Depuis dix-sept ans, elle crée artisanalement des chapeaux, des bonnets, des écharpes, des mitaines, des accessoires de tête élégants mais cool et vendus dans les meilleures boutiques du Japon, des États-Unis et de l’Europe. À part ça, Delphine Quirin est liégeoise de coeur et d’esprit. Et c’est plus qu’une qualité.

Elle doit sans doute être la seule au monde, mais elle est baignée d’hiver toute l’année. C’est que Delphine Quirin ne travaille pas au rythme de la mode qui veut qu’il y ait deux saisons : son univers, c’est le froid, la laine, sa matière. Est-ce parce que dans le tricot, il y a beaucoup de ratage et qu’il faut fonctionner par essai/erreur et puis dépasser ses/les limites ? L’été venu, pourtant, elle pense à celles qui détestent sortir nu-tête et propose quelques modèles primesautiers, des pièces uniques quasi ou sur mesure, qu’elle façonne avec des fleurs vintage, des voilettes qui ont vu le siècle passé et qui sont si belles, si raffinées, elle s’en émerveille en les sortant d’une caisse en carton, ses trésors qu’elle sauve de l’oubli, dentelles, plumetis, voile ajouré qu’elle se fait un plaisir de travailler.

Deux fois par an, la discrète Delphine fait  » portes ouvertes  » : elle invite le chaland dans son atelier liégeois, avec boutique  » éphémère  » à l’avant, ravissante, dans les tons vert pastel, avec chapeaux accrochés à la patère, posés sur les bustes ou dans des étagères cubes dont le fond est tapissé d’un papier peint rétro. Elle aime les choses d’antan, leur façon, leur parfum de nostalgie, leur délicatesse patinée, souvent décolorée. Et puis jouer au magasin, ça la bouscule un peu : elle qui fabrique tout sur sa propre tête se retrouve soudain face à d’autres trombines, il lui faut alors s’adapter, inventer et voir enfin ce que cela donne, ses Delphine Quirin portés par toutes ces dingues de chapeaux charmées par son univers. Il faut dire qu’elle cherche, beaucoup, elle aime ça, pareil pour la qualité, le travail bien fait, les finitions impeccables. C’est pour cette raison que tout ce qui est à son nom sort de son atelier artisanal, nul autre n’y a touché, à part sa petite équipe qui la seconde, sa garde rapprochée, sa maman Anne-Marie, son assistante Johanne et parfois Louisette qui vient la regarder travailler, la conseiller, l’épauler, du haut de ses 70 ans et des poussières, c’est elle qui lui a tout appris de la maille,  » tout « . Pas plus tard que demain, Louisette doit venir à la rescousse. A deux, elles s’escrimeront sur sa machine à tricoter qui fait des siennes, Delphine s’est déjà énervée dessus, tôt ce matin, il faudra bien trouver la panne et la réparer, sans l’aide de quiconque, car ces antiquités ne se fabriquent plus, ne se réparent plus – prétendent les techniciens bougons. Alors elles chipotent ensemble, démontent, remontent, échangent les pièces avec celles des autres vieilles machines qu’elle rachète quand elle en a l’occasion. Le règne de la débrouille inventive. A noter que Delphine Quirin aurait pu être technicienne, les maths, c’était son rayon à l’école, mais elle a préféré étudier l’histoire de l’art, qui lui a fourni un catalogue non exhaustif d’images puissantes, bien ancrées dans sa mémoire. Et puis elle s’est dirigée vers le chapeau, l’habillage des têtes puis des cous, des mains, c’est ainsi, sans jamais le décider vraiment, mais portée par son intuition, ses doutes, ses questionnements souvent harassants, sa volonté très ferme de ne jamais se compromettre. On lui fait remarquer que tout semble s’être enchaîné très naturellement,  » pourtant, je suis une tracassée  » dit-elle, qui sait que l’endurance, la volonté, la chance font partie de l’équation, on rajoutera le talent, dont elle n’est pas dépourvue. La preuve, en 1994, quand elle part, diplôme en poche, voyager en Amérique latine, avec tente et sac à dos. Pareil en 1996, quand elle se met à créer ses chapeaux, après cours du soir de modiste. Idem, en 1998, quand elle ouvre sa première boutique à Liège, parce que les amis des amis de ses amis lui en demandent tant et plus et qu’avoir pignon sur rue, c’est une belle idée, même si aujourd’hui, elle préfère que d’autres se chargent de vendre ses réalisations dans leur boutique, au Japon, à New York ou à Londres.

Si elle a commencé par tâter du chapeau de cérémonie, elle a doucement dévié vers l’accessoire en maille, tout ça parce qu’elle rêvait de construire elle-même sa matière. Le tricot tombe à pic, voilà une façon de créer la forme, les couleurs, les associations, tout à partir d’un fil et de ses doigts, avec aiguilles à la rescousse et cette machine qui fait du bruit,  » très technique « , sur laquelle il faut trouver son rythme, pour ne pas commettre d’imperfections,  » que cela ne coince ni à gauche ni à droite « , l’erreur n’est pas permise, elle est même fatale, un fil qui casse et c’est tout le tricot qui lâche. Ses accessoires sont si purs qu’ils ne sauraient souffrir une finition bâclée.

Depuis l’année dernière, Delphine Quirin travaille le Lurex. Elle en distille désormais dans sa collection, petite touche glamour, référence subtile à un bijou, une broche du temps où les femmes portaient quotidiennement  » des toilettes « , elle ne s’interdit rien. D’ailleurs, dans ses cheveux, elle pose régulièrement une barrette vintage, avec strass. Si elle pouvait, elle porterait des tiares, des diadèmes et des couronnes mais elle trouve qu’elle n’a plus l’âge, elle est pourtant si juvénile. Sous-pull noir, cardigan jaune et Lurex sur jupe à plis en jean, bottillons Nathalie Verlinden, Delphine est carrément primesautière. Quand elle sort, comme on est en Belgique et que l’été se fait attendre, elle enfile un bonnet qui pourrait être un Delphine Quirin, mais aujourd’hui, elle préfère s’afficher en the Girl and the Gorilla,  » c’est magnifique, très fin, et ces créatrices allemandes sont charmantes « . Car voici venue l’heure de se balader sous le ciel mosan, Delphine Quirin fait les honneurs de son quartier, l’un des plus vieux de Liège, qu’elle adore, vieux pavés, maisons à colombages, pareilles à la sienne qui date de 1870, en face de chez elle une librairie, dans cette rue Pierreuse qui monte vers la Citadelle à travers les coteaux. Elle ne quitterait ce coin pour rien au monde, elle y a ses habitudes, un café le matin dans un petit bistrot, pour pouvoir sacrifier à son rituel solitaire de lecture de quotidiens locaux, souvent interrompu par les copains et les copines qui connaissent ses habitudes.

Delphine Quirin, 26, rue Pierreuse, à 4000 Liège. www.delphinequirin.be

SON ATELIER

 » Mon atelier est au rez-de-chaussée de ma maison, qui date de 1870, avec des colombages. J’ai découvert ce quartier durant mes études, la maison d’Ansembourg, le Grand Curtius… je voulais vivre ici. J’ai habité rue Féronstrée pendant des années et puis j’ai déménagé rue Pierreuse, je me suis déplacée de quelques mètres. Je vis donc dans ma tour d’ivoire mais je suis ouverte sur le monde grâce à mon travail. Je me souviens, j’étais à Paris, au musée d’Orsay. J’aperçois une Japonaise qui porte un truc en pétard sur la tête. C’était un turban à moi, c’était gai, quelque part quelqu’un a acheté un accessoire Delphine Quirin sorti de mon petit atelier… Je ne voyage plus, mais mes chapeaux voyagent à ma place.  » A part ça, elle travaille à l’ancienne, artisanalement, et en tablier bleu marine,  » parce que je suis très bleu « .

SES CHAPEAUX  » ASCOT  »

Septembre 2012. Au mariage d’amis, qui rêvaient d’un thème  » Royal Ascot « ,  » on devait tous porter des chapeaux, il fallait se surpasser, il y avait un côté déguisement, mais élégant. J’ai créé des chapeaux, beaucoup, je me suis amusée « . Sur la photo, la bande de copines est chapeautée Delphine Quirin, elle a choisi la couronne fleurie, quelle allure. Rétro mais pas trop.

SON EDGAR SCAUFLAIRE

Edgar Scauflaire, peintre poète liégeois, né en 1893, mort en 1960. C’est le sujet de son mémoire de fin d’études d’histoire de l’art à l’Université de Liège, dicté par son  » amour pour les vieux beaux messieurs « . Plus sérieusement,  » on avait peu écrit sur lui, tout était à faire, mais c’était quand même accessible. Cela m’angoissait parce qu’il fallait contacter tous ceux qui l’avaient connu et j’étais très timide… Mais c’était génial, ce fut une fameuse école.  » Elle rencontre donc ses filles, l’écrivain Alexis Curvers, le peintre Jo Delahaut, le poète Arthur Haulot. Il y eut une expo, son mémoire fut publié dans le catalogue, les filles du peintre la remercièrent en lui offrant l’un de ses dessins, que Delphine aime tant. A l’époque, elle ne s’imaginait absolument pas créatrice d’accessoires ni de chapeaux, c’était sa passion, d’ailleurs,  » était-ce un métier ?  »

SON LIÈGE

 » J’y suis attachée parce que c’est ma ville. Pourtant j’ai parfois détesté Liège comme tout le monde : on se promet d’en partir, on se dit que la vie est mieux ailleurs et puis, pour finir, on se rend compte que tout ce que l’on pourrait lui reprocher, on le reprocherait partout, que ce n’est pas propre à l’endroit… Ce qui me choque ici me choquerait dans bien d’autres villes. Mais pour y vivre et y élever mes enfants, c’est un endroit idéal. Elle a bien évolué, on y a fait beaucoup de travaux et c’est une ville d’eau, cela la rend charmante. Je vis avec un néerlandophone, du mont Kemmel, qui ne la connaissait pas du tout. Quand il a débarqué ici, il a trouvé que c’était une ville très chaleureuse. Ses amis pensent la même chose… « 

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » MES CHAPEAUX VOYAGENT À MA PLACE.  »

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