PUR ET DUR

Oui, il y a bien un phénomène Matthias Schoenaerts ! Les plus grands réalisateurs se l’arrachent et Louis Vuitton l’a choisi comme visage de ses deux nouvelles campagnes. L’homme, lui, ne se prend pas la tête. Et se livre cash. Tête-à-tête à Paris, dans les coulisses du dernier défilé du malletier français.

Quand il lâche, comme ça, sans hésiter, qu’il pourrait jeter son téléphone portable pour  » se la jouer David Copperfield  » et disparaître, ça ne sonne pas du tout comme des paroles en l’air, même s’il s’amuse à mimer les gestes et les faux airs mystérieux du magicien, l’oeil espiègle et le sourire taquin. D’ailleurs, il l’a déjà fait, dans une autre vie, avant d’endosser le costard plutôt bien taillé de superstar.  » Mais pas pour toujours, hein, attention « , croit-il toutefois bon d’ajouter. Histoire sans doute d’éviter tout malentendu. Et de tordre le cou à ce mauvais coup de buzz qui faisait bruisser la Toile en octobre dernier de ses pseudo-intentions d’arrêter le cinéma pour de bon.  » Je venais d’enchaîner quatre tournages l’un après l’autre, se rappelle-t-il. J’étais un peu fatigué et je me voyais bien prendre un petit break de quelques mois. J’ai dû être mal compris. Mais ce n’est pas bien grave.  » Matthias Schoenaerts n’est pas du style à se prendre la tête pour ces dégâts collatéraux qui font hélas partie des risques du métier dans lequel, à l’en croire, il serait presque tombé par hasard.

Son truc, gamin, c’était plutôt le foot, même s’il n’a que huit ans lorsqu’il monte la première fois sur les planches pour donner la réplique à son père, Julien Schoenaerts, véritable monument du théâtre flamand.  » Je n’ai jamais eu de plan de carrière et je n’en ai toujours pas, insiste-t-il. Ce qui m’arrive aujourd’hui, ce n’est pas un rêve de gosse qui se réalise. Mon entrée au Conservatoire d’Anvers, c’était ce que j’avais envie de faire à ce moment-là dans ma vie. Les choses se sont enchaînées, c’est tout. J’adore mon métier mais je n’ai jamais été très ambitieux. Quand j’accepte un projet, je suis complètement dedans, je ne suis pas déjà en train de me poser des questions sur ce que cela pourra m’apporter par la suite.  »

Une philosophie de vie qui, somme toute, en dépit des galères inhérentes à la vie d’un jeune acteur, lui a plutôt bien réussi. En 2008, il se fait remarquer dans Loft, un thriller signé Erik Van Looy suivant les aventures de cinq potes mariés et volages qui se partagent un flat pour y tromper leurs épouses jusqu’à ce que l’on y retrouve le cadavre d’une jeune femme. Fort de son 1,2 million d’entrées – le plus gros succès du cinéma belge jamais enregistré -, le film a fait depuis lors l’objet d’un remake américain dans lequel Matthias Schoenaerts a repris, fait rarissime, son propre rôle. Trois ans et un bon vingt kilos de muscles plus tard, dans Rundskop, il incarne Jacky, un éleveur de bétail dopé aux hormones. Le premier long-métrage de Michaël R. Roskam décroche une nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur film étranger. Le Tout-Hollywood fait les yeux doux à l’Anversois qui retâte du tapis rouge quelques mois plus tard, mais à Cannes cette fois, pour son rôle de père célibataire et de boxer raté dans le bouleversant De rouille et d’os de Jacques Audiard. C’est la consécration. Depuis lors, il enchaîne sans répit les projets avec les plus grands.

En 2014, il sera cinq fois à l’affiche, rien que ça. Mais en attendant ces sorties, alors que les propositions de scénarios s’empilent, il a choisi de s’essayer à un autre rôle de composition. Celui de guest star front row du défilé Louis Vuitton. Matthias Schoenaerts est en bonne compagnie : à sa gauche, Lily Allen, Antoine et Delphine Arnault, les héritiers du groupe LVMH, à sa droite Will Smith. S’il se tient là, en total look Vuitton sans pourtant qu’un seul logo ne filtre aux entournures, c’est parce qu’il a accepté de prêter sa dégaine à la Kerouac et sa belle gueule de voyou de ciné à deux campagnes du malletier français. Avant lui, d’autres people – David Bowie, Angelina Jolie mais aussi Michelle Williams avec qui le Belge vient de terminer le tournage dans les Ardennes de Suite française – avaient déjà pris la pose pour le malletier français. Un signe comme un autre qu’il joue lui aussi dans la cour des grands. Ce qui ne l’empêche pas d’aborder l’exercice imposé de l’interview, exclusive s’il vous plaît, dans les coulisses du défilé, naturellement, (presque) comme si de rien n’était.

Maintenant que vous êtes une star internationale, pas mal de marques ont dû vous approcher. Pourquoi avoir choisi Louis Vuitton ?

Ce sont plutôt eux qui m’ont choisi en fait… Mais j’aime l’idée que cette marque fasse tout fabriquer en Europe. Qu’on n’exploite pas des gens quelque part sur la planète pour ensuite revendre des produits plusieurs milliers d’euros. C’est honnête. Et c’est sans doute pour cette raison que cela dure depuis si longtemps. Que cette marque est respectée et admirée partout dans le monde, finalement. En tout cas, je ne me considère pas du tout comme un mannequin.

C’est un rôle comme un autre ?

Un peu, mais ça n’a pas la même dimension que lorsqu’on crée un personnage.

La marque Louis Vuitton a associé son nom à l’idée du voyage. Quel genre de voyageur êtes-vous ?

Déjà pour le boulot, je parcours le monde, mais en privé aussi, j’adore ça. Le voyage pour moi, c’est la découverte de nouvelles personnes, de nouvelles cultures. Ça entretient la curiosité, ça enrichit l’esprit. Ça rend plus intelligent aussi.

L’homme a tout exploré aujourd’hui. Peut-on encore être un aventurier autrement qu’au cinéma ?

L’aventure, c’est avant tout un état d’esprit. C’est cet état d’esprit qui fait que le voyage sera une aventure ou pas, quel que soit le lieu où l’on se trouve.

Luxe et aventure, c’est forcément contradictoire ?

Il faudrait d’abord s’entendre sur la définition que l’on donne au mot luxe. Pour certaines personnes, le luxe, ce serait peut-être d’avoir une Bentley alors que pour moi, c’est justement de ne pas en avoir ! Le luxe c’est le  » rien du tout « , c’est la 2CV que je n’ai pas peur de bousiller quand je me gare. La liberté, l’humour, le plaisir, c’est ça le vrai luxe.

Vous vous sentez une âme de Kerouac ?

Plus que tout, j’adore la sensation d’être en route. L’idée du voyage plus que l’arrivée à destination. J’aime partir sans savoir où je vais. Traverser les Etats-Unis d’est en ouest, j’en rêve. Et je le ferai.

Sur une grosse Harley ?

Impossible ! Me mettre une moto entre les mains, ce serait me condamner à mort. Je suis totalement irresponsable sur des engins comme ça. Il faut que je m’entoure d’une carrosserie qui me protège !

En deux ans, votre carrière a connu une accélération fulgurante. Vous gérez ?

J’en ai pris conscience, oui, mais je n’ai pas eu le temps de me prendre la tête avec ça. Parce que j’étais tout le temps en train de travailler. Sur le tournage, il faut être présent, physiquement et mentalement. Je suis toujours dans l’instant présent. Après, toute cette agitation, je fais avec. L’être humain est capable de s’adapter à tellement de choses et là, en l’occurrence, ce n’est pas un drame non plus ce qui m’arrive.

Avez-vous l’impression de réaliser votre rêve de gosse, finalement ?

Pas du tout ! Je suis super reconnaissant de ce qui m’arrive aujourd’hui, mais je n’en ai jamais rêvé ! Ma philosophie a toujours été la même : il faut être là où on est. Bon, attention, quand je m’écoute, ça sonne un peu comme un truc à la  » aware  » de Jean-Claude Van Damme. Je reformule. Quand on accepte un projet, il ne faut pas dire oui en pensant à ce que cela va pouvoir vous apporter. Il faut se donner à fond.

Dans votre dressing, on trouve quoi ?

Là aussi, je dois faire attention à ce que je dis ! Mon dressing est rempli, mais je porte toujours la même chose : un jeans, un tee-shirt, des sneakers et un sweat à capuche. Oui, mais il y a bien des occasions où vous devez faire un petit effort… Vous avez un personal stylist pour vous aider ?

Ça non alors, je ne suis pas un portemanteau ! Je choisis tout seul. Et pour ça aussi, j’ai mon mantra : la simplicité. Si tu commences à faire le fou, c’est comme ça que tu te prends des claques. (Il montre sa tenue du jour, un costume, un pull et un manteau Louis Vuitton). Là, c’est simple non ? Et c’est magnifique.

Ça vous fait quoi quand on dit de vous que vous êtes le nouveau Brando ou le nouveau James Dean ?

C’est un honneur, bien sûr, d’être comparé à des comédiens de cet acabit, même si c’est un peu abstrait. Ça ne me sert pas à grand-chose, en fait.

Avec qui rêveriez-vous de travailler ?

Oh, la liste est longue mais quelqu’un comme Daniel Day-Lewis, sûrement. On apprend toujours des nouvelles rencontres qu’on fait sur un plateau. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la technique que de voir la philosophie avec laquelle les gens font ce métier.

Pourriez-vous casser votre image de beau ténébreux pour jouer dans une comédie ?

Je l’ai fait quand j’étais plus jeune ! Je me disais, faire le con, c’est chouette. Au moment où j’ai accepté ce projet, il me fallait une comédie en réaction à ce que je venais de terminer. Alors, j’y suis allé, bien motivé à rentrer dedans. Au début, je me suis vraiment éclaté. Le troisième jour, je commençais à douter. Le quatrième, je me demandais carrément ce que je faisais là. Et j’en avais encore pour six semaines.

C’est bizarre, mais je ne me souviens pas du tout de ce chef-d’oeuvre dans votre filmo…

On va faire en sorte que ça reste comme ça…

Parlez-nous un peu du tournage américain de Loft. Ça fait quoi de retrouver comme ça un personnage plusieurs années après ?

C’était d’autant plus amusant à faire que ça n’est pas arrivé souvent dans l’histoire du cinéma. J’ai retrouvé Philip facilement et en même temps il était différent : j’ai conservé certains choix que j’avais faits qui me semblaient justes. Mais j’ai aussi quatre ans de plus, forcément, je dégage autre chose à l’écran.

Un mot sur Suite française qui sortira cette année ?

C’est une très belle histoire, dans laquelle je joue un soldat allemand. Autour de moi, il y a Michelle Williams, Lambert Wilson, Kristin Scott Thomas, tous des comédiens fantastiques. Je suis vraiment curieux de découvrir le film : dans deux semaines, je devrai me rendre à Londres et avec un peu de chance j’aurai droit à une petite preview.

Vous n’avez encore rien vu du tout ? Même pas les rushs ?

Non, je ne les regarde jamais. Je n’ai envie de voir le film que lorsqu’il est terminé. Ou en tout cas presque fini. Certains comédiens demandent les rushs tous les jours. Pas moi, peut-être parce que je n’aime pas trop me regarder, en fait. Regarder les rushs, c’est un retour en arrière. Si pendant le tournage, je sens que ça sonne juste, ça me suffit. Mon point de référence c’est mon ressenti. Est-ce que ça se voit à l’écran que ça sonne juste ? Je ne sais pas ! Peut-être que je devrais regarder les rushs finalement !

Ça vous a fait quoi de tourner ce film en Belgique après votre expérience hollywoodienne ?

Ce qui était chouette, c’était de pouvoir rentrer à la maison le soir. Après, tourner un film, c’est tourner un film. Les équipes sont plus grandes aux Etats-Unis mais finalement, tu as un metteur en scène, un chef op’ et des comédiens. Cette trinité est la même partout.

Pouvez-vous encore vous balader à Anvers tranquillement ?

Bien sûr, même si je suis conscient que les gens me reconnaissent. On m’aborde pour prendre une photo avec moi mais c’est toujours gentil. (Il change de voix et force un accent belge). Et sinon on leur met un pain, ben oui hein !

Vous sentez-vous profondément anversois ?

Je me sens belge même si je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Mon père venait du Limbourg, ma grand-mère de Liège, j’ai habité Bruxelles, maintenant je vis à Anvers. Je me sens belge et pas nécessairement flamand ou anversois. Mais Anvers, oui, c’est  » ma  » ville.

PAR ISABELLE WILLOT

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