Wax, boubou, grigris et compagnie… La mode estivale s’offre un beau voyage sur le continent noir. L’Afrique ? Une source d’inspiration inépuisable et un thème cher aux créateurs.

(1)  » Elégances africaines « , par Renée Mendy-Ougoundou, éditions Alternative, 2002.

(2)  » Afrique des textiles « , par Anne Grosfilley, édition Edisud, 2004.

Les collections estivales font la part belle à l’Afrique. On s’enroule dans des imprimés bariolés, on craque pour les cuirs scarifiés, on se pare de perles et d’immenses colliers… Et on adopte aussi des motifs peaux de bête. En tête de ces impressions africaines ? Le fameux wax. Impossible d’y échapper, il est repris dans les collections de Cacharel, Kenzo, Barbara Bui Yoichi Nagasawa, Catherine Pradeau, Marni ou bien encore Jean Paul Gaultier pour l’une de ses fabuleuses robes haute couture.

Chez Cacharel, le duo Clements Ribeiro mixe les imprimés géométriques du wax pour façonner une silhouette légère et colorée. Les petites robes adoptent des cols sages et les pantacourts sont portés sous une tunique courte. Chez Kenzo, Antonio Marras ose le total look boubou, taillé dans un patchwork de tissus africains.  » Moi, je suis africain, clame-t-il en exergue de son défilé : fasciné par ses mille et cent peuples, séduit par ses rites et traditions, transporté par ses majestueux paysages, envoûté par ses incroyables mélanges de tissus, couleurs et ornements, interpellé par ses arts nouveaux, sous le charme de ses musiques et de ses mouvements.  » Et si le créateur italien n’est à la tête de la maison Kenzo que depuis septembre 2003, il s’inscrit ainsi bel et bien dans la lignée du père fondateur de la marque, Kenzo Takada.

Le style Kenzo, c’est d’abord le métissage. Le créateur japonais a repris très régulièrement des éléments d’Afrique dans ses collections : des robes boubous qu’il fait défiler dans les années 1970, en passant par son parfum, Jungle, jusqu’à une veste taillée dans un bogolan du Mali, en 1990. Les inspirations sont multiples. Antonio Marras suit le même rituel. Il va puiser dans les cultures du monde pour dessiner une mode hétéroclite. Cette saison, il propose des lunettes de soleil  » tout en détournement et récupération « , comme  » un hommage sensible à l’Afrique « . Le principe ? Des chutes de tissus africains viennent recouvrir les montures. Un travail de patience et d’orfèvre, réalisé dans un petit atelier italien de la vallée de Cadore. Une monture, c’est  » sept jours de patience et de doigté « . Un travail artisanal qui se veut aussi exclusif : limitées à 200 exemplaires numérotés, les lunettes sont vendues dans leur étui en tissu.

Madame Carven a été l’une des premières à utiliser le wax. L’une des premières, aussi, à consacrer toute une collection à l’Afrique. Pour le printemps-été 1950, elle fait défiler 80 silhouettes, taillées dans des étoffes aux impressions africaines. Dans  » Elégances africaines  » (1),  » la plus petite des grands couturiers  » raconte que  » cette collection a beaucoup marqué les gens : personne n’avait encore jamais vu ces tissus (…) J’avais un neveu diplomate. En lui rendant visite j’ai eu l’occasion d’aller au Cameroun, au Sénégal, au Ghana, au Gabon, au Tchad, et même en Afrique du Sud. J’étais émerveillée par ce continent. Je me suis intéressée aux pagnes, très présents sur les marchés, et à chaque fois que j’en voyais un qui me plaisait, je l’achetais. Chaque tissu m’inspirait des créations. Je me suis servie de leurs dessins que j’ai découpés pour en faire des robes habillées.  »

Le wax, ce symbole universel de l’Afrique est en réalité un tissu européen, créé aux Pays-Bas il y a plus de cent cinquante ans. Dans  » Afrique des textiles  » (2), Anne Grosfilley le confirme tout en expliquant que  » le wax est une étoffe typiquement africaine aux yeux des Occidentaux et elle est également revendiquée par les Africains comme un élément de leur culture « . Cette anthropologue, membre de la Société des Africanistes, a parcouru le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, pour étudier l’impact social des étoffes dans l’Afrique de l’Ouest. Quand on l’interroge sur le sujet, elle raconte combien  » le wax a un poids culturel populaire en Afrique. Mais contrairement à d’autres étoffes et tissages, il n’est pas sacré. Du coup, on peut aussi en faire tout ce qu’on veut. D’autres tissus ont une symbolique importante et les créateurs africains ne les utiliseront pas à la légère. Le kente, par exemple, est un tissu réservé aux chefs et aux rois. Les créateurs africains, comme Pathé’O ou Kofi Ansah, vont l’utiliser pour des robes de cocktail, façon haute couture, mais surtout pas pour des tenues décontractées « .

Et voilà que se profile deux aspects de la mode africaine. Examinons d’abord celle dessinée par les créateurs africains.  » Les créateurs occidentaux travaillent sur l’Afrique, alors que les créateurs africains travaillent avec les Africains, poursuit Anne Grosfilley. Ils adoptent une démarche de développement et travaillent avec des artisans locaux, les tisseurs, les teinturiers, les tanneurs ou bien encore les orfèvres. Quant aux tissus, ils connaissent bien leur signification et leur valeur culturelle. Ils vont donc inventer de nouvelles manières de les porter. Après tout, sur un continent où on a l’habitude de draper le tissu, le découper, c’est déjà un acte volontaire et audacieux .  »

Le premier créateur africain à investir la scène internationale, c’est Chris Seydou, disparu il y a onze ans. Référence de tous les créateurs du continent, il est aussi le premier Africain à travailler dans la haute couture parisienne, dans les années 1980.  » J’adapte mon africanité aux techniques occidentales « , soulignait-il. Il utilise les matières et motifs de l’Afrique, mais adopte des coupes à mille lieux des camisoles et autres boubous. Renée Mendy-Ongoundou, Sénégalaise installée à Paris, est journaliste et a travaillé durant dix ans pour le magazine féminin panafricain  » Amina « . Une référence pour toutes les femmes africaines. Elle rappelle que Chris Seydou redessinait même les motifs du bogolan  » de façon plus raffinée et mieux adaptée à la couture moderne  » et qu’il a entraîné derrière lui des dizaines de créateurs africains.  » C’est devenu valorisant de faire de la mode, note Renée Mendy-Ongoundou. Dans n’importe quel pays africain, il y a des milliers de tailleurs de quartier. Ils ont toujours existé et copient des modèles. Le phénomène des créateurs, lui, est beaucoup plus récent. Ils sont quelques dizaines, à peine, et imposent leur style, un style, c’est là toute la différence. Deux écoles de mode ont ouvert au Sénégal et en Côte d’Ivoire, mais on est encore loin des écoles de renom européennes. Je nourris l’espoir qu’un jour l’une de nos écoles soit reconnue.  »

A la suite de Chris Seydou, des créateurs comme Alphadi, installé à Paris, Pathé’O en Côte d’Ivoire, Kofi Ansah au Ghana ou Oumou Sy au Sénégal font encore parler de la mode africaine.  » Pathé’O, embraye Anne Grosfilley, a popularisé la chemise en pagne tissé, comme le wax ou le fancy. Pour leurs chemises, les Africains préféraient surtout afficher des marques occidentales, comme Façonnable. Les modèles de Pathé’O sont, entre autres, portés par Nelson Mandela et sont devenus très populaires dès la fin des années 1990. Avant, on portait une chemise en pagne tissé si on était fauché, aujourd’hui c’est un vrai vêtement à la mode.  » Et Renée Mendy-Ongoundou de s’enthousiasmer :  » Heureusement que les créateurs africains utilisent les symboles européens, et les européens les symboles africains ! C’est comme cela que la mode existe.  »

L’autre face de la mode africaine, c’est donc celle des créateurs occidentaux. Ils vont puiser dans les images de l’Afrique, version  » Out of Africa « , ethnique chic ou art tribal. Renée Mendy-Ongoundou relève que  » ces emprunts à la mode africaine sont récurrents. Très tôt, les récits des voyageurs sont impressionnés par l’Afrique. Les cubistes admiraient l’art africain, Modigliani dessinait des têtes et des totems inspirés de l’art nègre, dans les années 1910. La mode ne pouvait donc pas passer à côté. » Loin de passer à côté, elle choisit même l’Afrique comme terre privilégiée de voyage. En 1967, Yves Saint Laurent fait défiler ses robes africaines. Il utilise le raphia et les perles en bois, et ponctue l’un de ces modèles de seins pointus. Trente ans plus tard, John Galliano signe sa première collection haute couture pour Christian Dior. Il orne ses longues robes du soir en satin de parures en perles, comme celles des guerriers Masai. Sans parler de Paco Rabanne et ses robes-boubous, d’Issey Miyake et son tatoo-body, ou bien encore d’Azzedine Alaïa qui, après un voyage au Kenya, en 1996, sculpte un corset en cuir jaune sur une femme Masai.

Cette saison, ce sont Franck Sorbier et Jean Paul Gaultier qui proposent des collections couture dédiées à l’Afrique. Le premier opte pour une Afrique rétro et colorée, avec jupons perlés et robes en canettes récupérées. Le second fait défiler une Afrique multiple, avec des robes-masques en volume et des peaux scarifiées en fourreau du soir. En matière de décoration, de bijoux ou de lingerie : même esprit voyageur. Réminiscence ou Christian Lacroix nous pendent des grigris au cou tandis que l’Artisan Parfumeur embaume des amulettes pour notre home sweet home. Chantelle a imaginé une lingerie à la dentelle façon tatouage tribal. La peau de bête, version léopard ou python, joue les imprimés sur les robes d’amazones de Dolce&Gabbana, mais se taille aussi en sacs chez Lajoie ou Longchamp.  » L’Afrique a un côté symbolique et énigmatique qui attire les créateurs, conclut Renée Mendy-Ongoundou. Elle a des motifs graphiques qu’on comprend sans être initié. Et qu’on adopte, même si on est esthète . »

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