Avec plusieurs dizaines de créations olfactives en 2009, on peut zapper d’un parfum à l’autre. Mais on peut aussi replonger avec plaisir dans des senteurs définitivement entrées dans la légende.

Le parfum le plus vendu dans le monde, le N° 5 de Chanel, aura 90 ans en 2011. Shalimar fêtera l’année prochaine son 85e anniversaire. Quatre-vingts ans tout juste pour Joy de Patou, à sa naissance  » le parfum le plus cher du monde « , qui reprend un glorieux départ. L’Air du Temps de Nina Ricci, le pétillant sexagénaire, recommence à caracoler au top ten international.

Ce n’est pas pour exalter une vague nostalgique qu’on relance ces parfums anciens. Ce sont de grands parfums, composés dans la grande tradition de la parfumerie française et auréolés d’une grande personnalité, dont le nom et la qualité justifient largement un nouvel investissement. Cela dit, rester fidèle aux jus d’origine n’est pas si facile. Le respect des anciennes formules relève d’un véritable exploit. A cause d’abord des matières premières dont beaucoup ont quasiment disparu, tels l’absolu de fleur de violette, l’absolu de jacinthe, la tubéreuse française et surtout le jasmin de Grasse.

Autre disparition : les matières premières animales, musc, ambre, civette et castoréum, interdites suite aux pressions des mouvements écologistes et de protection des animaux. Depuis 1973, certaines matières premières ont également été interdites pour des raisons de législation sur l’innocuité toxicologique ou dermatologique. Les parfumeurs déploient donc des trésors d’imagination pour trouver de nouvelles molécules, capables de  » clôner  » le plus fidèlement possible les notes disparues. Car il serait suicidaire pour l’image et la crédibilité de la marque de modifier ou retoucher ce patrimoine olfactif.

Les hits d’avant-guerre

N ° 5 de Chanel (1921). Mademoiselle Chanel voulait  » un parfum de femme à odeur de femme « . Le parfumeur lui présenta plusieurs échantillons. Mademoiselle choisira le cinquième (d’où le nom !) La fragrance crée une nouvelle famille de parfums en mêlant pour la première fois un c£ur de rose et de jasmin à des matières premières de synthèse, les fameux aldéhydes qui donnent à son sillage fleuri une intensité inoubliable. La preuve, tout le monde s’en souvient. Toujours numéro un dans le monde, le N° 5 a séduit des générations de femmesà dont la star Marilyn Monroe.

A partir de 70,17 euros.

Shalimar de Guerlain (1925). Créé en pleine tendance orientaliste, Shalimar (qui signifie  » temple de l’amour  » en sanscrit) évoque les amours d’une jeune princesse hindoue et de son époux. Construit à partir de l’iris, de la vanille et de l’opopanax, c’est le plus oriental des orientaux avec en plus un fond poudré enveloppant comme une fine étole de cachemire. Aujourd’hui, Shalimar demeure le Guerlain le plus vendu.

A partir de 58,45 euros.

Joy de Patou (1929). Histoire de défier la morosité ambiante après le krach économique, le couturier Jean Patou veut offrir aux femmes le parfum le plus cher du monde. Résultat : un époustouflant parfum floral et un accord parfait autour des deux divas, la rose et le jasmin, soutenues en sourdine par un ch£ur d’orchidées et les voix basses du santal, du musc et de la civette.

A partir de 54,87 euros.

Femme de Rochas (1944).  » On doit respirer une femme avant même de l’avoir vue « , avait coutume de dire le couturier Marcel Rochas. La formule admirablement roulée met en avant la rondeur gourmande des fruits, pêche, prune, bergamote. Quelques épices, cumin et clous de girofle font monter la tension, prolongée par des fleurs capiteuses (jasmin, ylang) et un fond très charnel composé de mousses, d’ambre et de musc. Du nom jusqu’au flacon aux courbes sensuelles (selon la légende Marcel Rochas se serait inspiré des hanches de l’actrice Mae West pour le dessiner), difficile de faire plus féminin.

A partir de 43,89 euros.

Parfums au passé présent

L’Air du temps de Nina Ricci (1948). Cette fragrance, l’exemple parfait d’équilibre olfactif, évoque le sentiment de plénitude ressenti à l’après-guerre. Son instigateur, le couturier Robert Ricci, y voyait aussi l’expression d’un nouveau romantisme. Ce floral épicé est une ronde gaie et tendre avec le lys et l’iris qui chantent le romantisme et la féminité, l’£illet qui, mêlé au girofle, provoque des émotions, un fond poudré de santal et de musc propices à la douceur de vivre. Pendant longtemps, ce fut le premier parfum qu’on offrait aux jeunes filles.

A partir de 30 euros.

Youth Dew d’Estée Lauder (1953). Dans l’Amérique puritaine des années 50, la femme  » convenable  » ne se parfume pas. Dans ce contexte, le premier parfum de la reine des cosmétiques est une double provocation. Non seulement elle invite les femmes à porter du parfum mais elle tient à ce qu’elles l’achètent elles-mêmes. Pour leur faciliter la tâche, elle propose d’abord Youth Dew ( » rosée de jeunesse  » en français) en huile de bain que l’on peut s’offrir sans compromettre sa réputation. La fragrance suit, doublée d’une astuce inédite : le bouchon n’est pas scellé et permet à la cliente de pouvoir sentir immédiatement la fragrance, un oriental moderne, surdosé en bois et épices.

A partir de 28,50 euros.

L’Interdit de Givenchy (1957). Hubert de Givenchy fait réaliser ce parfum pour Audrey Hepburn. L’actrice est l’incarnation même de son idéal de beauté et d’élégance. Un peu plus tard, lorsqu’il lui parle de diffuser ce parfum, la réaction est très vive :  » Mais je vous l’interdis !  » On connaît la suite. L’Interdit rencontre un grand succès dans le monde entier, tombe dans les oubliettes avant d’être relancé en 2007. Ce grand fleuri aldéhydé est un hymne à la rose bulgare et à toutes les roses d’Orient. Elles sont sublimées par des accents de jasmin, de violette, d’iris de Florence, d’encens et de santal.

85,49 euros.

Aromatics Elixir de Clinique (1975). Dès le début, la marque américaine de soin et de maquillage a su fédérer une clientèle très fidèle. La composition, somptueuse, mêle rose, iris, mousse de chêne, ylang et patchoulià Le miracle, c’est qu’il s’est imposé peu à peu, sans pub et sans tapage, et n’a jamais cessé de progresser. C’est une fragrance très anticonformiste, jouant sur une véritable cohésion entre le corps et l’esprit, avec une grande créativité olfactive et une forte identité. Sans hésitation, l’une des plus belles réussites de la parfumerie du xxe siècle.

A partir de 27,50 euros.

Opium d’Yves Saint Laurent (1976). Le parfum qui suscita un tollé dans les années 70. A l’autre bout du monde, les Chinois crient au scandale devant ce nom, évocateur de la drogue qui a détruit tant de vies. Quoi qu’il en soit, Opium, selon la volonté du couturier, est un parfum dédié à une  » impératrice de Chine  » et, de manière plus générale, à son goût pour l’Orient. Cet oriental luxueux fait monter la température avec un mélange d’orange et de piment. Envoûtement assuré par l’overdose d’épices, de baumes et d’aromates suaves, de bois précieux, de fleurs odorantes, de fruits savoureux et de notes animales capiteuses. Un élixir de pure séduction.

A partir de 65,63 euros.

Anaïs Anaïs de Cacharel (1978). Double nom, double jeu, il évoque la dualité enfant-adulte, ressentie par les adolescentes. Très vite, celles-ci se reconnaissent dans cette fragrance créée spécialement à leur intention. Un bouquet de fleurs blanches (jacinthe, galbanum) et le charme troublant des fleurs faites femme (lys, jasmin, fleur d’oranger et tubéreuse). Premier parfum  » luxe  » à être vendu à un prix accessible, Anaïs Anaïs a été pendant plus de dix ans l’un des parfums les plus vendus dans le monde.

A partir de 35 euros.

Must de Cartier (1981). Dans cette décade de  » show of « , la businesswoman raffole de bijoux, de vêtements et d’accessoires  » pur luxe « . Encouragé par le succès de First, de Van Cleef & Arpels, le premier parfum de joaillier, Cartier tient compte de ces revendications élitistes et lance un parfum chaud, riche, sexy, un peu animal. La volupté et l’opulence de la vanille, du santal et de l’ambre est agréablement rafraîchie par les notes de galbanum et ses senteurs vertes. Quant au nom, il vient des Must de Cartier, collection d’accessoires et d’objets créée en 1973 qui a assuré la notoriété du joaillier aux quatre coins du globe.

A partir de 44,50 euros.

Angel de Thierry Mugler (1992). Le couturier a voulu imaginer un parfum qui fasse vraiment rêver, qui raconte une histoire et qui soit déconnecté de la mode et du temps. Né d’un souvenir de son enfance, Angel mêle l’odeur rassurante de chocolat, barbe à papa, caramel et autres douceurs vanillées. Son succès planétaire est dû à sa richesse et à sa capacité à évoquer à la fois la séduction, la spiritualité, mais aussi le réconfort et la régression. C’est un parfum de contraste et d’ambiguïté.

A partir de 56,99 euros.

Par Barbara Witkowska

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