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Le père Gerasime, vigneron du monastère d'Alaverdi. © JEAN-PIERRE GABRIEL

Le vin est né en Géorgie, dans une amphore. Quelque huit mille ans plus tard, la tradition se perpétue et caractérise une viticulture encore peu connue hors des frontières de l’ex-empire soviétique. Voyage sur la route des vignes, au pied du Caucase.

Des routes en terre, des troupeaux de moutons qui paissent l’herbe rare ou les chaumes, de longues remorques qui se postent dans les coins les plus sauvages, chargées de plusieurs centaines de ruches. Dans la campagne, les vignobles côtoient les champs de tournesol. Artana ressemble à de nombreux villages de l’est de la Géorgie. C’est là, non loin du célèbre monastère d’Alaverdi et de la petite ville de Telavi, capitale de la province de Kakhétie, que Kakha Berishvili nous reçoit, dans son jardin. Il y a quelques années, arrivé ici avec trois amis, celui qui n’était alors que musicien s’est lancé dans la production de vin. Plus tard, ses compagnons de route sont repartis et Kakha est resté auprès de ses 2,5 hectares de vignobles, qu’il gère aujourd’hui avec sa fille Keti.

Au sein d’une cave aux allures de grange qu’on appelle marani, tous deux vinifient la vendange dans une quinzaine d’amphores en terre cuite enterrées dans le sol. Ces  » qvevri  » abritent les raisins écrasés au moment de la récolte et sont couverts d’une vitre scellée avec un matériau qui permet au moût de respirer. Le climat de Kakhétie étant plus chaud, il n’est pas rare que l’on n’égrappe pas les rafles. La fermentation peut alors commencer et durer ainsi quelques mois, selon le vin – blanc ou rouge – et le type de cépage. Il suffit ensuite de prélever délicatement le vin sans les résidus solides et de le transvaser ainsi filtré dans d’autres qvevri, toujours enfouis dans la terre. Quelques mois plus tard, le vigneron peut embouteiller.  » L’an dernier, ma fille a mené une expérience en vinifiant le raisin blanc du cépage rkatsiteli sans les peaux, explique Kakha. Son vin, produit en bio comme le mien, est élégant et rafraîchissant.  »

TRADITION SÉCULAIRE

Un peu plus loin dans le village se trouve une autre cave de dimension plutôt modeste. A sa tête, trois jeunes universitaires formés en économie, venus de la capitale. Ils cultivent actuellement un seul hectare, bio lui aussi, leur objectif étant d’arriver à un vignoble de 6 hectares. Les raisins blancs du cépage khikhvi sont mis dans les qvevri et restent six mois en contact avec les peaux. Le résultat ? Un beau vin blanc, très droit, avec des notes de pêches. Ils produisent aussi un magnifique saperavi aux accents de fruits rouges soutenus par des tannins élégants, fruit de six mois de fermentation en qvevri, avec les peaux.

Sur la route d’Artana à Telavi, on ne peut rater l’imposante silhouette de la cathédrale d’Alaverdi, située dans l’enceinte du monastère éponyme. L’actuel évêque est une figure emblématique du renouveau des vins de qvevri, oeuvre qu’il a entreprise en 1993. Son aura est à l’image de l’influence de toute l’église orthodoxe dans ces contrées. L’homme a même l’intention de récolter des fonds afin de construire une école pour former des potiers à la fabrication des qvevri. Implanté ici depuis le VIe siècle, le monastère ne compte aujourd’hui que peu de moines. Le seul que l’on rencontre est le père Gerasime, l’oenologue maison, qui perpétue ainsi une tradition remontant à l’année 1011. Tous les vins du vignoble sont élaborés dans les qvevri. En blanc, il s’agit du rkatsiteli, qui passe quelque 18 mois en amphore, avant la mise en bouteilles, dont un an après la filtration. Ce breuvage a des notes de fruits secs, typiques de l’oxydation, comme sa couleur orangée d’ailleurs. Mais le vin le plus puissant de l’endroit est celui produit en rouge avec le cépage roi de la Géorgie, le saperavi. D’aucuns l’ont comparé à des cabernet-sauvignon de la Napa Valley californienne, le boisé en moins. Ces accents sont remplacés par une note de fond plutôt indéfinissable sinon celle de la terre cuite mouillée.

PARADIS GASTRONOMIQUE

D’autres vins de qvevri méritent le détour, comme ceux d’Eko Glonti, commercialisés sous l’étiquette Lagvinari. Formé à l’anesthésie cardiaque durant le régime soviétique, ce médecin a d’abord pratiqué à Moscou. De retour au pays, il a été géologue avant de se lancer dans la vinification, dès 2011. Sa production est nature, bio et sans soufre ajouté. Il achète les raisins d’une douzaine de petits vignerons qu’il vinifie à sa manière. Les résultats sont surprenants, en particulier sur les blancs qui, avec leur profondeur, leur rondeur, leur côté raisins murs et fruits secs, se suffisent à eux-mêmes, tels des vins de méditation. On les imagine bien sûr avec des fromages mais ils excellent aussi sur des viandes rouges, comme d’ailleurs ses vins rouges. Outre le saperavi, Lagvinari propose un étonnant otskhanuri sapere. Peu connu, ce cépage autochtone présente des tanins veloutés, débute en bouche par des notes de prunes pour s’achever par de la cerise et du chocolat, tel un porto vintage.

Comme pour la majorité des vins produits en Géorgie aujourd’hui, ceux de Danieli le sont selon les techniques modernes de vinification. Avec son mari danois, Olaf Malver, Eka Tchvritidze a créé ce domaine de toutes pièces dans la campagne au nord de Telavi, notamment dans le village d’Akhmeta. Née dans cette région qui borde les montagnes sauvages de Touchétie, Eka est par ailleurs une cavalière chevronnée qui emmène, en été, des groupes en randonnée équestre dans les plus hauts paysages du Caucase géorgien. En quelques années, le couple a planté quelque 20 hectares de vignes, dont 9 de kisi, un cépage blanc indigène de Kakhétie, qui avait quasiment disparu au début des années 2000. Celui-ci produit des vins d’une belle acidité avec des notes de poire et de fleurs blanches.

Considérée comme un paradis gastronomique par toutes les anciennes républiques voisines, la Géorgie entend développer le tourisme oenologique. George Piradashvili l’a bien compris en ouvrant le Château Mere. Son hôtel baroque dégage une atmosphère chaleureuse et pleine de dépaysement. Quant aux vins embouteillés sur place sous l’étiquette Winiveria, ils sont bien construits, les saperavi étant de loin les plus impressionnants et complexes. La Kakhétie constituant la plus grande région viticole du pays, elle offre d’autres occasions d’associer tourisme et bonne chère. Plusieurs domaines possèdent leur restaurant, à l’image de géants comme Khareba ou Teliani Valley, qui élaborent des centaines de milliers de cols. Il en va de même à Kartli, la seconde terre vinicole située à une demi-heure de la capitale. La visite du château Mukhrani est incontournable, pour découvrir notamment ses blancs (rkatsiteli ou goruli mitsvane) ou ses rouges comme le shavkapito ou le saperavi. Cerise sur le gâteau, le chef du restaurant est l’un des meilleurs du pays. Là comme ailleurs, on peut aussi se laisser tenter par la grappa locale, joliment baptisée chacha, que la plupart des domaines distillent. De quoi satisfaire bien des palais.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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