Du Vieux Port au très branché quartier Saint-Roch, Québec profite d’une revitalisation urbaine audacieuse. Encore moribond il y a peu, le bas de la ville est devenu un des lieux les plus excitants de la capitale de la  » Belle Province « .

Bien sûr, il y a le Vieux Québec, ses ruelles pavées qui rappelle la France profonde. Bien sûr, la capitale de la  » Belle Province  » peut s’enorgueillir du titre de seule ville fortifiée d’Amérique du Nord. Mais, même si le c£ur des remparts, classé au patrimoine mondial de l’Humanité ne manque pas d’intérêt historique, ce serait dommage de s’en tenir à cette carte postale un brin kitsch. Car un autre Québec est né. Ou, pour être plus précis, est ressuscité. Aujourd’hui tout se passe dans un des plus vieux faubourgs de la cité : le petit quartier Saint-Roch, au nord de la Basse-Ville.

C’est Catherine, 20 ans, look casual chic et cigarette ultrafine au bec, rencontrée par hasard devant le Boudoir, un des nouveaux bars trendy du quartier, qui nous met au parfum :  » Je suis née ici. Et je peux vous dire qu’il n’y a pas si longtemps c’était crotté… Saint-Roch ! A part les Hells Angels et les prostituées, on ne croisait plus personne après le coucher du soleil.  » Marylis, même âge, même dégaine, visiblement intéressée par la conversation s’y glisse avec enthousiasme :  » C’est clair ! J’habite Montcalm, un quartier assez cosy dans la haute ville. Avant, je ne descendais jamais sur Saint-Roch. Trop miteux. Mais, aujourd’hui, les choses ont vraiment changé. ça revit. Le futur est définitivement ici.  » On la croit sur parole quand on pousse la porte de l’établissement : il est près de 1 heure du matin, demain c’est lundi, mais il y a encore du monde accoudé au bar en béton ou bien confortablement coincé dans de gros fauteuils en cuir. Sous des lumières tamisées, un groupe de musiciens et une chanteuse à la voix suave balancent des reprises de tubes des années 1980. A travers de larges baies vitrées, on distingue l’intérieur du bar d’en face : boule à facettes, DJ à l’£uvre, danseurs survoltés… Le monde de la nuit a clairement réinvesti Saint-Roch. Une des multiples conséquences du vaste plan de revitalisation urbaine dont bénéficie le quartier depuis les années 1990.

De la zone à l’avant-scène

A l’époque, Saint-Roch fait encore les frais des erreurs urbanistiques commises trente ans plus tôt.  » Dans les années 1970, pour freiner l’exode massif de la population vers les grands centres commerciaux de banlieue, on transforme la rue Saint- Joseph, l’artère principale du quartier, en galerie couverte, précise Stéphane Sabourin, directeur général de la société des commerçants de Québec. Cette vision-là fonctionnera un temps, mais finalement cette fausse bonne idée se révélera être un énorme échec urbanistique.  » En effet, l’exode des habitants ne s’arrête pas. Une faune interlope prend alors possession des lieux et le centre commercial, ouvert de nuit, ressemble de plus en plus à un squat infréquentable. Puis vint Jean-Paul L’Allier qui prend les rênes de la mairie.  » Un visionnaire ! s’exclame Stéphane Sabourain. Dès le début des années 1980, il décide de planter un parc en plein c£ur du quartier, incite les entreprises à y installer leurs bureaux en réduisant de 40 % leurs impôts et convainc l’Ecole des arts visuels de l’Université de Laval d’occuper une magnifique usine en briquettes rouges du xixe siècle laissée à l’abandon.  » L’opération se révèle bénéfique : plusieurs compagnies multimédia réinvestissent les buildings, deux journaux locaux y installent leurs rédactions et les étudiants adoptent les locaux de  » La Fabrique « . L’Allier achèvera de revitaliser le lieu en 2000. Il entreprend dès lors de détruire une grande portion du centre commercial devenu gris et triste, pour rendre le ciel libre à la désormais très branchée rue Saint-Joseph (la dernière portion devrait être abattue au printemps prochain). On redécouvre de superbes façades néoclassiques, de beaux exemples d’architecture Art déco. Ce nouvel aspect séduit la maison mère d’Hugo Boss qui décide en 2005 d’installer son unique enseigne québécoise sur Saint-Joseph.  » Le concept commercial est capital dans le cadre d’une revitalisation urbaine, explique Stéphane Sabourain. Il faut faire du quartier une destination privilégiée. Il faut qu’on y trouve des commerces uniques, exclusifs. Introuvables dans les shopping centers.  » Ainsi, du restaurant à la boutique de fringues en passant par la librairie, toutes les enseignes du quartier doivent répondre à un cahier des charges drastique. De la qualité du produit jusqu’au design de la déco, tout est passé en revue. Résultat, Saint-Roch dégage aujourd’hui une atmosphère cohérente par son caractère exclusif où le boulanger artisanal voisine le jeune chef qui monte, la librairie aux livres rares et les boutiques urban chic.

Le chef français Eric Villain est l’un des premiers à avoir investi dans la redynamisation du quartier. Après plusieurs années passées dans la haute gastronomie (Hôtel Martinez à Cannes, Royal Club à Evian), il décide de s’installer à son propre compte. En 2000, il rachète un vieux café de Saint-Roch et le transforme en néobistrot à la parisienne.  » Le quartier se cherchait encore un peu. Mais les prix étaient dérisoires. Et on sentait que ça allait bouger « , sourit aujourd’hui ce passionné de la cuisine de Michel Bras dont il a gardé le respect obsessionnel du produit. Doublé d’un lieu d’exposition pour les jeunes artistes des environs, le Café du clocher penché propose une carte  » canaille  » où le boudin noir voisine avec le croissant au jambon de Paris et l’omelette baveuse au saumon fumé.  » Comme beaucoup de mes confrères, j’ai fait mes classes dans un gastro mais je ne veux pas en faire. Je préfère le bistrot contemporain, où une cuisine simple, authentique et savoureuse se concentre uniquement sur le produit.  » Un concept dans l’air du temps qui sied à merveille à la nouvelle faune de Saint-Roch où se croisent en toute décontraction bobos, hommes d’affaires et créateurs. Le quartier compte en effet une centaine d’ateliers d’artistes ainsi que le très avant-gardiste complexe Méduse, une coopérative de producteurs et de diffuseurs artistiques actifs dans les arts visuels et plastiques.

Grâce à ce lifting, toute la Basse-Ville est devenue sans conteste le lieu le plus excitant de la cité. Plus au sud, le quartier du Vieux-Port a d’ailleurs été choisi pour être le centre des activités qui ponctueront en 2008, l’année du 400e anniversaire de la ville.  » On veut rendre le fleuve aux habitants « , affirment les organisateurs. Ainsi, au bord de l’eau, une nouvelle structure en verre très contemporaine est actuellement en pleine construction. Entourée de jardins, le pavillon accueillera des spectacles, des expos, un petit resto… Et sur plus de 600 mètres, de vieux silos situés sur les docks seront détournés de leur usage premier pour servir d’écran lors de projections multimédia en plein air.

Baudouin Galler

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