Qu’est-ce que la richesse?

Le photographe, artiste visuel et set designer Athos Burez (35 ans) est connu pour ses images surréalistes et inventives, pour lesquelles il conçoit en amont des décors de A à Z. «Pour moi, la richesse, c’est utiliser le pouvoir de son imagination, et avoir une certaine naïveté, pour extraire quelque chose de beau de quelque chose de banal. Ou encore pour transformer des objets ordinaires en quelque chose de complètement différent. Cela ne coûte pas beaucoup d’argent, mais cela demande beaucoup de persévérance. Mais lorsque le résultat est bon, cela procure un agréable sentiment de satisfaction. Comme cette vieille chaise de patio en plastique à laquelle je travaille de temps en temps depuis quelques mois.» © National

Et si c’était la chance d’avoir un toit au-dessus de sa tête, oser faire preuve d’empathie ou refuser la tentation de l’accumulation au détriment d’autrui? Nos six interlocuteurs ont accepté de partager avec nous ce qui les rend vraiment riches.

«L’empathie pourrait être notre richesse la plus précieuse»

Benjamin d’Aoust est réalisateur et scénariste. Il est l’auteur, avec Matthieu Donck et Stéphane Bergmans, de la série Des gens bien, diffusée sur la RTBF et Auvio.

Quand nous avons commencé à écrire Des gens bien, la crise des gilets jaunes battait son plein en France. Je me souviens que nos discussions du matin – rituel immuable de nos journées d’écriture – ont alors beaucoup tourné autour du sujet. Et cette France périphérique et multiple, d’abord descendue dans la rue pour protester contre le prix de l’essence, a laissé sa trace sur nos personnages. Nos gens bien.

Ces femmes et ces hommes amenaient avec eux quantité d’histoires, parmi lesquelles il nous a semblé voir à l’œuvre un mécanisme: l’endettement. Pour (sur)vivre, iels s’endettaient, se surendettaient, et finissaient par n’être plus qu’une dette béante, une faille dans un système schizophrénique où leurs dettes étaient à la fois le moteur et le problème central de leurs vies.

Je me souviens qu’au fil des mois ces personnes venues d’horizons très différents se sont réunies et se sont mises à parler entre elles des injustices dont iels se sentaient victimes. Iels se sont installés pendant des semaines, des mois, ensemble, sur des ronds-points.

Je me souviens alors d’avoir espéré que sous leurs tentes, au milieu de ces ronds-points, iels fassent éclore une autre richesse. Une richesse qui n’aurait rien à voir avec leurs dettes. Une richesse faite d’échanges, de discussions… de désaccords aussi. Une richesse collective.

Depuis plusieurs décennies nous vivons dans un monde du tout-à-l’argent, dans une société où tout a un coût et où tout doit être rentable – avec l’injonction ultime du temps, dans laquelle le temps, c’est de l’argent. Ce discours dominant de la rentabilité a pris le pas sur les autres discours jusqu’à les asphyxier. Or ces femmes et ces hommes avec leurs discours disparates, et parfois contradictoires, tentaient de raconter autre chose.

Etait-ce rentable de rester plusieurs mois sur les ronds-points périphériques de la modernité? Vraisemblablement pas. En tout cas pas en termes monétaires. En termes humains, c’est un autre débat. Car ce qui s’est passé à ce moment-là, dans ces collectifs où des gens comme vous et moi ont pu se raconter, a fait jaillir l’idée d’un autre monde. Un monde fait de diversité, de solidarité et d’équité sociale, où la valeur des choses ne serait pas monétaire mais humaine, où l’argent serait mieux réparti, et où il serait impossible qu’une personne gagne plus de dix fois ce qu’une autre gagne.

Cet autre monde est possible, et nécessaire, surtout dans cette période de crise énergétique où les écarts de richesse ne font que s’accroître ; surtout dans cette période de crise sociale où déjà les gens descendent dans la rue – à raison. Mais pour que ce nouveau monde advienne, il faut que nous fassions preuve de courage et d’empathie.

Dans mon métier, ce mot «empathie» est un mot galvaudé. Un mot souvent simplifié à la sympathie qu’on ressent pour un personnage. Mais l’empathie ce n’est pas tout à fait cela. L’empathie n’implique pas de jugement de valeur. Il ne faut pas être d’accord avec l’autre, il ne faut même pas le trouver sympathique. Il faut juste lui reconnaître sa qualité d’être humain et s’y projeter, d’égal à égal.

Or face aux crises qui s’annoncent, face aux grondements du monde, cette empathie pourrait bien être notre richesse la plus précieuse.

«La richesse, quoi que l’on fasse, ne nous appartient en fait jamais tout à fait»

Céline Nieuwenhuys est secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux, elle a été l’un des rares porte-voix du secteur social pendant la crise sanitaire.

La richesse pose trois questions: celle de la propriété (cette richesse m’appartient-elle?), celle de l’accumulation (jusqu’où?) et celle de ressources qu’elle épuise (comment ma richesse est construite sur l’exploitation du vivant, des humains ou de la planète?). Et la première chose à faire lorsque l’on aborde la question de la richesse est de se demander: quand suis-je riche? La réponse est un mélange d’évidences et de subjectivités, en fonction de la place que l’on occupe dans la société. Mais la richesse pose une autre question qui concerne profondément les mécanismes de production des inégalités: de quoi et de qui suis-je riche? Autrement dit, qu’est-ce qui m’a permis d’être riche et qu’est-ce qui me permet aujourd’hui de l’être encore? Suis-je seul.e propriétaire de ma richesse? Si on y pense bien, on n’est jamais riche seul. On est riche d’une chaîne de dépendances, d’appartenances, de relations, d’influences, d’exploitations ou de dominations. Le mérite ou le travail à eux seuls, pris isolément, ne mènent pas à la richesse. On devient plutôt riche par le travail des autres pour soi. Ou bien on reste riche de l’héritage que l’on reçoit. La richesse, quoi que l’on fasse, ne nous appartient en fait jamais tout à fait. Même l’investissement en temps dans la production de la richesse ne serait pas possible sans le concours d’une série de structures de dépendances, entre autres dans toutes les charges domestiques qui incombent à une gestion de famille ou de patrimoine. La richesse, c’est ce dont les autres, volontairement ou non, nous rendent riches et dont nous sommes dès lors redevables. Au-delà de la richesse monétaire et financière, on peut facilement appliquer cette idée de la «redevabilité» à toutes les autres sortes de richesses. Ce n’est sans doute pas pour rien que l’on parle de capital social ou culturel… Ce capital n’est pas constitué tout seul. Il est fait d’interactions multiples, de rencontres, d’attachements, d’emprunts, de dettes aussi, beaucoup.

Klaartje Lambrechts (45 ans) est photographe pour des magazines et des marques de mode. Son œuvre libre met plutôt en lumière les histoires humaines et fragiles. «La richesse, pour moi, c’est l’émerveillement. Ma fille de 5 ans m’oblige à ralentir à nouveau et à regarder la vie différemment. En particulier dans les périodes sombres, je crois que l’émerveillement enfantin et le retour à l’essentiel peuvent nous sauver. L’émerveillement donne de la couleur à la vie. Parfois, j’ai l’impression qu’un petit Bouddha marche à mes côtés et qu’une telle beauté et une telle puissance émanent d’elle.»
Klaartje Lambrechts (45 ans) est photographe pour des magazines et des marques de mode. Son œuvre libre met plutôt en lumière les histoires humaines et fragiles. «La richesse, pour moi, c’est l’émerveillement. Ma fille de 5 ans m’oblige à ralentir à nouveau et à regarder la vie différemment. En particulier dans les périodes sombres, je crois que l’émerveillement enfantin et le retour à l’essentiel peuvent nous sauver. L’émerveillement donne de la couleur à la vie. Parfois, j’ai l’impression qu’un petit Bouddha marche à mes côtés et qu’une telle beauté et une telle puissance émanent d’elle.» © National

Ce que nous possédons en propre, en revanche, c’est la faculté d’accumuler. C’est-à-dire de nous emparer à notre profit de cette redevabilité et d’en tirer avantage. La prédation des ressources planétaires est le symbole même de cette accumulation: puisque cette ressource est accessible, autant qu’elle serve à quelqu’un. A moi, par exemple… Cela permet de justifier plus facilement les inégalités engendrées par cette accumulation: inégalités sociales, sanitaires, alimentaires, environnementales, qu’elles viennent séparément ou bien ensemble. C’est au plus malin, au plus rapide, au plus rusé que revient le bénéfice de l’accumulation. Peu importe que cela détruise un environnement, que cela ruine des santés ou que cela appauvrisse des personnes ou des communautés. Et peu importe au final que l’accumulation méprise et corrompe la démocratie. L’historien camerounais Achille Mbembe aime dire que l’autre nom de la démocratie, c’est «protéger le vivant». Sous ce registre, l’accumulation dont l’une des conséquences est de détruire ce vivant est dès lors profondément et viscéralement antidémocratique. L’exemple d’une entreprise comme Total et ses actionnaires en sont une illustration éloquente.

La photographe Frieke Janssens (42 ans) jouit d’une solide réputation tant nationale qu’internationale, à laquelle ont contribué ses images scénographiées à l’extrême et souvent provocantes. «La richesse pour moi c’est: un endroit que tu peux appeler ta ‘maison’». Le titre de cette image est: Femme enveloppée dans une couverture de survie dorée.
La photographe Frieke Janssens (42 ans) jouit d’une solide réputation tant nationale qu’internationale, à laquelle ont contribué ses images scénographiées à l’extrême et souvent provocantes. «La richesse pour moi c’est: un endroit que tu peux appeler ta ‘maison’». Le titre de cette image est: Femme enveloppée dans une couverture de survie dorée. © National / Frieke Janssens

En fait, c’est assez simple. La richesse, c’est se rendre compte qu’être riche n’est pas une sorte d’aptitude que certains auraient et d’autres non mais que cela résulte bel et bien d’une relation d’inégalités imposée à d’autres. Et que cette inégalité n’est ni normale ni souhaitable ni tenable. Tandis que l’accumulation, c’est savoir tout ça et s’en foutre. Ceux que l’on appelle des hyperriches sont des accumulateurs décomplexés ayant définitivement choisi de se choisir. Ils vivent pourtant aux dépens du vivant. Et se nourrissent des désastres qu’ils produisent en cascade. Ces accumulateurs sont en fait des fossoyeurs.

Comme le disait le regretté Bruno Latour, il y a le monde où on vit et le monde dont on vit. La vraie richesse, c’est de s’en rendre compte.

«On est tous le riche de quelqu’un, reste à savoir ce que l’on en fait»

Marie-Aurore d’Awans, comédienne et autrice de théâtre, est la cofondatrice de la plate-forme Deux euros cinquante. Son dernier spectacle Mawda, ça veut dire tendresse est à voir au Théâtre National du 1er au 10 décembre.

RICHESSE −Abondance de biens, de moyens, de revenus ; état, condition d’une personne qui possède des biens très importants, qui a beaucoup de ressources, de revenus. aisance, argent, avoir, biens, capital, fortune, opulence, patrimoine, prospérité, ressources, trésor.

C’est à peine si le dictionnaire ne nous dit pas que si on n’a pas de Rolex à 50 ans on a raté notre vie.

Capital matériel. Capital Intellectuel. Toujours compter qui a plus, qui a mieux.

Je n’ai jamais aimé compter. Mais je n’ai jamais vraiment dû compter. J’ai toujours su me laisser aller à ce que j’avais, mais, c’est bien ça: j’avais. A manger. Un toit. Des amitiés. Des amours. Des fêtes. Des vacances. Des papiers. La liberté de circulation.

Assise dans notre voiture, je descends vers le sud rejoindre des ami.e.s che.re.s avec ma belle carte d’identité estampillée B qui me permet d’aller où je veux si je veux. Et pendant ce temps nos enfants sont choyés par leurs grands-parents.

Ma richesse justement pourrait être nos enfants et leurs sourires et pourtant ils savent déjà que cet homme qui tend la main au feu rouge il est «pauvre».

Ma richesse pourrait être l’amour dans lequel je baigne et pourtant je pense la plupart du temps à l’amour de ces parents qui sont partis de chez eux pour offrir un meilleur avenir à leurs enfants et qui les ont vus mourir, maltraités, tabassés.

Ma richesse pourrait être ces petites pièces dans ma poche, celles que je peux encore distribuer avant qu’elles ne disparaissent.

Ma richesse pourrait être mon travail, un endroit où je me sens bien. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que ce ne sera jamais assez.

Ma richesse pourrait être la mer Méditerranée, celle devant laquelle j’ai grandi les étés. Premiers baisers au son de sa houle, il y a fort longtemps, avant d’en sentir le charnier.

Ma richesse est-ce de me rendre compte de tout ça?

Ma richesse n’est certainement pas la vôtre, la leur.

Je dois avouer que depuis que je réfléchis à La richesse, ça me déprime. Y’a rien à faire. Ça me rend triste.

Parce que la richesse

Celle que j’arrive à me payer, ou qu’on me paie, elle a un prix justement. Elle se paie avec des deniers, de l’argent, de la thune.

Parce que soyons honnêtes tout ça est possible parce que de l’argent nous avons.

J’ai beau m’habiller en seconde main, avoir un téléphone pourri, garder mes vêtements des dizaines d’années, je sais loger, nourrir, divertir ma famille. Et avant d’avoir une famille je ne le faisais que pour moi. Bref, je n’ai jamais eu à penser à comment j’allais faire demain, pour manger, pour pas crever, pour pas sombrer.

Alors si la richesse passe par l’argent (pour ne pas avoir peur de demain) Donnez-nous de l’argent et répartissons-le.

Rendez le fric, sauvez l’hôpital public!

Ou alors, brûlons-le comme en 36, en Espagne, dans un sursaut utopiste de croire que oui, la richesse c’est la culture gratuite pour toutes et tous, c’est être ensemble, vivre ensemble, parler ensemble. C’est transformer les hôtels 5-étoiles en cantines populaires.

C’est ouvrir les lieux vides pour accueillir celles et ceux qui sont dehors.

C’est remettre des banquettes dans des gares pour pouvoir s’y coucher.

Et que ce putain de dictionnaire trouve une autre définition, bordel!

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