L’inoubliable actrice de Ma nuit chez Maud est sur les planches à Bruxelles pour l’adaptation de Sonate d’automne de Ingmar Bergman. Un rôle qu’elle a voulu plus que tout autre.

L’image est posée à la verticale de sa bibliothèque. Elle dit qu’elle y pense souvent, comme à un saint protecteur. Lui, c’est Ingmar Bergman. Il est l’un des réalisateurs de prédilection de Françoise Fabian. La comédienne française a bataillé ferme pour acquérir les droits d’adaptation de son film Sonate d’automne (1978) qu’elle joue sur les planches, en novembre à Bruxelles, avec Rachida Brakni. Un huis clos au scalpel entre une mère égocentrique et sa fille.  » J’ai toujours eu envie de tourner avec Bergman, raconte l’actrice dans le salon de son appartement parisien, à deux pas du Centre Pompidou. Comme je n’en ai pas eu l’occasion, je me suis dit : je vais me l’offrir !  »

En ce qui la concerne, les cadeaux n’ont pas fait défaut. Pour quelques rendez-vous manqués comme Fellini qui la voulait pour La Dolce Vita, combien de rencontres décisives ? Louis Malle, Jacques Rivette, André Delvaux, Mauro Bolognini, Luis Buñuel, Jacques Demy : on ne compte plus les grands qui lui ont fait confiance depuis ses débuts au cinéma, au milieu des années 50. Mais s’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait Eric Rohmer qui lui offre, en 1969, le rôle-titre de Ma nuit chez Maud, chef-d’oeuvre du cinéaste.

Son agent lui déconseille pourtant à l’époque d’interpréter ce conte moral en noir et blanc où l’on passe son temps à philosopher dans des canapés. D’ailleurs aucun producteur ne veut financer ce scénario jugé bavard et austère. Pourtant, Françoise Fabian y croit. Parce que Maud, c’est elle. Une trentenaire raffinée, indépendante et incroyablement belle. Les cheveux noir de jais, les yeux opalins, le regard décidé. Une femme, une vraie. A la ville, Françoise Fabian vit alors une relation passionnelle et tumultueuse avec l’acteur Marcel Bozzuffi, décédé en 1988, et qui restera dit-elle, le grand amour de sa vie. Elle milite pour le droit à l’avortement et signe en 1971 le fameux Manifeste des 343 salopes.  » Je suis une féministe latente « , lâche-t-elle. Et une intellectuelle comme on l’a souvent dépeinte à l’écran ?  » Non, les intellectuelles pures et dures sont chiantes ! Elles ont tendance à donner des leçons. Je ne suis pas comme ça. Ou alors, je suis une intellectuelle à l’italienne. Quand je dînais avec Fellini ou Visconti, ils ne parlaient que de cul et de bouffe ! Ils ne faisaient pas étalage de leur culture comme on le fait en France.  »

Autodidacte, Françoise Fabian s’est nourrie très jeune de littérature sous l’influence de son père, directeur d’école en Algérie française où elle a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans avant de rejoindre le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. De sa maman, elle a gardé  » la frivolité et le goût du luxe « , écrit-elle dans son livre de souvenirs Le temps et rien d’autre.  » Et une certaine force vitale « , ajoute la comédienne.  » Ma mère, je l’appelais Scarlett O’Hara. C’était une battante. Un roc. Je pense avoir hérité un peu d’elle « .

A 81 ans, Françoise Fabian refuse d’entretenir la nostalgie. Même si elle ne cache pas sa part d’ombre. Comme les relations conflictuelles avec Marie, née de son premier mariage avec le cinéaste Jacques Becker.  » Ma fille a souffert de ne pas avoir de passion et m’a beaucoup reproché de me consacrer à mon métier. Le sens de ma vie c’est mon travail, encore aujourd’hui.  » L’actualité ne va pas la démentir. Et quand elle ne monte pas sur scène (Molière, Nora Ephron) ou joue dans des comédies à succès (Le prénom, Les garçons et Guillaume, à table !), elle voyage.  » L’été passé, je suis partie au Groenland, j’avais envie de fraîcheur. J’irai bientôt de Valparaiso jusqu’au cap Horn. On me dit « Tu pars toute seule ? » Beh ! oui, et alors ? Si je n’ai pas quelqu’un qui veut partir avec moi, en même temps que moi, au même endroit que moi, ça voudrait dire que je dois me priver ? Non, j’y vais !  » Ceux qui ont quitté Maud il y a quarante-cinq ans peuvent être rassurés, elle n’a pas changé.

Sonate d’automne, les 19 et 20 novembre, au Wolubilis, à Bruxelles. www.wolubilis.be

PAR ANTOINE MORENO

 » Les intellectuelles pures et dures sont chiantes. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content