En attendant Exit 10, le spectacle de l’Esac, l’école supérieure des arts du cirque, à Bruxelles, Le Vif Weekend s’échauffe et se penche sur ces circassiens qui réinventent les arts de la piste. Finis les nez rouges, remisés les trapézistes en tutu. Mieux qu’une famille, une tribu.

« Attention Mesdames et Messieurs… Voici le plus grand spectacle du monde !  » lance Monsieur Loyal dans le film De l’eau pour les éléphants. N’en déplaise aux fans de Robert Pattinson, le héros de cette saga des salles obscures qui suit une troupe itinérante de saltimbanques dans l’après-guerre, le cirque ne se résume plus, au XXIe siècle, à quelques images d’Épinal. Elles sont pourtant encore nombreuses dans le domaine… De la trapéziste en tutu pailleté au roulement de tambour annonciateur du grand frisson, sans évoquer le clown au pantalon à carreaux et l’Auguste enfariné, le cirque traîne derrière lui des wagons, ou plutôt des caravanes, de cartes postales, parfois charmantes, souvent agaçantes. Car le spectacle d’aujourd’hui se révèle nettement plus complexe et plus riche que les clichés talqués.

 » Le cirque contemporain emprunte son vocabulaire aussi bien à la danse, aux arts plastiques, aux nouvelles technologies qu’au théâtre, souligne Pierre Hivernat, coauteur d’un ouvrage de référence sur la question (1). Pour faire court, on peut dire que le spectaculaire et le divertissement ne sont plus une fin en soi comme ils le sont dans le cirque traditionnel, type Grüss ou Bouglione. La sensibilité prime.  »

Volontiers minimaliste, réticent à la ménagerie ou à la scène circulaire, nourri de textes philosophiques ou tout simplement joyeusement barré, le cirque nouveau revendique une liberté totale de ton jusqu’à intégrer fréquemment la nudité sur scène. Jamais les festivals et les salles de spectacle n’ont fait autant la part belle à ce croisement des genres. Une révolution ?  » Non, car dès la fin des années 60, des troupes comme le Grand Magic Circus de Savary s’étaient déjà affranchies des codes traditionnels, rappelle Pierre Hivernat. Quelqu’un comme le chorégraphe Bob Wilson a introduit il y a bien longtemps le cirque dans son travail. Ce qui est nouveau en revanche, c’est la volonté qu’ont les circassiens à se définir comme des artistes et non plus des artistes de cirque. « 

Peur de l’étiquette ? À la différence de leurs aînés du Cirque du Soleil ou du Cirque Plume qui annoncent d’emblée la couleur, la jeune génération d’acrobates et autres voltigeurs préfère parler de performance ou de  » théâtre physique « …  » Plus personne ne se revendique du cirque, ce n’est pas branché, mais tout le monde s’en sert, pour dire qu’il n’en fait pas partie « , invoque Jérôme Thomas, jongleur français et directeur de la compagnie homonyme.

Pour se faire une idée de l’étendue des nouveaux talents de la discipline, les écoles renommées ont pris l’habitude de montrer le travail de fin d’année au grand public, comme l’Esac, l’école supérieure des arts du cirque, à Bruxelles, qui présentera à la fin du mois son dernier spectacle (2). D’ici là, Le Vif Weekend tire le portrait de quelques artistes belges ou européens, confirmés ou émergents.

(1) Panorama contemporain des arts du cirque, par Pierre Hivernat et Véronique Klein, éditions Textuel, 2010.

(2) Exit 10, spectacle de fin d’année de l’Esac, 11, rue Picard, à 1000 Bruxelles, du 29 juin au 3 juillet prochain, www.esac.be

LOTTA & STINA

On ne se rappelle jamais qui est la brune ou la blonde mais ce dont on est certain, c’est que ces deux-là, c’est de la bombe ! Les Finlandaises Stina, 27 ans, et Lotta, 25 ans, osent tout, vraiment tout. En équilibre sur leur rola-bola (une planche posée sur un cylindre), ces amies d’enfance et ex-étudiantes de l’Esac, à Bruxelles, exécutent un numéro de strip-tease qui défie les lois de la pesanteur et du bon goût. Lookées à la manière des pin-up des années 50, elles revisitent avec imagination le cabaret burlesque. Une preuve de plus de la vitalité de la Finlande en la matière, l’un des viviers les plus féconds du cirque contemporain.

www.rola-on-bola.com

COMPAGNIE BEKKRELL

Les collectifs fleurissent dans le monde du cirque contemporain. Question de rencontres et de chimie. Et il est justement beaucoup question d’atomes dans la très jeune compagnie Bekkrell composée de Fanny Alvarez (voltige à la bascule), Sarah Cosset (mât chinois), Océane Pelpel (fil tendu) et Fanny Sintès (comédienne, corde lisse) qui a apporté au groupe son expérience théâtrale. À elles quatre, elles achèvent l’écriture de L’Effet Bekkrell, du nom de Henri Becquerel, découvreur de la radioactivité, qu’elles interpréteront sur scène. Un spectacle qui promet de transformer la langue et les corps en une matière vivante et indomptable.

NETTY RADVANYI

Dans son spectacle Inua tiré d’un conte inuit, elle évolue nue, prisonnière d’une gangue amniotique, ou, suspendue par les coutures d’une robe de mariée, tournoie dans les airs comme un pantin désarticulé. Dans la vie, nulle sauvagerie apparente. Netty Radvanyi est une jeune Française à la voix douce et au beau regard imprécis. Cette ancienne élève de Sciences Po pratique l’acrobatie et l’équitation depuis son enfance avant de rejoindre en 2005 le Cnac, l’école de cirque à Châlons-en-Champagne, pour se spécialiser en art équestre. Souvent boudé par la scène contemporaine, le cheval est au centre de son travail, comme la marionnette à laquelle elle donne des résonances pas vraiment enfantines. Poétique et inclassable.

www.myspace.com/nettyradvanyi

MARTIN ZIMMERMANN & DIMITRI DE PERROT

En quelques années, les deux Zurichois – Martin Zimmermann, scénographe et homme de cirque, et Dimitri de Perrot, DJ et compositeur – ont imposé au monde leur vision drôle et absurde du quotidien. Un quotidien qui repose en équilibre instable sur des dés à coudre.  » Nous aimons les choses, les objets, ce sont pour nous des êtres vivants « , affirment les deux complices dont le travail est un mix vivifiant entre théâtre, danse, cirque et performance. Leur dernière création, Chouf Ouchouf, interprétée par le groupe acrobatique de Tanger, a été applaudie sur bien des continents, de Hongkong à Londres, d’Auckland à Bruxelles, aux Halles de Schaerbeek. Leur prochaine pièce, Hans was Heiri, est prévue pour le printemps 2012.

www.zimmermanndeperrot.com

ALEXANDER VANTOURNHOUT

Plus influencé par les  » art performers  » que par le cirque Pinder, Alexander Vantournhout, 22 ans, a participé l’an dernier au spectacle Exit 9, présenté à la Villette, à Paris, haut lieu du spectacle vivant contemporain. Le jeune Belge, formé lui aussi à l’Esac, excelle dans une discipline circassienne inventée il y a quinze ans à peine, la roue Cyr, soit un anneau métallique de deux mètres de diamètre.  » C’est simplement un cercle et c’est ce qui me plaît, dit-il. Un accessoire qui offre un juste équilibre entre force et souplesse.  » Alexander poursuit actuellement sa formation chez P.A.R.T.S., l’une des écoles de danse les plus prisées au monde, dirigée par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker.

VOLODIA LESLUIN

Il avoue n’avoir aucune affinité avec le cirque traditionnel, façon Bouglione et les grandes compagnies impersonnelles. Volodia Lesluin, 31 ans, acrobate spécialiste en corde lisse était, l’an dernier, l’un des interprètes de Rémanences, une installation vidéo du fameux centre chorégraphique Charleroi/Danses. Il a récemment co-écrit et joué Lard avec le jongleur Nathan Israël. Une farce cruelle à têtes de cochon et masques de clowns superposés sur fond de musique baroque. Flippant comme un Bozo sous acide mis en scène par David Lynch !

http://la-scabreuse.blogspot.com/

PAR ANTOINE MORENO / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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