Loufoque et jubilatoire, Mari et femme du jeune écrivain brésilien Régis de Sá Moreira explore le couple avec humour et mélancolie. Un joli OVNI de la rentrée littéraire qu’on a eu absolument envie de voir de près.

Il porte la trentaine, un casque de cheveux seventies prolongé d’une barbe de cinq jours, une chemise à manches courtes sur futal de velours et un sac à dos de lycéen. Un profil familier. Générationnel. Tu commences ton entretien avec lui dans un bistrot parisien autour d’un café crème, tu l’observes et tu te dis qu’il pourrait être ton pote. Tu le tutoies direct, d’ailleurs. Naturellement. Comme dans Mari et femme, petit dernier de quatre romans barrés dans une veine fantastique et rêveuse à la Vian. Ecrit à la deuxième personne du singulier, Mari et femme se risque à traiter d’un sujet usé jusqu’à la moelle : l’échange des corps, ici entre un couple au bord de la rupture. Etonnamment, ce qui aurait franchement pu virer en farce lourdingue, type comédie hollywoodienne des années 1980, parvient à nous surprendre. Grâce à une vraie générosité du propos, un regard tendre et doucement mélancolique sur le couple, une écriture audacieuse pleine de drôlerie et d’inventivité. Au final, on tient là un roman qui donne singulièrement envie d’aimer sa moitié. Comme soi-même. Entretien.

Weekend Le Vif /L’Express : Te réveiller dans le corps de ta femme, est-ce un fantasme que tu aimerais vivre ?

Régis de Sá Moreira : J’adorerais. Peut-être que j’en avais marre que ça ne m’arrive pas alors j’ai écrit ce livre pour que ça m’arrive un peu. J’écris souvent comme ça : il y a des choses autour desquelles tout le monde est d’accord pour te dire que c’est impossible. Je prouve le contraire par l’écriture. C’est une petite rébellion de dernier recours.

Quelle est la part autobiographique de ce roman ?

Tu veux dire, est-ce que c’est ma femme qui te répond en ce moment ? Quand j’écris, les personnages apparaissent sans doute avec des parts de moi, mais c’est leur histoire à eux. Le livre a beau être assez intime, j’essaie de garder une certaine pudeur.

ça t’as pris du temps de boucler ce roman ? C’est un fameux défi syntaxique que d’écrire à la deuxième personne du singulier, non ?

Disons que ça m’a pris du temps de piger comment l’écrire. Ensuite, l’écriture en elle-même est venue assez rapidement. Quand l’emploi du  » tu  » est apparu, c’était plus une solution qu’un problème.

Le pitch du roman tient sur un timbre-poste. Il sent aussi le déjà-vu. Mais tu évites avec succès l’écueil de la grosse farce lourdingue…

Je me suis simplement efforcé d’éviter les pièges. Parce que, de fait, il y a tellement de gags pénibles à faire avec ce sujet, je te laisse imaginer… Mais l’important reste l’histoire d’amour et non l’échange des corps. C’est finalement un prétexte pour traiter des petits drames du quotidien de manière plus marrante, plus excitante.

Comment es-tu venu à l’écriture ?

Par la correspondance. Je me suis rendu compte que je pouvais passer une journée sur une chaise avec un stylo sans m’ennuyer. Ensuite, l’impulsion s’est confirmée avec des écrivains comme Richard Brautigan, J.D. Salinger, John Steinbeck. J’ai aimé leur tendresse.

Qu’est-ce qui t’inspire cette mélancolie, constante derrière l’humour et la loufoquerie de tes livres ?

C’est humain. La mélancolie n’est pas une injustice. Elle fait juste partie de la vie. Elle peut être dangereuse, mais elle comporte pas mal de douceur aussi. Il faut apprendre à la goûter. Sans s’enfermer, sinon, ça devient pénible et ça fout tout en l’air.

Propos recueillis par Baudouin Galler Mari et femme, par Régis de Sá Moreira, Au Diable Vauvert, 19

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