DEUX AUTEURS. DEUX SEXES. Deux styles radicalement différents. Lorsque

la belge Ariane Le fort, prix rossel 2003, rencontre marc levy, l’ecrivain le plus lu en France, la comparaison l’emporte, inexorablement. Action !

L e phénomène Marc Levy a de quoi faire rêver le plus insensible des écrivains. Depuis son premier roman  » Et si c’était vrai… « , paru en 1999 chez Robert Laffont, l’auteur français enchaîne les best-sellers avec une facilité rare. L’air de rien, ses trois premiers livres se sont vendus à plus de 4 millions d’exemplaires dans une trentaine de pays et le dernier en date,  » La Prochaine Fois  » (Robert Laffont) trône, depuis quelques semaines déjà, au sommet des ventes belges et françaises. Difficile d’affronter le géant commercial en toute sérénité…

En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, la romancière belge Ariane Le Fort a pourtant accepté le défi d’une rencontre sans a priori. Un brin amusée, la lauréate du prix Rossel 2003 pour son magnifique  » Beau-fils  » (Seuil) est partie à la découverte des nouveaux héros de Marc Levy dans une histoire haute en couleur qui défie joyeusement l’espace et le temps. Entre Boston et Londres, Florence et Paris,  » La Prochaine Fois  » raconte, en effet, la double quête d’un expert en peinture parti à la recherche d’un tableau mystérieux et d’un amour vécu, semble-t-il, dans une autre vie. Bizarre, bizarre… Pour Ariane Le Fort, chantre du quotidien et des portraits intimistes, l’exercice n’était pas de tout repos. Alors, le dernier Marc Levy, ça passe ou ça casse ?

Ariane Le Fort : Ecoute, Marc, on peut se tutoyer ?

Marc Levy : Oui.

A.L. : Ça va me simplifier la vie.

M.L. : A moi aussi !

A.L. : En plus, on a le même âge. Tu habites à Londres, c’est ça ?

M.L. : Oui, depuis presque cinq ans.

A.L. : Et pourquoi ?

M.L. : Parce que je n’aime pas habiter à Paris. Et puis, il y a eu plusieurs raisons pour lesquelles j’ai eu envie d’aller vivre à Londres. Quand mon premier roman  » Et si c’était vrai…  » est sorti, il y a quand même eu une certaine médiatisation qui ne m’a pas mis à l’aise. Je ne n’avais pas du tout envie de tomber dans ce piège-là que je trouvais assez dangereux. Je n’avais pas du tout envie que mon fils subisse ça…

A.L. : Quel âge avait-il à l’époque ?

M.L. : Il avait 9 ans.

A.L. : J’avais lu quelque part que tu as écrit ce premier roman uniquement pour ton fils. Tu voulais lui écrire un conte pour qu’il ne s’ennuie pas. Vrai ou faux ?

M.L. : C’est presque vrai. En fait, j’écrivais et je racontais tous les soirs des contes à mon fils quand il avait entre 5 et 9 ans parce que je ne voulais pas qu’il ait peur de la nuit. Je voulais que le moment du coucher soit pour lui non pas un moment de peur, mais un moment d’attente. Alors, j’ai commencé à lui raconter une histoire quand il avait 5 ans et pour que cette attente ait lieu, c’était une histoire qui se suivait…

A.L. : Mais on a tous fait ça à différents niveaux ! Ce qui m’étonne ici, c’est que ton premier roman n’est pas du tout une histoire pour un enfant de 9 ans. Tu décris la plastique de la nana…

M.L. : Mais attends ! Attends la deuxième partie ! Quand il a eu 9 ans, il n’avait plus vraiment envie de conte pour enfants. Et moi, je me suis retrouvé très seul et très con à ce moment-là, parce que j’avais pris l’habitude de ces petites histoires. Alors, j’ai eu l’idée non pas d’écrire un nouveau conte à l’enfant qu’il était, mais bien d’écrire une histoire à l’homme qu’il allait devenir.

A.L. : Ah, c’est ça !

M.L. : Il y avait une double envie. D’abord celle de faire un pied de nez au temps qui passe parce que mon idée était de lui offrir cette histoire quand il aurait atteint l’âge que j’avais au moment où je l’aurais écrite. Donc, pendant le temps de la lecture, on aurait virtuellement le même âge et on serait les meilleurs amis du monde ! L’autre envie, c’était de lui transmettre des valeurs à travers ce livre. Moi, je suis très hostile à la leçon de morale que je trouve rébarbative et je pense qu’il est beaucoup plus subtil de faire passer un message à travers un héros de roman qui défend certaines valeurs.

A.L. : Je suis tout à fait d’accord.

M.L. : Et toi, qu’est-ce qui t’a amenée à écrire ? Quand as-tu écrit ton premier livre ?

A.L. : J’avais 12 ans, mais je ne sais plus pourquoi j’ai décidé d’écrire une histoire. C’était une histoire complètement rocambolesque avec une maman tétraplégique et toute la question était de savoir si l’accident avait eu lieu avant ou après qu’elle n’ait eu ses enfants. Mais je n’ai plus ce bouquin. A l’époque, ma s£ur l’avait lu et elle s’était tellement foutue de moi que je l’ai jeté à la poubelle. Et je le regrette aujourd’hui ! J’aurais bien aimé le relire…

M.L. : Et tu n’as jamais eu envie de le réécrire ?

A.L. : Non, parce que c’était une histoire que j’ai écrite à l’âge de 12 ans, très romanesque, dans le style  » Club des cinq  » avec des cabanes dans les arbres, des mystères et tout ça !

M.L. : Et quand as-tu écrit le deuxième ?

A.L. : A 24 ans. Mais je crois que j’ai toujours su que j’écrirais des romans, même si j’ai eu d’autres idées de métiers. J’ai voulu être chirurgienne, hôtesse de l’air…

M.L. : Et le premier roman publié ?

A.L. : Je devais avoir 28 ou 29 ans. Depuis lors, je m’aperçois que j’écris un roman tous les quatre ou cinq ans. J’écris très lentement.

M.L. : Mais tu écris tous les jours ?

A.L. : Non. Je n’ai pas le temps. J’ai des enfants. Je m’occupe pas mal d’eux et puis, j’ai aussi un autre métier parce que la Belgique est un petit marché et même quand ça marche très très bien, on n’a pas des tirages énormes. Donc, je suis obligée d’avoir un autre travail et, par conséquent, je n’ai pas le temps d’écrire tous les jours. De toute façon, je ne sais pas si j’en aurais envie. Et toi, tu écris vite ?

M.L. : J’écris quatre mois par an.

A.L. : Tu fais tout un bouquin en une durée aussi courte ?

M.L. : Je mûris l’histoire pendant six ou sept mois et puis je me mets à écrire d’une seule traite. Généralement, je m’y mets en octobre et je termine en janvier. J’écris toujours en hiver.

A.L. : Pourquoi ?

M.L. : J’écris mieux quand il fait nuit.

A.L. : Calfeutré dans ta maison de Londres…

M.L. : Oui parce que je suis assez facilement distrait et, en été, j’ai le regard attiré par plein de choses. En été, j’ai tout le temps envie d’être dehors, de me m’installer à une terrasse ou de bouquiner dans un parc. Pour moi, l’été est très oisif…

A.L. : Oisif. C’est un mot que je ne connais pas…

M.L. : Oui, mais attends, je bosse énormément !

A.L. : Je n’en doute pas ( sourire). Mais tu sais, ça, c’est un truc par rapport à l’argent parce que, avec toi, on va forcément parler d’argent. Moi, je rêve de vendre un million d’exemplaires de  » Beau-fils « , mais que ferais-je avec tout cet argent ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas si je deviendrais oisive. Alors, que fait-on quand on gagne tout d’un coup beaucoup de sous ?

M.L. : Mais moi je n’ai rien changé ! ( Silence) Mes luxes dans la vie sont très simples…

A.L. : C’est drôle parce que, en lisant tes romans, je me suis dit :  » Marc Levy fantasme . » Et maintenant tu peux enfin vivre tes fantasmes : voyager en première classe, descendre à l’hôtel Savoy, habiter dans des lofts avec vue imprenable…

M.L. : Mes luxes ont toujours été très simples. D’ailleurs, si j’avais gagné une Ferrari à la loterie, je l’aurais revendue tout de suite. Les deux seuls luxes que j’aime dans la vie, c’est l’espace…

A.L. : Que tu peux t’accorder !

M.L. : Et les voyages. Mais j’ai commencé à travailler très jeune pour pouvoir m’offrir ces deux luxes-là avant de sortir mon premier roman. J’ai bossé comme un fou pendant vingt ans avant de devenir auteur ! Parce que je voulais ces deux luxes qui sont plutôt, pour moi, des attributs de liberté. Quand la célébrité m’est tombée dessus avec mon premier roman, j’avais déjà 38 ans et un enfant. Je n’ai pas pété les plombs ! On pète les plombs quand on est jeune et qu’on a rien derrière soi. Donc, pour moi, rien n’a changé. ( Silence) Je vais être très franc avec toi : si j’avais découvert la pénicilline, là j’aurais pété les plombs.

A.L. : Parce que tu aurais eu l’impression d’être dépassé.

M.L. : Non, parce que j’aurais eu l’impression d’être un génie.

A.L. : C’est ça que je veux dire !

M.L. : Moi, j’ai le plaisir d’un artisan. J’ai toujours été marqué par l’artisanat…

A.L. : C’est drôle que tu parles de ça, parce que, quand on m’interviewe, je parle toujours d’artisanat et je dis que j’ai l’impression de faire du tissage quand j’écris.

M.L. : Oui, c’est ça ! Parce que, pour moi, un artisan, c’est quelqu’un qui est à l’école de la vie en permanence, qui se remet continuellement en question et qui bosse pour partager quelque chose avec les autres. Le métier d’écriture, c’est un métier d’artisan.

A.L. : Mais pourquoi trouve-t-on toujours, dans tes romans, des gens qui n’ont pas de soucis d’argent ? Enfin, on ne va pas parler d’argent pendant deux heures…

M.L. : Une des fonctions du roman, c’est tout de même de faire rêver les gens !

A.L. : Je suis d’accord. Mais ce n’est pas une critique, c’est juste une remarque. Moi, mes personnages habitent dans des appartements deux pièces, ils travaillent dans un snack ou sont artisans potiers. Ils ont la vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde…

M.L. : Mais tu n’as jamais eu envie de changer d’univers ?

A.L. : Moi, je ne peux parler que de ce que je connais. Et puis, j’ai toujours eu le sentiment que l’épopée humaine se trouve plus à l’intérieur qu’à l’extérieur. Donc, je suis plus intéressée par ce qui se passe à l’intérieur de mes héros que par ce qu’ils vivent à l’extérieur. Je crois que je m’ennuierais très fort si j’écrivais ce que tu écris. De la même façon, si tu écrivais ce que j’écris, tu t’ennuierais à mourir…

M.L. : Probablement.

A.L. : En fait, j’ai pris énormément de plaisir à lire  » Et si c’était vrai… « . Mais je dois t’avouer que  » La Prochaine Fois  » m’a énervée parce que j’ai trouvé que tu allais trop loin et que ça partait un peu dans tous les sens. Moi ce que j’aime dans le surnaturel, c’est quand les choses sont plus ou moins plausibles. J’aurais voulu des démonstrations. Parce que, finalement, tu as le droit de dire n’importe quoi. Non, j’avoue que je m’y suis perdue…

M.L. : Moi, je ne me sers pas du surnaturel pour exploiter le surnaturel. Je m’en sers comme un artisan se sert d’un de ses outils. En fait, je m’en sers comme d’une métaphore.  » Et si c’était vrai… « , par exemple, n’est pas un roman sur le coma ni sur les fantômes. C’est plutôt une métaphore de la rencontre amoureuse…

A.L. : Une autre chose que je te reproche aussi, c’est que tu écris des romans qui sont tout à fait des scénarios américains. Je veux dire par là qu’il y a un côté comédie romantique pour le cinéma. D’ailleurs, je vois très bien Meg Ryan jouer dans  » Et si c’était vrai… « . C’est divertissant, bien foutu et je comprends aisément que Spielberg ait acheté l’histoire. Je ne sais pas très bien ce qu’il en a fait…

M.L. : Il y a une mouture de scénario et le film devrait bientôt être en production. Cela veut dire une sortie au cinéma en 2006.

A.L. : C’est vrai que c’est un parfait scénario américain, mais le problème avec les scénarios américains, c’est que les personnages qui s’y trouvent manquent souvent de nuances. Ce sont des blocs. Dans l’amitié masculine tel que tu la définis, on sent que tout est possible. On peut tout demander. Il n’y a pas de sentiment minable, pas de perversité. Il n’y a pas de petites choses. Or, pour moi, l’humain, c’est ça. Dans  » Beau-fils « , je m’attache à faire cette recherche intérieure et à montrer notre petitesse. Toi, tu parles de l’amitié avec un grand A et de l’amour avec un grand A. Moi, je parlerais plutôt des cheminements un peu tortueux qu’on peut avoir…

M.L. : Il y a quelque chose qui te fait peur dans l’amour avec un grand A ou dans l’amitié avec un grand A ?

A.L. : Je n’y crois pas trop. Je connais ma meilleure amie depuis l’âge de 6 ans, mais si je devais en parler, j’aborderais aussi les côtés où nous n’avons pas toujours été les meilleures amies du monde. Cela dit, je suis une femme et toi, un homme. Et les femmes réfléchissent de manière plus compliquée. Les hommes peuvent avoir des rapports plus carrés, plus nets, plus longs. Mais j’ai aussi l’impression que, dans tes romans, l’histoire se suffit à elle-même. Moi, mes histoires avancent grâce aux personnages. C’est le personnage qui détermine l’histoire. Tandis que, chez toi, j’ai l’impression que les personnages sont des marionnettes qui subissent l’histoire…

M.L. : Je comprends ton point de vue. C’est vrai qu’à partir du moment où je prends le risque d’emmener le lecteur pendant trois heures dans une histoire, je n’ai pas envie de lui déverser…

A.L. : Des trucs du quotidien ?

M.L. : De la bassesse, de la mesquinerie…

A.L. : Oui, c’est ça. Donc, c’est un parti pris.

M.L. : C’est un parti pris. Mais je ne dirais pas que mes personnages sont aseptisés…

A.L. : Je n’ai pas dit ça !

M.L. : Dans  » La Prochaine Fois « , la relation qui est établie entre Jonathan et Peter est très similaire à la relation que j’ai avec mon meilleur ami. Personnellement, j’ai une vision de l’amitié avec un grand A et de l’amour avec un grand A. Mais bon, c’est une façon de voir les choses…

Propos recueillis par Frédéric Brébant Photos : Frédéric Sierakowski/ Isopress Sénépart

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