Roman noir à Bruxelles
Le fait divers, il en connaît un bout. François Weerts, 48 ans, a longtemps usé ses semelles au parquet et dans les cours d’assises. Ancien de La Dernière Heure – pour qui il a couvert les tueries du Brabant – puis de L’Instant, le journaliste belge publie aux éditions Actes Sud Les Sirènes d’Alexandrie, son premier roman. » Avec ce livre, je me rends compte que finalement ce qui m’a toujours intéressé c’est l’écriture, nous confie l’auteur autour d’une bière fraîche dans un café du centre de Bruxelles. C’est ce que j’appelle mon rendez-vous manqué avec le journalisme. Parce que ce qui compte dans ce métier, c’est l’information. Avoir une plume c’est mieux, mais c’est presque secondaire. »
Boîte de Pandore à néons. Où l’on fait la connaissance d’Antoine Daillez, pisseur de copie pour le compte d’un canard populaire gavé d’affaires de m£urs et de crimes crapuleux. Tiens, tiens… » Là s’arrête la comparaison avec mon héros, sourit François Weerts. Antoine n’est qu’un alter ego romanesque fantasmé. » Heureusement pour lui… Car par le fruit pourri du hasard, le jeune pigiste hérite à la mort de son grand-père d’un bien sensiblement encombrant pour un fait-diversier : une maison décatie du quartier de la gare du Nord occupée par un bordel. Si joliment baptisé l’Alexandrie par Gudule, improbable maquerelle fan de Cloclo. Contre son gré, Antoine va s’embourber dans une série d’histoires louches, l’obligeant à déterrer le passé trouble de son aïeul sous l’Occupation. Secondé par un flic un brin désabusé et un professeur d’histoire zélé, le journaliste va affronter tout à la fois la clique des macs, une bande de skins sanguinaires opérant en sous-main pour la nébuleuse de l’extrême droite flamande et un contingent de flics aux idées vissées. Mais surtout des secrets de famille enfouis et douloureux. » Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de partir de l’histoire d’une maison et d’un quartier et d’y greffer une histoire à la trame tout à fait policière. » Un dispositif qui appelle des passages très bien sentis sur Bruxelles.
Bruxelles ma belle ? Sur fond de descriptions des horreurs architecturales infligées à la capitale belge dans les années 1960-1970, François Weerts assène un coup de plume rageur aux fonctionnalistes de l’aménagement urbain. Doucement nostalgique du temps où Bruxelles bruxellait, l’auteur interroge le sens du souvenir et l’inconscience assassine qui peut découler d’une mémoire volontairement défaillante. Qu’elle concerne l’histoire personnelle et familiale (Antoine face aux actes insoupçonnés de son grand-père), patrimoniale et sociétale (la politique de table rase meurtrière pour l’Art nouveau) ou politique (la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale et ses avatars contemporains). » Contrairement au roman à énigmes à la Agatha Christie ou aux grosses machines américaines type Harlan Coben, le roman noir permet de révéler une réalité sociale, remarque François Weerts. C’est comme en presse, le fait de société est toujours passionnant parce qu’il dit quelque chose sur le vivre-ensemble. »
Un bonheur de noirceur Mais Les Sirènes d’Alexandrie, c’est avant tout un vrai plaisir de lecture. Une fiction noire de noir qui nous plonge dans le monde paradoxal, attachant et violent de la nuit. Celui des filles de joie au c£ur lourd, des noceurs avinés et des malfrats de plus ou moins bas-étage. Un étanche-soif idéal pour soirées fades et policées. A siroter en attendant un deuxième roman. Déjà en préparation…
Baudouin Galler
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