Musicien anglais cherche possible reconversion culinaire. En Grande-Bretagne, les pop-rockers quittent parfois la scène pour investir la cuisine, rédiger des chroniques gastronomiques… voire fabriquer du fromage de chèvre.

Tamworth, berkshire, gloucester old spot… provinces anglaises ? Enseignes de pubs ?  » Not quite « . Il s’agit en réalité des races de porcs qui font la fierté de l’agriculture britannique. Mais ce sont aussi les mots qu’Alex James prononce le plus ces jours-ci.  » Alex who ?  » James. Ex-bassiste de Blur, le groupe qui, avec Oasis, a dominé la scène britpop des années 1990. Plus connu pour ses dépenses festives inconsidérées dans les clubs de Londres que pour ses compétences agricoles. Désormais il vit avec femme et enfants dans une ferme des Cotswolds, au nord-ouest de Londres, épicentre d’une nouvelle ruralité chic, et se lance dans l’élevage de cochons, dans le but de fournir ses amis rockers, et tous les autres, en… saucisses. De là, une maîtrise parfaite de l’organigramme porcin.

Sur ses 80 hectares de terres paissent déjà moutons et 400 chèvres grâce auxquelles il fait un fromage demi-sec, Little Wallop (littéralement  » petite beigne « , on ne se refait pas), créé au printemps dernier et récompensé aux British Cheese Awards. Vendu dans les villages voisins, son fromage l’est évidemment partout où il faut à Londres, et servi au pub du coin aussi bien qu’au Rivington Grill de Shoreditch. Alex James est un gentleman-farmer pressé qui doit choisir le nom de son prochain fromage –  » J’hésite encore entre Churchill Lady et Rotten Bastard  » – et rendre sa copie à l’Observer Food Monthly, supplément mensuel du Guardian, bible des  » foodies  » outre-Manche, dont il est un des chroniqueurs vedettes, sous le nom de Foodie Boy.

Le Guardian, institution britannique et creuset d’une prose gastronomique nouvelle génération ? Peut-être, si l’on en croit l’exemple de M. James et celui de son prédécesseur, Alex Kapranos. Le chanteur du groupe écossais Franz Ferdinand a en effet tenu une rubrique hebdomadaire de septembre 2005 à août 2006, le temps de la tournée mondiale de son groupe, commentant les habitudes culinaires des pays étapes. C’est Helen Pidd, la  » food editor  » du Guardian, qui lui a proposé la chronique, tout simplement parce qu’elle le trouvait fin et qu’elle savait qu’il adorait manger, aller au restaurant et – bien – en parler. Cela a donné lieu à de grands moments de décryptage sociologico-culinaro-musical plutôt drôles et bien vus, au cours desquels Kapranos se lamentait sur l’inanité des commentaires de ses compatriotes british faisant la queue devant un snack tchèque, et rêvait au meilleur hamburger du monde, tout en étant absorbé par la contemplation d’une fissure au plafond de son motel de Los Angeles.

Faudrait-il donc avoir souffert de la mauvaise réputation de sa gastronomie pour oser la pratiquer de manière affranchie ? L’absence d’un héritage gastronomique écrasant est-elle le terreau d’une liberté de ton, et donc de mouvement entre des professions qui n’ont en principe rien en commun ? Il serait un peu allusif d’étayer des comparaisons théoriques entre le rock, la pop et la cuisine. Pour autant, il est certain qu’il existe une allure rock, physique et morale, prégnante chez les chefs vedettes d’Angleterre.

Le premier à être entré en scène est sans conteste la star de la cuisine anglaise, Marco Pierre White. Parce qu’avant lui il n’y avait en cuisine que des chefs traditionnels, et français : Raymond Blanc (le Manoir aux quat’ saisons) et les frères Roux (le Gavroche) en tête. MPW a pris la scène londonienne à la hussarde, air ténébreux, cheveux longs et coups de gueule en guise de toque amidonnée. Avec ses restaurants (Mirabelle, l’Escargot, Belvedere, Criterion…), Londres s’est mise, au début des années 1990, à vibrer au son d’une cuisine à la fois étoilée et sexy. Dans son sillage : Gordon Ramsay, talonné par Jamie Oliver, Fergus Henderson (chef du formidable St John), Hugh Fearnley Whittingstall (chef du River Cottage, auteur notamment du Meat Book, chroniqueur à l’ Observer Food Monthly), Heston Blumenthal (chef du Fat Duck)…

Têtes de chef, gueules de rocker et discours idoine. Pas étonnant du coup que tout le monde se soit intéressé à eux, que la presse ait ouvert les vannes, que les groupes de rock ressemblent aux brigades de cuisine, et vice versa. Car il en résulte une désinhibition, pour ne pas dire une déprofessionnalisation culinaire ambiante, qui trouve son prolongement dans la presse. L’ Evening Standard s’est offert jusqu’à récemment les services de Toby Young, plus connu pour ses auto-fictions radicales que pour la fiabilité de son palais. Au point que son chef de service lui a donné pour consigne de ne pas écrire plus d’un paragraphe sur l’assiette…

Du côté des femmes ? Une chanteuse, et pas des moindres, Neneh Cherry, assume pleinement sa passion pour une cuisine à son image : métissée (anglo-suédo-caribéenne), très soul, très sensuelle. Avec sa meilleure amie chanteuse, Andi Oliver, elle a animé en 2007 sur BBC 2 un show culinaire, Neneh and Andi Dish It Up, au cours duquel elles cuisinaient à quatre mains des plats aussi gourmands et chaleureux qu’approximatifs.

Elles préparent en ce moment un livre de recettes et sont ravies de cuisiner pour le public, en musique de préférence, comme elles l’ont fait, à Paris, pendant la Semaine du Fooding 2007. Elles ont alors occupé la cuisine d’un petit hôtel afin d’offrir aux heureux hôtes des dîners hors norme. Plus étonnant : la mythique Siouxsie Sioux, chanteuse des Banshees ( Hong Kong Garden, Arabian Nights, etc.), qui a sorti son premier album solo, Mantaray, à l’automne dernier, trente ans après avoir surgi, à l’été 1977, telle une météorite punk-gothique, mitonne dans le Lot, pas loin de Cahors, un livre de recettes qui pour l’heure n’aurait pas encore d’éditeur.

En France, où la tentation, plus abstraite, plus française sans doute, serait de faire le pont entre les disciplines plutôt que d’opérer une reconversion, on épinglera aussi le groupe Aston Villa, qui, en 2003, avait mis en musique un menu du triple étoilé Pierre Gagnaire. Le morceau est d’ailleurs toujours la musique d’attente de son restaurant de la rue Balzac, à Paris. Dans la même idée de performance, on a entendu François Simon, journaliste gastronomique au Figaro, caresser l’idée de réciter Nietzsche sur fond de mur de guitares électriques, devant une table dressée et garnie. Amusant sans doute… mais loin d’un métier de chanteur éleveur ou de chanteur chroniqueur.

Carnet d’adresses en page 90.

Elvira Masson

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