Pour le créateur allemand, rien n’est jamais trop waouw, trop bling, trop luxe. Sa villa sur les hauteurs de Cannes est 100 % à son image. Ici comme dans sa mode, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est (se) raconter des histoires.

Même pas peur. La petite phrase sonne comme l’un de ces hashtags guerriers dont il a le secret. Lui qui ne craint ni le bon goût des autres ni les jaloux de tous bords, a le sens de la formule choc. Des mots pas toujours politiquement corrects qu’il ne se prive pas d’afficher tant sur les vêtements qu’il pense que sur les murs de sa villa cannoise. Comme la plupart des maisons du sud de la France, celle de Philipp Plein porte un nom – La Jungle du Roi – qui laisse deviner ce qui se cache derrière le grand portail sécurisé. Le roi, c’est lui, bien sûr, jeune entrepreneur de 37 ans, acteur principal d’une success-story comme on n’en voit plus beaucoup dans la mode aujourd’hui.

En dix ans, la griffe aux deux P s’est peu à peu installée dans le petit monde très fermé des marques de luxe. Un engouement que l’ex-étudiant en droit explique par la force de son  » storytelling  » comme disent les pros du marketing. Des histoires fortes, osées, il en raconte dans chaque collection – le cow-boy noir de l’hiver dernier cèdera la place ce printemps-été à un monde sous-marin fantasmé, peuplé de créatures aussi dangereuses qu’étranges – et surtout dans les défilés complètement barrés qui les mettent en scène.  » Avec ces shows, j’imagine tout un univers et j’invite les gens à y plonger, justifie-t-il. Je façonne des souvenirs, des images, du rêve. Avec mon chez-moi, je suis dans la même démarche, finalement.  »

CHAMPAGNE ET VOLUPTÉ

Lorsqu’il achète la maison en 2012, le jardin revenu quasi à l’état sauvage lui fait l’effet d’une jungle. Le point de départ ainsi trouvé, il ne lui restait plus qu’à se lâcher comme lui seul ose le faire. Dès l’entrée, un gorille rouge géant baptisé Wild Kong et signé Richard Orlinski donne le ton. D’autres animaux plus ou moins exotiques – on croise même une statue de Mickey dans la salle de jeu alors que des têtes de zèbres et des papillons peuplent les murs du salon – complètent le décor. La nacre, quant à elle, constitue un fil conducteur discret dans toutes les pièces, des vases XXL aux manteaux de porte en forme de cornes en passant par les assiettes en forme de conque de la salle à manger, rappelant que dans la tête de son créateur, cette jungle imaginaire, d’une luxuriance bienveillante, est sans doute à deux pas d’un lagon paradisiaque.

Dans le jardin cocon qui offre une vue plongeante sur la baie de Cannes, la piscine oasis fait les yeux doux aux occupants des six chambres de la villa. Au rez-de-chaussée, le bar à champagne ne propose que du Moët Ice Imperial, toujours servi sur glace par le maître des lieux. Un clin d’oeil malicieux à la maison champenoise sans laquelle rien ne serait sans doute arrivé.  » Je m’étais lancé en 1998 dans la confection de meubles, rappelle Philipp Plein. Cinq ans plus tard, Moët & Chandon m’a demandé de concevoir pour eux un lounge pour le salon de la mode CDP de Düsseldorf.  » Pour l’occasion, il fait fabriquer des sacs dans des chutes de peaux exotiques colorées et en vend pour plus de 100 000 euros dès le premier jour.  » Ça a été comme un déclic, ajoute-t-il. Je voulais me lancer dans le luxe, avec un produit fort, agressif mais pas moins fun pour autant, synonyme d’un certain d’état d’esprit par rapport à la vie, d’une envie d’être qui l’on veut.  » Persévérant, cet as du marketing impose son style, positionnant dès le début sa marque dans le premium, en travaillant avec les mêmes fabricants italiens – 80 % de sa production est issue de la Botte – que ses concurrents haut de gamme.

PLAISIRS PARTAGÉS

La villa de Cannes – qu’il appelle  » summer house « , soit maison d’été et pas de vacances – accueille aussi un studio de création dans lequel une grande partie de la collection AW 15-16, inspirée par la boxe et les  » combattants urbains « , a été dessinée.  » Je viens ici dès qu’il fait beau pour me ressourcer, justifie-t-il. Mais également pour travailler. S’il y a six chambres (NDLR : une annexe, en cours de rénovation pendant notre visite, lui permettra dès les beaux jours d’inviter plus de monde), c’est pour que mes amis et mes collaborateurs puissent m’y retrouver.  »

Comme pour chacune des boutiques de la marque – il espère d’ici fin 2015 pouvoir ouvrir la centième -, il a choisi chaque matériau, chaque meuble, n’hésitant pas à faire fabriquer sur mesure des objets hors normes comme les imposants chandeliers en verre de Murano griffés Signoretto Lampadari, la table de la salle à manger ou les murs aux miroirs facettés. Par-ci, par-là, on retrouve aussi quelques icônes du design – beaucoup de meubles de Konstantin Grcic, plusieurs Lounge Chairs en cuir blanc de Charles & Ray Eames, une lampe Gun de Philippe Starck… – et des objets ramenés de ses nombreux voyages.

Une vie à cent à l’heure dans laquelle il ne prend le temps de souffler que pour s’occuper de son fils Romeo qui lui a inspiré une ligne… Enfant !  » Pour faire face à la croissance de la société, j’ai tellement de choses à gérer que je ne vois plus cela comme du boulot, admet-il. Ce qui me motive, ce n’est pas l’argent. Ce sont mes rêves. Créer, concrétiser mes désirs, j’adore ça. Parfois cela va plus vite qu’on ne le pense, alors il faut rêver encore plus grand car pour avancer, il faut toujours avoir des envies en cours de réalisation.  » L’arrivée de son petit garçon a pourtant fragilisé ses certitudes.  » Il a changé mon existence, conclut-il, en me procurant de nouvelles émotions, en me donnant de nouvelles perspectives. Il dépend tellement de moi. Mon plus grand souhait, c’est de le voir grandir. Et surtout que nous restions amis, toute notre vie. « 

PAR ISABELLE WILLOT / PHOTOS : LUKE WHITE

 » J’imagine tout un univers et j’invite les gens à y plonger. Je façonne des souvenirs, des images, du rêve.  »

 » Pour avancer, il faut toujours avoir des envies en cours de réalisation.  »

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