C’est officiel : le premier correspondant permanent, accrédité par une agence de presse tout à fait sérieuse, a fait son entrée remarquée dans le monde virtuel de www.secondlife.com. A 30 ans, Adam Pasick couvre désormais les faits et gestes de ses semblables dans cet étrange univers parallèle sous le pseudonyme de Adam Reuters (du nom de la célèbre agence qui l’emploie). Payé à temps plein ! Concrètement, ce journaliste fait de chair et de sang s’est créé un double (dites  » avatar « , c’est plus branché) pour parcourir ce jeu en réseau et, surtout, y rédiger des reportages. Un peu comme si Adam Pasick avait été désigné envoyé spécial dans un pays très lointain, mais à la différence que ce pays lointain se trouve aujourd’hui, quelque part, sur la Grande Toile mondiale.

Petit rappel historique : en 2003, le site www. secondlife.com voit le jour sur le Web. Il s’agit d’un jeu de rôle numérique en trois dimensions où chaque joueur se crée un personnage – pardon, un avatar – pour le faire évoluer dans un univers virtuel proche de la réalité, à l’instar des très célèbres Sims ( lire Weekend Le Vif/L’Express du 29 octobre 2004). Au fil du temps, l’univers de cette  » deuxième vie  » se développe avec des habitants toujours plus nombreux, des maisons qui se créent, des îles qui se louent, des amis qui font la fête et des couples qui se marient. L’engouement pour ce divertissement on line est tel que la planète Second Life compte aujourd’hui un peu plus de 1 200 000 avatars représentant autant d’êtres humains disséminés tout autour du globe. Des joueurs passionnés qui vivent une autre existence par procuration. Des hommes et des femmes sans doute lassés par leur vie quotidienne et qui s’évadent, régulièrement, dans un décor informatique mettant en scène leur autre Moi.

Mais le plus étonnant, dans cette aventure cybernétique autogérée, n’est pas nécessairement cette désertion du réel au bénéfice du virtuel. Car en construisant, petit à petit, le décor de ce pays imaginaire, les joueurs connectés ont fini par développer une véritable économie parallèle avec une monnaie locale (le Linden dollar) que l’on peut échanger contre de vrais dollars américains pour acheter des biens et des services divers sur www.secondlife.com (vêtements, terrains, maisons, meubles, sorties…) Ridicule ? Pas vraiment. Car chaque jour, un peu moins de 400 000 euros changent ainsi de mains sur ce site très couru où l’on évalue à un bon millier le nombre de personnes qui vivent uniquement, grâce à leurs compétences, de ce commerce lucratif et soi-disant virtuel.

Aujourd’hui, le phénomène est tel que certaines grandes marques commerciales, attirées par le capital sympathie de Second Life, y développent des produits exclusifs et y construisent des boutiques originales censées séduire ces drôles de consommateurs difficilement atteignables par des voies classiques. Adidas, Toyota, Lego, Warner Bros, Reebok… Toutes ces griffes sont désormais présentes sur Second Life, optant pour un marketing résolument alternatif. Mieux, certains acteurs de la vie économique vont même jusqu’à y tester des produits non encore aboutis dans la vie réelle, à l’instar du groupe hôtelier Starwood qui a bâti son tout premier établissement dans ce monde virtuel ( www.virtualaloft.com) afin d’analyser les réactions des clients pour améliorer, dans la foulée, la construction de son double en béton dans le courant de l’année 2008.

Dans cet étrange télescopage entre le tangible et l’impalpable, l’envoi d’un correspondant de presse permanent sur Second Life, mi-homme mi-avatar, n’a donc finalement rien de singulier. Premier cyberreporter parachuté en terre imaginaire, Adam Reuters aura pour mission de relater un autre quotidien, surréaliste certes, mais révélateur toutefois d’une nouvelle économie en gestation. Un quotidien où les joueurs qui voulaient fuir la réalité sont de plus en plus rattrapés par celle-ci.

Retrouvez Frédéric Brébant,

chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même  » de Jean-Pierre Hautier sur La Première (RTBF radio) et également sur le site www.lapremiere.be dans la rubrique Podcast.

Frédéric Brébant

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