Quentin Halflants, le dernier fabricant de barques traditionnelles du pays, a pris ses quartiers dans la vallée de la Samme. Nous l’avons rencontré dans son atelier qui sent bon la sciure, entre le stock de bois qui sèche et ses créations en attente de livraison. Rue du rivage, ça ne s’invente pas.

En arrivant, impossible de ne pas être fasciné par la roulotte foraine de 11 mètres de longueur qui apparaît derrière la maison en mélèze. Quentin Halflants a construit les deux de ses propres mains.  » C’est un bijou, probablement la plus belle de Belgique !  » blague-t-il, bien qu’on le croie sur parole. Cette création constitue son chef-d’oeuvre, il l’a garnie de meubles et luminaires Art déco, de papiers peints d’époque et de pièces chinées ou soigneusement conservées.  » Je ne cherche pas à la vendre, elle est impayable, dit-il. J’ai tout refait à l’ancienne, 100 % sur mesure, alors en comptant une année de travail à 3 ou 4 personnes, les matériaux et la décoration, elle coûterait plus de 200 000 euros. Pour moi, l’argent vient après le beau boulot : je suis artisan, pas commerçant.  » Et c’est ainsi que la magnifique roulotte foraine est devenue l’illustration de l’étendue du savoir-faire de l’Atelier du rivage.

L’oeil vif derrière ses lunettes rondes, Quentin Halflants déborde d’un enthousiasme communicatif, intact à 50 ans passés. Son amour pour la construction, il l’a hérité de son père, ingénieur mécanicien. Le jeune Quentin passe son enfance à monter des cabanes, pour le plus grand bonheur des gosses du coin. Autodidacte, il n’a pas fait d’études mais déclare avoir tout appris auprès de  » maîtres  » qui ont croisé sa route, et dit en rigolant qu’il a fait  » tous les métiers « . Jusqu’à sa rencontre avec un menuisier, qui le forme pendant une dizaine d’années et lui inculque la précision à travers la réalisation de mobilier. L’idée de construire des barques naîtra ensuite, via une autre passion, la voile, qu’il découvre sur le tard lors d’un stage aux Glénans, prestigieuse école du Finistère, où il finira d’ailleurs moniteur. Il réalise d’abord un tout petit modèle pour sa fille et l’expose. Immédiatement, le public se montre intéressé et, vingt ans plus tard, sa production totale a dépassé les 500 exemplaires. C’est dire si du chemin a été parcouru depuis son premier atelier en terre battue, construit avec un ami dans des matériaux de récup’ au milieu d’une prairie à moutons. Car Quentin Halflants n’a pu compter que sur  » ses mécènes « , comme il les appelle, et garde un ressentiment tenace à l’égard des banques qui  » loupent leur rôle de création d’emploi et de sociétés. La Belgique a perdu la culture du risque. Tout près d’ici, l’ancien canal Bruxelles-Charleroi rejoint le nouveau à Seneffe, ça fait 15 kilomètres d’un très joli petit chenal. Je le dis depuis vingt ans aux bourgmestres successifs : vous avez une magnifique portion du Canal du Midi dans votre commune. Il faut en faire quelque chose ! » Dans son énervement, il se remémore un projet avorté de classe de péniches, pour lesquelles il avait pressenti un engouement il y a déjà plus d’un quart de siècle :  » Encore une fois, l’avenir me donnera raison. Pour les barques, c’était la même chose, personne n’a misé un franc sur moi.  »

À L’ANCIENNE

S’il s’est  » mis à l’informatique  » en 2005, Quentin Halflants dessine encore sur la table qu’utilisait jadis son inventeur de père. A l’ancienne. Il aime s’entourer de meubles qui ont une histoire, fréquente assidûment les brocantes et court les scieries pour trouver du bois de qualité,  » la partie la plus difficile du boulot « . Il puise son inspiration dans des images collectées partout où il va : un volet, une charpente, une frise, les toitures en bardeaux du Mont-Saint-Michel, le pont de Monet à Giverny ou un détail de la pergola de la maison Dior à Granville. Des clichés en vrac, qui serviront peut-être un jour. Car à l’Atelier du rivage, chaque projet est abordé différemment, en fonction de la relation avec le client. On peut aujourd’hui retrouver ses poétiques embarcations dans des parcs publics en France ou en Belgique, mais aussi chez des particuliers, pour lesquels il réalise des pièces uniques, sur commande. Comme une barque nuptiale – avec banc plus large pour parer à tout excès de volants et froufrous – que l’on a vu dans le téléfilm La Maison du canal d’Alain Berliner, ou cet  » Arlequin suisse « , refait à l’identique sur la base d’une antique carte postale, pour des Suisses vivant sur les rives du Doubs. Symboles slow-living, à la fois brutes et authentiques, les barques de Quentin ont acquis une solide réputation avec les années. Leur simplicité au charme fou et leur qualité irréprochable ont séduit de grands hommes d’affaires français, comme Bernard Arnault et François Pinault, respectivement patrons des groupes de luxe LVMH et Kering. Ou encore des people, au premier rang desquels Catherine Deneuve. Quentin Halflants se souvient :  » Elle m’a acheté deux barques, elle était d’une correction exemplaire, impressionnante de gentillesse et de simplicité.  » Mais le top en termes de reconnaissance de son boulot fut atteint en 1999, lors de l’anniversaire du Roi :  » Le cadeau de la Reine pour les 65 ans d’Albert II, c’était une de mes barques. J’ai pas mal stressé, mais ça reste un très beau souvenir. Du genre qui compte, dans la vie d’un artisan.  »

PAR MATHIEU NGUYEN

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