RAF SIMONS – NOTRE PERSONNALITÉ DE L’ANNÉE –

Pour Le Vif Weekend, le choix était évident : 2012 l’a consacré directeur artistique de Dior. Tandis que sa voiture avale allègrement les kilomètres qui séparent Anvers de Paris, Raf Simons revient sur douze mois retentissants.

Raf Simons en ligne : il vient de quitter Anvers pour rallier le QG de Dior à Paris, où il occupe le prestigieux poste de directeur artistique des collections Femme.  » Au départ, je ne voulais pas de chauffeur, confie-t-il. J’ai commencé par faire les déplacements en train, mais ce n’était pas une bonne solution. J’ai donc décidé de prendre moi-même le volant… Là, j’avais beau me promettre de repartir à 17 heures, il était souvent 21 heures le temps que je remonte dans ma voiture, les idées plus forcément très claires. Et là, je me suis rendu compte que ça devenait dangereux.  » Bon gré mal gré, il a donc accepté les services d’un chauffeur. Depuis, je me sens nettement plus détendu. Cela me permet, par exemple, de dégager plus facilement du temps pour une interview à l’improviste, comme aujourd’hui, mais il m’arrive aussi d’être tellement fatigué que je passe tout le trajet à dormir.  » Pour le coup, Raf Simons est en pleine forme. Notre conversation durera près de trois heures.

14 janvier, Milan. Vous entamez l’an 2012 en présentant votre dernière collection Homme, tout en noir, chez Jil Sander.

À l’époque, je pensais rester chez Jil Sander encore jusqu’en septembre ; pour moi, cette collection hiver 12-13 n’était donc pas du tout la dernière ! Mon but était de jouer sur les clichés, chose que j’essaie habituellement d’éviter. Les réactions ont été beaucoup moins unanimes que d’habitude, tantôt enthousiastes, tantôt très négatives… Mais ces moments-là aussi ont leur place dans la carrière d’un créateur.

21 janvier, Paris. L’hiver 12-13 de votre propre label apparaît en partie comme un retour à vos premières années. Dans quelle mesure vos collections ont-elles un caractère autobiographique ?

Il y a parfois une part d’autobiographie, mais pas toujours, et j’observe que c’est plus souvent le cas dans mes propres collections. Ne me demandez pas pourquoi : je l’ignore. Il m’arrive en effet aussi de temps à autre de renouer avec mes débuts, peut-être en réaction à un changement important, comme mon arrivée chez Dior. Il est sans doute logique, dans ces moments-là, de vouloir s’arrêter un instant sur le chemin parcouru. Pour l’instant, j’ai envie de revenir à une approche plus expérimentale pour mon propre label – mais à ma manière, avec des vêtements. L’image masculine fait actuellement l’objet de recherches tous azimuts qui sont parfois très éloignées de la réalité. Pour moi, la mode masculine est plus complexe que son pendant féminin, parce que les hommes sont beaucoup moins ouverts au changement… alors même qu’en fait, il n’y a pas réellement de règles à respecter. Un homme en costume, c’est sublime, surtout dans un contexte inattendu, mais l’idée que le complet-veston est une obligation est complètement dépassée. Moi-même, je ne me sens pas à l’aise en costume, ce n’est pas une tenue confortable. Or c’est justement un aspect essentiel de la mode masculine.

Quel type de vêtements portez-vous ?

Un pantalon, une chemise, un pull, parfois avec des souliers, parfois avec des baskets ; ce n’est que pour les manteaux que je m’oriente parfois vers quelque chose de plus chic. J’adore Prada, par exemple : ce sont des vêtements qui ont un petit quelque chose en plus, qui ont fait l’objet d’une vraie réflexion, mais tout en étant vraiment confortables. Cela dit, dès que j’enlève ma veste, ma tenue est tout ce qu’il y a de plus ordinaire… et à la maison, je me promène en jogging !

25 février, Milan. Votre dernier défilé pour Jil Sander, suivi d’un départ quelque peu inattendu…

Je préférerais ne plus parler de ce qui s’est passé chez Jil Sander. C’est du passé. Tout n’a pas toujours été tout rose, mais j’y ai aussi vécu des moments magnifiques… et il y a des personnes là-bas que je continue à porter dans mon coeur.

De nombreux critiques affirment qu’il y avait déjà un côté Dior dans cette dernière collection hiver 12-13…

Même si je comprends cette réaction, il faut savoir que cette collection n’a pas été conçue dans le contexte d’un possible départ chez Dior. Notez d’ailleurs que ma fascination pour la haute couture n’est pas nouvelle : elle se retrouve déjà clairement dans mes quatre dernières collections pour Jil Sander. N’ayant suivi aucune formation en stylisme, je n’ai jamais été amené à étudier l’histoire de la mode, je suis pour ainsi dire tombé dedans. À un moment donné, en me plongeant dans l’histoire des maisons de haute couture, j’ai découvert chez Christian Dior une mode incroyablement épurée, une approche simple et universelle… mais aussi tout un éventail de possibilités, et c’est cela qui m’a attiré.

11 avril, Paris. Christian Dior annonce votre nomination au poste de directeur artistique, confirmant des rumeurs qui circulaient depuis plusieurs mois.

Le jour où j’ai quitté Jil Sander n’est pas celui où j’ai signé chez Dior. Les discussions étaient déjà en cours, c’est vrai… mais je ne négociais pas non plus qu’avec Dior. Cela dit, je n’en veux à personne d’avoir fait circuler ces rumeurs. Les ragots jouent parfois en notre faveur, et il arrive même qu’ils soient propagés de façon volontaire. Certains n’en ont pas du tout conscience, mais lorsqu’on arrive à un certain niveau, les stylistes sont en discussion avec d’autres marques presque en permanence. Au cours de la période passée chez Jil Sander, j’ai bien dû avoir une douzaine de contacts avec d’autres maisons – et encore, je ne parle que de ceux dont j’ai pensé, hum, pourquoi pas ? Un bon homme d’affaires est quelqu’un qui anticipe, qui cherche à rencontrer le plus possible de stylistes… et en tant que créateur, on pense évidemment toujours à son avenir. Alors si Monsieur Arnault (NDLR : le CEO du groupe de luxe LVMH, auquel appartient Dior) vous propose un rendez-vous, vous n’allez pas lui répondre que vous n’êtes pas intéressé. Vous le rencontrez. Puis le revoyez six mois plus tard. C’est comme cela qu’on apprend à se connaître. Les discussions avec Dior ont débuté en septembre ou octobre de l’année passée. Comme il était prévu que je reste encore un moment chez Jil Sander, il n’était opportun ni pour eux ni pour moi d’aller plus loin… mais après mon départ, les choses sont allées très vite. J’ai reçu un coup de fil dès le lendemain, et je n’ai pas hésité une seconde. Comme dirait mon père, c’est un transfert – comme au foot !

27 juin, Paris. Vous dévoilez une collection été 2013 particulièrement réussie, d’inspiration grunge, pour votre propre label. Moins d’une semaine plus tard, le 2 juillet, votre premier défilé haute couture pour Dior, hiver 12-13.

Je suis arrivé chez Dior relativement tard, fin avril, ce qui m’a valu quelques angoisses… d’autant que j’étais probablement le seul à ne pas me rendre compte que c’était juste, mais tout à fait faisable, car les équipes de Dior ont l’habitude de travailler dans l’urgence. En même temps, il règne dans la maison une ambiance très intime, ce n’est pas du tout une usine. En plus, comme tout est concentré sous le même toit, on n’a jamais besoin de sortir, ce qui est à la fois pratique et plutôt agréable.

À bien y regarder, il y a tout de même çà et là des correspondances entre vos collections Homme et les modèles que vous avez dessinés pour Dior…

Lorsque j’ai débuté chez Jil Sander, je me suis promis de toujours suivre mes envies. Après tout, je ne peux pas me couper en deux. Le principe du moitié/moitié qui se retrouve dans les deux collections (NDLR : des modèles différents à l’avant et à l’arrière)est une recherche sur la juxtaposition. Pour mon propre label, j’ai voulu explorer l’opposition entre masculin et féminin, entre le grunge et les lignes strictes de mes débuts. Chez Dior, il s’agissait de confronter le passé et l’avenir, le radicalisme de la jeunesse et les valeurs bien établies de la haute couture, chacun avec son esthétique propre. Je me suis efforcé de briser le carcan des robes de haute couture classiques, d’en faire quelque chose de moderne. Pour moi, un vêtement doit être portable… et je pense que personne ne se sent à l’aise avec une traîne de 35 kilos ! Je crois que je me suis parfois inutilement compliqué la vie en voulant faire du conceptuel sans prendre la peine d’expliquer mon approche. La vision que l’on a de la mode doit aussi être compréhensible pour les autres. Chez Dior, tout tourne autour des formes, de la féminité, de la nature – des données très simples, accessibles à tout le monde et partout, ce qui permet de toucher spontanément un public beaucoup plus large.

L’an dernier, vous avez aussi repris en main votre propre label…

L’entreprise a connu pas mal de rebondissements. Après une période difficile, nous avons dû travailler dur pour regagner la confiance de nos clients… mais tout va à nouveau pour le mieux, ce qui est évidemment génial. Mon label, c’est un peu mon bébé, alors que Dior n’est évidemment pas à moi et que je n’y resterai pas non plus éternellement. Il ne faut jamais l’oublier : chez Dior, on n’est jamais plus qu’un rouage dans la machine. Cette idée a quelque chose de fascinant.

Août. En été, l’industrie de la mode est à l’arrêt. Vous avez pris le temps de souffler un peu ?

J’ai passé le mois d’août dans les Pouilles, en Italie. J’aime me retrouver en pleine nature. Je vais aussi volontiers à Los Angeles, mais pas pour faire du shopping : ce que j’apprécie là-bas, c’est la lumière, le climat, le désert.

28 septembre, Paris. Votre première collection de prêt-à-porter été 2013 pour Dior reçoit un accueil triomphal…

Nous avons eu un peu plus de temps et j’ai été moi-même enthousiasmé par le résultat et les réactions. En même temps, je suis encore en plein tâtonnement ; j’aimerais notamment rajeunir un peu la mentalité de la marque. Pour moi, une robe de star doit aussi tenir la route dans la réalité quotidienne, et je veux que mes créations aient un sens pour notre époque. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas que le strass et les paillettes : Dior doit revivre, y compris en rue – même si ce n’est pas à tous les coins de rue. Bien sûr, on ne change pas une grande maison comme celle-là du jour au lendemain, et ce n’est d’ailleurs pas mon but. Dior, c’est une machine qui roule, et qui ne s’arrêtera pas de tourner parce qu’il y a un problème avec son directeur créatif. En un sens, je trouve cela rassurant. Les vêtements sont le point de départ du styliste, mais aussi son principal canal de communication vis-à-vis du public. Les femmes sont beaucoup plus ouvertes que la plupart des hommes à la nouveauté et au changement : c’est à chaque fois une nouvelle histoire, une nouvelle énergie, et cela me donne un bon feeling. Le principal défi, pour moi, ce sont les contraintes de temps, ce rythme effréné. Je regrette un peu cette impression de n’avoir jamais fini, de ne jamais pouvoir me reposer sur mes lauriers pendant un moment avant d’entamer un nouveau projet avec une énergie nouvelle : c’est une manière de travailler qui n’existe plus. Mais attention, je ne dis pas non plus qu’on me demande l’impossible ou que je suis vraiment frustré par cette pression constante. Si c’était le cas, je n’aurais jamais commencé.

25 décembre. Des projets pour Noël ?

À cette période de l’année, je ne sors pratiquement pas de chez moi : un vrai hamster ! J’aime alors que ma maison soit douillette et accueillante, avec un beau sapin, des décorations…

PAR JESSE BROUNS

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