Coupes classiques, jeans bruts… Les basiques reviennent en force. Les marques misent en effet sur des pièces intemporelles pour séduire la clientèle, plus pondérée depuis la crise.

Le salon Denim by Première Vision, à Paris, est sans doute le meilleur endroit pour décrypter les tendances en matière de jeans. Deux fois par an, plus de 3 000 professionnels du secteur s’y rassemblent pour présenter et découvrir les derniers développements proposés par tisseurs, confectionneurs ou fabricants d’accessoires venus des quatre coins du monde (Turquie, Italie, Brésil, Hongkong…). Du dernier salon, en novembre 2013, les visiteurs retiendront certainement le come-back de la toile indigo, après plusieurs saisons de fantaisies et de pantalons flashy.  » On note une baisse des couleurs et un regain du bleu, dans tous ses aspects « , confirme ainsi Philippe Friedmann, directeur artistique de la manifestation, qui prendra ses quartiers à Barcelone dès la prochaine édition, en mai de cette année.

Un retour aux sources du jeans que l’on constate déjà cette saison. Slim, boyfriend, vintage, coupes classiques, couleurs brutes… La tendance est aux bons basiques que les marques présentent comme  » iconiques « .  » Souvent en période de crise, on revient aux intemporels, poursuit Philippe Friedmann. Une partie de l’offre s’est focalisée sur le jeans selvedge (NDLR : une toile de très grande qualité) brut à cinq poches. Le mass market offre du modèle brut également, mais moins haut de gamme pour afficher un prix bas sur un look intemporel.  »

FACE À LA CRISE

Les turbulences économiques de ces dernières années ont en effet chamboulé le secteur de l’habillement, sans épargner le denim. Mais il aura fallu attendre l’an dernier pour connaître un coup d’arrêt brutal de cette belle croissance – 8 % en moyenne – dont jouissait le secteur depuis une décennie en Europe. En 2012, 455 millions de jeans ont été importés dans l’Union européenne. Une baisse de 7,3 % par rapport à l’année record 2011.

Depuis la crise, Le Temps des Cerises, spécialiste du délavage, a dû adapter son offre et proposer des modèles plus simples.  » Les consommateurs ne font plus d’achats compulsifs, explique Nicolas Faure, responsable communication de la marque française lancée il y a quinze ans. Ils veulent capitaliser sur leur achat et se tournent donc vers le basique.  » Pour lui, le jeans entre dans la même catégorie que la basket Stan Smith ou le trench : des intemporels qu’on peut porter facilement et qui durent. Produire sans délavage est également moins coûteux. Cela a permis au Temps des Cerises de proposer des pièces plus abordables.

A côté du contexte économique, la démocratisation qu’a connue le denim ces dernières décennies joue aussi un rôle dans l’engouement pour le basique. Après avoir été la coqueluche des rebelles, il est aujourd’hui porté par toutes les catégories sociales et dans toutes les circonstances. Même les grands couturiers en pincent pour cette matière. Paul & Joe, Louis Vuitton, Balmain et même Valentino l’ont intégré dans leur collection printemps-été 2014.  » On peut aller travailler ou être chic en jeans, note Nicolas Faure. Mais pour cela, il doit être brut avec des coupes classiques, sans trop de délavages.  »

UNE IDENTITÉ LIMPIDE

Alors que la demande se resserre, les marques doivent maintenir leur position. L’emballement dont elles faisaient preuve avant la crise s’est tassé. Pour rassurer le consommateur, elles retournent à leurs racines et proposent des produits les plus cohérents possible.  » Les labels essaient de protéger leur ADN au maximum, indique Remco de Nijs, l’homme derrière la marque G-Star. C’est très important d’avoir une identité spécifique et claire, qui soit reconnaissable facilement. D’avoir quelques modèles iconiques, aussi. Ceux qui n’ont pas un ADN limpide ou de pièces phares éprouvent plus de difficultés.  »

Selon lui, en conséquence de la situation économique, le nombre d’achats tend à diminuer, tandis que le montant dépensé augmente.  » L’arrivée de la vente en ligne a bouleversé les habitudes. Aujourd’hui, le client veut une réelle expérience dans le magasin. Mais une fois qu’il est entré et qu’il se sent à l’aise, il dépense.  » La griffe néerlandaise a d’ailleurs inauguré en décembre dernier un flagship store flambant neuf à Londres. Style minimaliste et détails industriels,  » l’univers visuel colle à notre image, cela participe à notre storytelling « .

LA RENAISSANCE

Le fondement de G-Star, c’est effectivement le jeans brut. Créé en 1989, son objectif était de réhabiliter le  » raw denim « . Pour son 25e anniversaire, G-Star ressort des cartons certains modèles des débuts pour une collection capsule baptisée Retrospective Range.

Le cas de Levi’s est également exemplatif, lorsqu’on parle de l’utilisation de l’ADN d’une marque. Ici, il est davantage question d’héritage. La collection de ce printemps-été, par exemple, met l’accent sur les racines californiennes du denimier américain. Un doux mélange entre nouveauté et design emblématique, comme la veste en jeans, la chemise western ou le célèbre 501, bien sûr. Un modèle que Levi’s a récemment adapté pour ses 140 ans. Désormais, la pièce mythique se décline aussi en couleur et avec une coupe plus moderne. Le 501 est même en passe de devenir l’indispensable de la saison, avec l’avènement du  » mom-jeans « , ce pantalon taille haute à la coupe vintage que les modeuses s’arrachent.

 » Reproposer les pièces iconiques nous permet d’offrir à nos clients du classique intemporel avec une touche de modernité, relève Jill Guenza, responsable mondiale du design féminin chez Levi Strauss. Ces produits s’enjolivent avec le temps et peuvent être portés saison après saison.  » Mais pour l’entreprise, dont le bénéfice net était en chute libre depuis 2008 pour finalement retrouver des couleurs l’an dernier, l’objectif est bien de rassurer le client :  » En période économique plus difficile, les consommateurs font des achats plus réfléchis et se tournent vers des marques en qui ils ont confiance.  »

L’IMPORTANCE DU PREMIUM

 » Pour les labels pure player, ceux qui proposent essentiellement du denim, les offres premium sont devenues incontournables « , insiste Philippe Friedmann. La qualité est en effet leur manière de se différencier du marché de masses. Armani Jeans l’a bien compris et développe une ligne Made in the World comprenant trois sets obstinément intemporels composés de deux pièces : un jeans et une chemise. Chaque ensemble est fabriqué respectivement en Italie, au Japon et aux Etats-Unis.  » La chaîne de production est intégralement située dans le pays d’origine et peut donc être tracée du tissage jusqu’au produit fini « , communique la griffe. Chaque vêtement est édité à 1981 exemplaires pour célébrer l’année où Armani Jeans a été lancé. Un autre bel exemple du retour aux sources, ici teinté d’éco-responsabilité.

 » LE BASIQUE DU FUTUR  »

Quelle place pour l’innovation dans ce culte de l’intemporel ?  » Le numéro un des ventes est le jeans slim brut pour les femmes, révèle Nicolas Faure. La coupe droite revient également assez fort. Les clientes veulent un modèle passe-partout.  » Ce qui n’empêche pas les denimiers de miser sur leur savoir-faire pour lancer également des pièces à la pointe de la modernité. Une nouvelle demande émerge notamment pour plus de confort. Le Temps des Cerises vient donc d’éditer une collection Power de denims ultrastretch pour un bien-être maximal.  » Les matières et les traitements sont toujours plus innovants, conclut Philippe Friedmann de Denim by Première Vision. Stretch avec meilleure restauration, traitement au laser et à l’ozone…  » Les techniques utilisées sont impressionnantes et se mettent au service du jeans  » parfait « .  » Nous combinons toujours notre design avec des éléments innovants « , note Remco de Nijs de G-Star. Sa philosophie ?  » Classic for tomorrow : c’est beaucoup plus enthousiasmant de penser au denim de 2020 que de tenter de créer la pièce la plus in ; on sera toujours dépassé… Ce qui nous intéresse est de créer le classique du futur.  »

PAR MARIE DOSQUET

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