pour la marque au double prénom : cela fait deux ans que Cecilia Bönström, directrice artistique des collections, planche sur le développement de ces jus, qui doivent à la fois coller à l’image de la maison et susciter la surprise pour attirer un public différent. Car la finalité de la manoeuvre est bien là : étendre l’offre pour élargir la cible et donc faire grimper les ventes.

Pour concevoir ces produits, Zadig & Voltaire a collaboré avec Beauté Prestige International, filiale parisienne de Shiseido. Dans une même optique, Abercrombie & Fitch a fait appel à Interparfums, Diesel à L’Oréal… Des bureaux spécialisés, pros des odeurs, chargés de concevoir des best-sellers, de les mettre en boîte, de les promouvoir et de les distribuer bien au-delà du réseau de magasins de leurs clients.

Une tactique que ces enseignes ont piquée aux maisons de luxe : Dior, Chanel, Jean Paul Gaultier – pour ne citer que les leaders – commercialisent depuis longtemps leurs élixirs dans une sélection de chaînes (Ici Paris XL et Planet Parfum, par exemple) afin de toucher une frange plus mainstream de la population que celle qui pousse la porte de leurs boutiques, et de remplir leurs caisses quand le marché du vêtement ne suffit pas.

Cette motivation financière, les marques  » masstige  » ne l’évoquent pas vraiment texto, elles préfèrent parler plutôt d’une extension naturelle de leur gamme, considérant le parfum comme un élément-clé de la chaîne du style.  » C’est la touche finale de la personnalité « , précise Cecilia Bönström.  » L’accessoire essentiel qui permet de souligner qui on est et qui donne le sentiment d’être unique « , confirme pour sa part Stefanie Merzenich, directrice du département Beauté & Prestige de Mäurer & Wirtz, à l’origine de For Him et For Her, les derniers jus de la ligne s.Oliver.

PETIT BOUT DE LUXE

Si le parfum permet d’asseoir notre identité auprès de ceux qui nous côtoient, il a aussi le don de nous ancrer, en un  » pshitt « , dans l’univers du luxe. Le produit a un vrai potentiel prestige, dont le marketing est le responsable majeur. Prenez un flacon pétillant, castez des égéries qui le sont tout autant, placez les protagonistes dans un même film et saupoudrez d’une musique catchy : vous n’avez pas encore senti la fragrance que vous détenez déjà un pur objet du désir, brandé comme un produit luxe alors qu’il ne l’est pas forcément. Preuve que l’effluve n’est pas la seule à compter, des dizaines de maisons rééditent chaque année leurs icônes en ne modifiant parfois rien à leur recette. Un changement de packaging ou de muse suffisant à raconter une nouvelle histoire et à réenclencher la notion de besoin chez le consommateur.  » Impossible de vendre un parfum sans vendre de l’émotion, explique Angela Errico, directrice du Centre européen de l’esthétique et chargée de cours de marketing en parfumerie. Tant que les marques déclineront les histoires, elles susciteront des émotions et les parfums continueront de se vendre. L’imaginaire, pour le personnel en magasins, est d’ailleurs un bien meilleur argument de persuasion que la composition du mélange en tant que telle.  » Dernière preuve en date, le trio de fragrances lancé par Christian Louboutin qui cartonne :  » Un petit bout de rêve pour toutes les femmes qui ne pourront jamais se payer une paire d’escarpins du créateur !  »

TOUS LES MÊMES ?

Le marketing a gagné et les demoiselles – comme les dames – qui soignent leur look ne sortent plus sans s’être vaporisées. Résultat : les bouteilles se multiplient ! Entre 1900 et 1940, la Société Française des Parfumeurs répertoriait environ 80 lancements de flacons dans l’Hexagone. Aujourd’hui, ce sont plus de 400 nouvelles bouteilles qui sont éditées chaque année sur ce territoire – contre deux par an le siècle dernier ! Production accélérée, doublée d’une nécessité de plaire à de plus en plus de monde, les jus tendent à se ressembler. L’amateur n’en saura rien, il se fie au scénario qu’on lui promet toujours inédit. Le consommateur averti, lui, devra migrer dans les parfumeries alternatives pour s’envelopper de senteurs originales. Dans ces antres discrets, c’est le créateur qui dicte la tendance, pas les marques qui exigent qu’on leur ponde un panaché bien bankable. Plutôt que de dépenser des milliers d’euros en publicité et marketing, ces enseignes ont décidé d’investir dans la création et de recourir à des matières premières plus nobles et plus concentrées. Et si le bull-dozer du marketing s’emparait bientôt de ce marché-là ?  » Aucun risque, selon Angela Errico, les clients de ces enseignes ne poussent jamais la porte des chaînes « démocratiques ». Ils veulent de l’exclusif, du naturel et en voudront toujours ! « 

PAR LAURANNE LAHAYE

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