Rapa Nui
Est-ce l’arrondi de son épaule, l’esquisse de sa poitrine, cette main sur la vulve, l’autre en dessous du sein ? Est-ce la douceur du bois ? Sa couleur miel ? Depuis dix minutes, fascinée par la délicatesse d’une statuette venue de l’île de Pâques, je tourne autour de la vitrine.
Et si je chapardais la figurine ? D’un coup sec, je frappe le verre, subtilise l’objet, le fourre dans ma besace. Ni vu, ni connu. Pas d’alarmes, pas de drames. Je fais semblant de rien.
Après tout, pourquoi pas ? Un homme aussi respectable que Joseph Théophile Alfred Aze, né à Brest le 2 avril 1828, a peut-être agi de la sorte en son temps.
Responsable du service de santé de Tahiti de 1868 à 1872, ce médecin a rapporté la sculpture dans ses bagages lors de son retour en France.
Comment se l’est-il procurée ? L’a-t-il volée ? Empruntée ? Achetée ? A-t-il longuement négocié avec les propriétaires ? Je n’imagine pas ce monsieur pénétrer dans l’une des habitations pascuanes en forme de meule de paille, s’enquérir poliment d’un prix avant de repartir avec la sculpture en guise de souvenir de voyage.
D’ailleurs, qu’est-il venu faire à l’époque dans ce territoire isolé de l’océan Pacifique ?
Plus connue pour ses alignements de statues monumentales en basalte – les Moaïs – que pour ces graciles représentations en bois sacré exposées aujourd’hui (Espace Fondation EDF 6, rue Récamier, à 75006 Paris, jusqu’au 1er mars 2009), l’île avait vécu confinée sur elle-même durant plusieurs siècles avant qu’un explorateur néerlandais n’accoste sur ses côtes le dimanche de Pâques 1722.
Située à plus de 2 000 km de la terre habitée la plus proche, Rapa Nui (son nom en langue maorie) n’en finira plus désormais d’être visitée.
Après avoir survécu à la disparition des forêts et au manque d’eau, son peuple eut à se confronter aux épidémies, aux pillages, aux raids esclavagistes. S’il a survécu, c’est par miracle.
Les graciles représentations mi-humaines, mi-chimériques sculptées avec soin pour servir de divinités domestiques ou festives rendent compte d’un lien très fort entretenu par les habitants avec l’au-delà. Est-ce cette capacité à s’évader par la pensée qui les a sauvés ?
(*) Chaque semaine, la journaliste et écrivain Isabelle Spaak (Prix Rossel 2004 pour son roman d’inspiration autobiographique Ça ne se fait pas, Editions des Equateurs) nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici