La nouvelle est tombée, claire comme de l’eau de Rochas. Procter & Gamble cesse l’activité prêt-à-porter de la célèbre maison de couture. Au moment où son directeur artistique, Olivier Theyskens, est consacré meilleur créateur étranger, le propriétaire procède au grand nettoyage.

En mars dernier, lorsqu’il présentait sa collection de petits ramoneurs en tailleurs pantalons cigarette qui arboraient des échelles en guise de serre-tête, du maquillage charbon flirtant avec le ciel gris de Bruxelles et de Paris, ses deux villes, Olivier Theyskens savait-il qu’il jouait sa dernière partition pour Rochas ? Que le 18 juillet 2006, Procter & Gamble, propriétaire de la marque depuis 2003 (date du rachat du fabricant de cosmétiques allemand Wella et de sa filiale Parfums Rochas qui gère le prêt-à-porter féminin et les accessoires haut de gamme de la marque), allait annoncer officiellement la fermeture de Rochas dès la fin du mois d’octobre 2006 ?

 » Une activité qui n’appartient pas à son c£ur de métier « , se contente laconiquement d’expliquer le communiqué de presse provenant du groupe à Paris, spécialisé dans la fabrication des produits détergents et de cosmétiques avec, pour têtes de gondole, Ariel, Dash ou Gama. Mais aussi propriétaire des parfums Hugo Boss, Jean Patou, Lacoste et, depuis le 1er juillet 2006, Dolce & Gabbana. Pour en savoir plus, il faut se pencher sur le communiqué de presse rédigé en anglais, qui affirme clairement que d’un point de vue strictement financier, le prêt-à-porter Rochas n’est pas une affaire, contrairement au secteur Rochas parfums, qui reste dans le giron de Procter & Gamble. Après la fragrance  » Poupée « , dont le flacon avait été dessiné par Olivier Theyskens, et  » Reflet d’eau « , d’autres lancements sont d’ailleurs prévus pour 2007.

La nouvelle, qui survient quelques semaines à peine après l’attribution du prix à Olivier Theyskens du  » Meilleur créateur étranger  » lors des Fashion Awards le 5 juin 2006 à New York, surprend par sa brutalité. Et suscite même l’incompréhension. Mais le talent du créateur, reconnu internationalement, n’aura pas suffi à convaincre l’actionnaire qui a soutenu pendant près de quatre ans les créations du jeune prodige franco-belge. Preuve qu’en mode, si la reconnaissance des journalistes est une consécration nécessaire, elle n’est jamais suffisante car elle doit toujours se doubler de celle des acheteurs. Plutôt que de perdurer dans un secteur qu’il ne maîtrise pas, Procter & Gamble a donc préféré faire la grande lessive. Il est vrai que la survie du prêt-à-porter Rochas nécessitait des investissements importants pour développer, comme d’autres marques sont en train de le faire (lire notre article sur Nina Ricci en pa- ge 102), le secteur accessoires. Quasi inexistant chez Rochas, il peut atteindre 40 à 60 % du chiffre d’affaires des grandes maisons. Il aurait fallu, aussi, ouvrir d’autres boutiques, la marque ne comptant en effet jusqu’ici qu’une seule vitrine, rue François Ier à Paris, un corner aux Galeries Lafayette et 60 points de vente sélectifs à travers le monde. Trop faible, trop modeste. Comme c’est la règle dans le business, les chiffres ont eu le dernier mot.

 » Procter & Gamble ne possède aucune autre maison de mode, précise le communiqué de presse, et ne peut donc offrir les conditions d’un développement satisfaisant qui passerait par des moyens supplémentaires et par un environnement constitué de compétences spécialisées dans la couture et le prêt-à-porter.  »

1955 : premier soupir

Avec la fermeture de Rochas, pour le milieu de la mode, c’est un nom chargé d’histoire qui s’éteint. Fondée en 1925 par Marcel Rochas, la maison connut ses heures de gloire dans les années 1940 sous l’impulsion de celle qui reste encore aujourd’hui sa muse, Hélène Rochas, aujourd’hui âgée de 79 ans, et qui fait encore de rares apparitions lors de soirées de la jet-set parisienne.

Pour cette grande dame de la mode, la nouvelle a sûrement dû réveiller quelques souvenirs. Car Rochas n’en est pas à son premier endormissement. Déjà, à la mort de Marcel Rochas, en 1955, la maison connaît une longue éclipse de plus de 30 ans, avant d’entamer une première relance en 1988. Mais c’est en 2002, au moment de la nomination d’Olivier Theyskens à la direction artistique de la marque, qu’elle retrouve toutes ses lettres de noblesse. Avec des collections romantiques qui s’inspirent, comme celle du printemps-été 2006, des peintures de Monet ou encore de sublimes robes fourreau qui viennent ponctuer ses défilés comme un leitmotiv, Olivier Theyskens a su réinventer les codes de la griffe française.  » C’est une marque qui n’a pas nécessairement beaucoup de codes. A la base, elle est très neutre, confiait Olivier Theyskens à Weekend, lors d’une interview qu’il nous accordait dans notre numéro spécial mode du 24 février dernier. Même si elle a une histoire et un passé qui m’ont inspiré une vision très fraîche, un peu pimpante mais aussi supercontemporaine.  » Grâce à sa créativité, Olivier Theyskens a su marier avec talent, l’élégance, le romantisme, le glamour et le chic des années 1940 tout en les réactualisant. Et chacun de s’interroger aujourd’hui. Que deviendra la griffe, associée à jamais au luxe français ? Va-t-elle simplement disparaître du paysage de la mode ?  » Pour le futur, la société se réserve la possibilité d’étudier différentes solutions pour cette activité « , précise encore, très laconique, le communiqué de presse. Selon nos informations, une consultation juridique est en cours auprès du comité d’entreprise pour proposer prochainement un plan social aux 30 membres du personnel. Dès lors, on peut tout imaginer, la porte est grande ouverte aux candidats au rachat qui ne devraient pas tarder à se manifester, précise le service de presse. La dernière collection automne-hiver 2006-2007, présentée lors des défilés parisiens, sera de toutes façons disponible en boutique. On imagine déjà le rush… Ne pourrait-elle pas devenir, en effet, un collector ?

Quant à Olivier Theyskens, au moment où nous écrivons ces lignes, il semble serein. Il est vrai que plusieurs choix s’offrent sans doute à lui. Reprendre sa propre marque ? La question ne semble pas d’actualité. Des rumeurs l’imaginent à la direction artistique des célèbres maisons Chloé ou Oscar de la Renta. Pour l’instant, le jeune créateur ne se livre à aucun commentaire. Mais, au vu de tous les lauriers récoltés ces dernières années, on prend le pari que son avenir est assuré. A 30 ans à peine, l’échelle de ramoneur déployée dans son dernier défilé devrait rapprocher  » le meilleur créateur étranger  » encore un peu plus près des étoiles.

Agnès Trémoulet

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