Les héros de Karine Tuil dans La Domination sont aussi doubles que les faces de dominos. Comme elle ?

Etre écrivain, c’est ?

Karine Tuil: C’est pouvoir s’inventer des identités multiples. En créant des personnages, j’imagine des vies très différentes de la mienne. L’écrivain est comparable au comédien qui enfile plusieurs costumes. Cela lui permet de devenir un autre, d’échapper à sa condition. Peut-être est-ce pour cela qu’il y a tant d’écrivains juifs…

Pourquoi l’identité est-elle au c£ur de tous vos romans ?

Je ne sais pas… L’écriture est instinctive chez moi. Au départ, il y a des mots qui surgissent comme de la musique et non une thématique précise. Ici, je suis partie de la description d’un père, d’un juif honteux qui est un héros pour les uns et un traître pour les autres. A cette identité juive, niée, s’est greffée l’identité sexuelle.

Comment définiriez-vous la vôtre ?

Je suis juive. Mais c’est dur de se définir, car il y a mille façons de le faire. L’identité est très fluctuante, elle évolue au fil de la vie.

Prendre l’identité d’un homme est-ce jubilatoire ?

C’est assez naturel, je l’ai fait dans plusieurs de mes livres. Un personnage s’impose à moi. C’est comme un invité qui débarque avec son univers, ses meubles, ses manies.

Qu’y a-t-il de plus double en vous ?

Mon rapport à l’écriture. Je suis une autre personne lorsque je prends la plume. Moins conventionnelle, je me sens plus libre.

Qu’aimez-vous dans le thème du double ?

Les contradictions, l’ambiguïté. On n’est jamais ce qu’on prétend être. Mes personnages aiment par jeu et goût du risque. Ils prennent et ils jettent en se manipulant et se dominant sans cesse. Aussi participent-ils à la comédie sociale. J’aime dévoiler les dysfonctionnements de la société et de l’âme humaine.

Quelle est votre vision du monde ?

Je suis désenchantée. En ce xxie siècle, il y a encore des dictatures, des gens privés de liberté, une montée en puissance du terrorisme. Mais je garde néanmoins une vision confiante car, contrairement aux générations précédentes, je n’ai pas vécu de guerre.

L’£uvre d’art qui vous fait rêver ?

Toutes les £uvres de mes amis : le peintre Sam Szafran et la sculptrice Pascale Loisel.

Votre plus grand regret…

Ne pas avoir pris l’apéritif avec le poète Joseph Brodsky.

Votre plus grande promesse ?

Ne rien promettre.

Qu’est-ce qui  » vous fait sentir vivante  » ?

Lire Cioran par temps de pluie.

La Domination, par Karine Tuil, Grasset, 233 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content