ROYALE ESCORTE

Edouard Vermeulen dirige la maison Natan depuis trente ans. Passionnément. Pour son anniversaire, la griffe belge aimée des princesses sortira des frontières. En juillet prochain, elle défilera à Paris. Retour sur une saga couronnée de succès.

Sur le sol de son bureau, des dizaines de photos des trente dernières années sont soigneusement réparties en petits tas. Sa première campagne publicitaire. Son premier défilé en présence de celle qui était encore à l’époque la princesse Paola. Sa première plaque sur la façade d’une maison de maître, au n°158 de la prestigieuse avenue Louise, à Bruxelles :  » Edouard Vermeulen, décorateur « .  » J’ai débuté ma carrière dans cet immeuble en tant qu’architecte d’intérieur, il y a trente ans, se souvient-il. Je louais le hall et un petit bureau derrière l’ancienne Maison Natan. Au bout d’un an et demi, la gérante m’a mis au pied du mur : « Soit vous partez, soit vous reprenez l’ensemble du rez-de-chaussée. » Après avoir trouvé un accord avec elle, j’ai installé quelques meubles et ouvert les portes au public. Les clients entraient mais ne cessaient de me demander des vêtements. J’ai alors décidé de me lancer dans cette voie. J’ai acheté une machine à coudre, quelques tissus de tentures et j’ai trouvé une couturière via une petite annonce. C’est Christiane qui m’a appris le métier. Elle a travaillé pour moi jusqu’à l’année dernière. A l’époque, on a réalisé ensemble quatre tenues que nous avons ensuite essayées sur les mannequins disposés entre les meubles. L’aventure était lancée, six mois plus tard, je laissais tomber la décoration.  »

Pourquoi avoir choisi la couture ?

A l’époque, c’était le début du prêt-à-porter belge : Gigue, Strelli, Scapa… Tous s’y attelaient depuis cinq ans. De mon côté, je souhaitais confectionner des pièces plus haut de gamme. Notamment en raison de la noblesse de la maison et de sa localisation sur l’avenue Louise. Ce n’est que quelques années plus tard, en ouvrant des boutiques à Knokke, Anvers et Bruxelles, que nous avons décidé de proposer également du prêt-à-porter. Pourtant, je me considère avant tout comme un couturier et non comme un créateur. Un créateur propose quelque chose de nouveau et présente sa propre vision de la mode. En tant que couturier, j’applique la mode et me concentre sur ma clientèle. J’ai le sentiment d’être plus proche de celle-ci, de la connaître davantage. J’émets des propositions mais ce sont toujours mes clientes qui ont le dernier mot. C’est une tout autre manière de travailler : on se préoccupe moins des tendances que de la mise en beauté d’une femme.

Jusqu’à présent, vous avez habillé trois générations de femmes. Comment vous êtes-vous adapté ?

Aujourd’hui, une femme de 50 ans est tout à fait différente de celle d’il y a trente ans. Avant, une femme de 30 ans s’habillait comme une femme de 50 ans alors que c’est l’inverse actuellement. En réalité, nous avons un seul type de cliente : la femme qui souhaite rester jeune. Moi-même, je ne m’habille plus aujourd’hui comme je le faisais il y a trente ans : je porte un jeans et une chemise plutôt qu’un costume. La mode a énormément évolué. Tout va beaucoup plus vite et on est continuellement en quête de nouvelles pièces. Un jour, après un défilé, un journaliste a demandé à Coco Chanel :  » Alors, comment était-ce ?  »  » Démodé « , a-t-elle répondu. Elle considérait en effet qu’il s’agissait déjà du passé. Le changement est ce que j’apprécie le plus dans l’univers de la mode. Lorsqu’on achète un meuble, c’est pour des années alors que ce n’est pas un luxe de s’acheter une nouvelle robe chaque saison.

La princesse Paola a assisté à votre premier défilé en 1984. Etait-ce le début de votre collaboration avec la Maison royale ?

Non, cette collaboration n’a débuté qu’une dizaine d’années plus tard et a été progressive. Paola était présente par hasard à ce défilé. L’Association belge des aveugles et malvoyants m’avait proposé d’organiser un défilé caritatif et la princesse en était alors la présidente. Ma première véritable collaboration avec la Maison royale a eu lieu en 1999 lorsque j’ai réalisé la robe de mariée de la princesse Mathilde. En tant que Belge, l’honneur était immense. D’autant plus que je suis un vrai royaliste, comme mes parents et grands-parents. Un atelier distinct a été installé afin de pouvoir travailler durant trois mois sur la robe et le manteau – le mariage a eu lieu en hiver. C’est l’unique faveur qui a été concédée. Car chaque femme qui fait confectionner sa robe de mariée chez moi souhaite une tenue de princesse et j’y accorde autant d’importance.

Vous êtes depuis lors un partenaire privilégié de la Cour. En quoi consiste votre fonction ?

Il s’agit de conseiller les membres de la famille royale en toute discrétion, tant lorsqu’ils portent mes créations que celles d’autres couturiers. Je ne m’étale pas dans la presse lorsqu’une personnalité royale porte l’une de mes tenues mais les médias aiment en parler. Le public s’intéresse également beaucoup à la façon dont s’habille la princesse Mathilde. Elle suit la mode et reste ouverte aux suggestions, pour autant que celles-ci ne soient pas trop surprenantes. Cela ne collerait pas à sa personnalité et ne serait pas dans l’esprit actuel.

Vous travaillez également pour les familles royales des Pays-Bas, de Suède et du Danemark…

C’est vrai. J’ai d’ailleurs reçu un appel de Maxima il y a quelques jours. Je l’ai habillée à l’occasion d’une mission commerciale en Asie et elle me contactait pour me dire que tout s’était bien passé et pour remercier chaleureusement toute l’équipe. C’est très amical de sa part, d’autant plus qu’elle est actuellement sous les feux des projecteurs puisqu’elle s’apprête à monter sur le trône. Cela étant dit, je traite chacune de mes clientes avec le même respect. Je trouve cela normal dans une maison de couture. Ce n’est en rien comparable à une boutique où les pièces sont simplement installées sur des tringles. Lorsque mes clientes sont servies dans le salon, le sentiment de luxe doit les séduire. En matière de service et de travail sur mesure, nous continuons à faire la différence vis-à-vis de la concurrence.

La couture est-elle toujours actuelle ?

Je pense que oui. Notre salon de couture se porte très bien. Les temps ont bien entendu changé : avant, l’avenue Louise comptait de nombreux salons et ateliers de couture où faire confectionner ses vêtements. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais on achetait à l’époque deux pièces par an alors qu’on en acquiert trente à l’heure actuelle.

En quoi vos racines familiales vous ont-elles influencé ?

Je me sens Belge avant tout, puis Flamand de Flandre occidentale. Cela ne changera jamais même si j’habite à Bruxelles depuis trente ans. Je parle mieux le dialecte de ma province que le néerlandais courant. Mes parents sont originaires d’Ypres et m’ont éduqué dans le dialecte de la région. Ils m’ont aussi appris à travailler dur et à rester critique vis-à-vis de moi-même. Je pars du principe que toute réalisation pourrait être encore plus aboutie. Même si le client est satisfait, je ne peux m’empêcher de trouver l’un ou l’autre petit défaut à la tenue. Sans cet esprit critique, on n’avance plus. Avec les années, j’ai appris à y faire face car l’insatisfaction permanente peut également être contre-productive.  » Le jour où vous trouvez une collection réussie, c’est qu’il est temps de s’arrêter car cela signifie que la créativité s’en est allée « , disait Yves Saint Laurent.

Vous participez depuis dix ans au défilé caritatif des Petits Riens. Cela nourrit-il votre créativité ?

Absolument. Il est tellement plus simple de partir d’un morceau de tissu que d’un tas de vieux vêtements déposé sur une table. Nous prenons le temps de réfléchir à la pièce que nous allons transformer et à la façon dont nous allons procéder. C’est très agréable de participer une fois par an à cet événement avec l’ensemble de l’atelier. Cela permet de donner une seconde vie à un vêtement, de rendre une personne heureuse et de récolter de l’argent pour la bonne cause. Et puis, c’est dans l’air du temps : la mode est devenue accessible à tout un chacun et à prix raisonnable. Même les membres de la famille royale recyclent certaines tenues ou combinent des pièces issues de chaînes abordables – la princesse Mathilde a déjà été vue dans une robe Zara – avec d’autres plus chères. C’est une tendance…

A part vous, qui a contribué au succès de Natan ?

Natan est une petite mais solide équipe d’une trentaine de personnes. Certains travaillent ici depuis presque trente ans. Ils partagent une passion, une éthique de travail et un immense respect pour notre maison et le travail des uns et des autres. Ils passent plus de temps à l’atelier que chez eux. C’est la raison pour laquelle je trouve essentiel que chaque point puisse être discuté : je ne suis pas du genre à taper du poing sur la table. Je préfère le dialogue. J’écoute les suggestions et remarques de mes collaborateurs et tente d’entretenir de bons contacts avec tout le monde car chaque maillon de la chaîne est essentiel : de la réalisation des patrons à la vente en boutique. Je pense d’ailleurs n’avoir jamais licencié quelqu’un.

Est-ce pour cette raison que vous vous rendez régulièrement dans votre boutique bruxelloise ?

Je trouve important de maintenir le contact avec mes clientes, de savoir comment s’est passée la journée à la boutique et de voir mon équipe au travail. Pour comprendre ce que désirent les clientes et où se trouve le potentiel, il faut pouvoir être au plus près de son business.

Qu’espérez-vous encore réaliser ?

Le 30e anniversaire de notre maison est l’occasion idéale de sortir des frontières du pays. En juillet, nous organisons un défilé à Paris durant la semaine de la haute couture. Nous verrons ce qu’il en résultera. Les Belges sont généralement trop modestes et je pense que la taille restreinte de notre pays y est pour quelque chose. J’aimerais pouvoir laisser mon empreinte au niveau international mais j’ai besoin d’investisseurs pour cela. Il s’agira d’une première en trente ans : Natan est ma propriété exclusive, d’un point de vue financier aussi.

Trente autres années couronnées de succès au programme ?

(rires) Ce serait beaucoup ! Quoique… J’ai un jour consulté une voyante qui m’a dit que je travaillerais jusqu’à l’âge de 75 ans au moins. C’était la meilleure nouvelle de l’année. Je vis pour mon travail. Je ne vois pas ce que je ferais d’autre. Dimanche, j’ai planché toute la journée sur les photos de la nouvelle collection et la décoration de la boutique. A 21 heures, j’ai mangé seul un hamburger. Il pleuvait dehors et je me suis demandé :  » J’ai 55 ans, qu’est-ce que je fais encore ici ? Est-ce vraiment une vie ?  » Mais cette pensée n’a fait que traverser mon esprit car je ressens toujours la passion des débuts. Je pratique mon métier avec tellement d’amour.

PAR ELLEN DE WOLF

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