L’ANNÉE-LUMIÈRE

A peine perturbé par l’inauguration imminente de son Exposition universelle, Milan a accueilli comme chaque année le plus grand événement design du monde, le 54e Salon international du meuble. Plus de 350 000 visiteurs venus de 170 pays ont donc afflué vers la capitale lombarde, pour s’attaquer à l’enfilade de pavillons du Salone, défilant à perte de vue sous le toit en verre de Rho Fiera, ou découvrir l’incroyable richesse du programme off sous un soleil bienvenu. Comme un an sur deux, le salon du luminaire succède à celui de la cuisine en marge de la manifestation principale, et cette édition d’Euroluce a pris une saveur toute particulière, puisque 2015 est également consacrée Année internationale de la lumière. L’occasion était donc belle de rendre hommage aux magiciens de l’éclairage, passés maîtres dans l’art de faire danser la fée électricité.

LES BELGES

Nous avions rencontré le scénographe de Confronting the Masters, Danny Venlet, juste avant l’ouverture de l’exposition. Il nous avait confié les difficultés inhérentes au dialogue audacieux instauré pour la toute première fois entre les statues de la Sala Napoleonica et les nouveautés de nos dix Designers de l’année. A l’issue de cette semaine milanaise, on peut dire que l’ambitieux projet a tenu ses promesses, comme en a témoigné l’engouement du public, venu en nombre admirer le savoir-faire belge à la Pinacoteca di Brera. Pour illustrer cette rencontre entre maîtres classiques et modernes, placée sous l’égide bienveillante de la Victoire de Samothrace, le baby-foot The Pure d’Alain Gilles et le fauteuil Nightclub d’Alain Berteau pour Objekten.

Cachée au fond du Pavillon 24, la jeune garde du design mondial bouillonne d’impatience et de créativité. Le stand collectif de Wallonie Bruxelles Design Mode abritait la relève du design en Fédération Wallonie-Bruxelles, avec notamment la coiffeuse Marie-Henriette des Twodesigners, l’irrésistible toupie Twirl de Frédérique Ficheroulle, et le Belvédère de Pierre-Emmanuel Vandeputte (photo).

Entre Alain Gilles et Bonaldo, c’est une affaire qui roule… et qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Après avoir cartonné avec ses tables – Tectonic, Collage, Welded, ou plus récemment Gap et Tracks, sans oublier le superseller maison, la Big Table -, le designer bruxellois tente une première collection de fauteuils et sofas, appelée Structure.

Déjà quinze ans que MDF Italia bénéficie des talents de notre compatriote Xavier Lust et cette fructueuse collaboration se poursuit en 2015, avec cette sculpturale Lust Chair, imaginée comme  » un lien entre l’homme et la nature  » et fabriquée au moyen d’un matériau aux propriétés révolutionnaires, le Dulver.

Dans un jardin ombragé de Lambrate, l’agence créative Dift a fondé A Belgian Village, peuplé de jeunes designers pour la plupart originaires du nord du pays, dont Filip Janssens et son système Jointed (photo), ou Jonas Van Put avec Observer Chair pour Vomo, comme une réponse au Belvédère de son quasi-homonyme Pierre-Emmanuel Vandeputte.

Avec ses Mutation Chair et Mutation Stool, pièces organiques évoquant à la fois une manipulation chimique et les capitons des fauteuils Chesterfield, Maarten De Ceulaer amorce une réflexion entre l’industrie et l’artisanat, reprise sur son stand sous l’appellation  » Next  » par Cappellini, l’un des plus influents éditeurs italiens.

Julianne Moore répète à qui veut l’entendre qu’il est son designer préféré. Réputé pour ses aménagements d’intérieur plus que pour ses produits, Vincent Van Duysen a pourtant officié pour les plus grandes marques au cours de sa carrière, telles que Herman Miller, Molteni ou encore B&B Italia, pour qui il vient de réaliser cette collection Oskar.

DESIGN DISTRICTS

Le showroom Moooi situé Via Savona reste, année après année, l’un des hauts lieux de la Zona Tortona. Petite innovation en 2015 : ses traditionnelles photos king-size ont dû faire un peu de place à la toute première collection de tapis, des Moooi Carpets forcément délirants et souvent très réussis.

Plutôt branché arty et séries limitées, le Design District de San Gregorio a émergé sous l’impulsion de la galerie Leclettico et du magazine Wallpaper*. L’une de ses attractions fut cette année le Department Store du golden boy britannique Lee Broom, dont la pièce maîtresse était indéniablement cette chaise-balançoire The Hanging Hoop.

Avec son showroom en plein coeur de Tortona, la griffe sanitaire ex.t se doit de proposer chaque année des nouveautés susceptibles de rivaliser avec le big bang créatif ambiant. Si elle y est parvenue une fois de plus, c’est grâce à Norm.Architects et leur gamme Stand, véritable régal des amateurs de salles d’eau minimalistes.

Venu tout droit de Californie, le studio Branch est emmené par le fils du dernier propriétaire de fonderie de San Francisco, Josh Morenstein, et son associé, Nick Cronan. A Lambrate, les tables de leur MC Collection ont attiré bien des regards avec la structure en métal brillant ou le plateau en marbre blanc ou noir.

La Scandinavie s’est emparée de la Via Privata Oslavia de Lambrate. D’abord le Danemark, avec l’installation The Tube et les travaux des étudiants de la Via University, puis la Norvège, avec l’expo Norwegian Presence, mêlant icônes du design, art et artisanat – voir la table Flip it ! de Marte Frøystad ou le fauteuil Scandia Senior de Hans Brattrud (photo) – et son bar particulièrement prisé, assuré par le café-concept osloïte Fuglen.

BUON ANNIVERSARIO !

Pour célébrer ses huit fastes décennies d’existence, Molteni s’offre sa première rétro officielle, retraçant en 80 pièces l’histoire de l’entreprise fondée par Angelo Molteni, à une trentaine de kilomètres seulement de Milan. Scénographiée par Jasper Morrison, l’exposition 80 ! Molteni a fait le pari d’inviter une sélection de prototypes et d’icônes issus des différentes branches de cet empire – à savoir Molteni & C, le mobilier de bureau Unifor, les cuisines Dada et les systèmes Citterio – à rencontrer les chefs-d’oeuvre de la Galleria d’Arte Moderna. Sous les yeux ébahis des visiteurs, Bonnard, Cézanne, Van Gogh ou Manet font ainsi face à Dordoni, Nouvel, Urquiola ou Laviani ; sans oublier la place de choix réservée aux créations du maître Gio Ponti, dont le fauteuil D.153.1 est posé devant le Taureau en céramique et Le Combat de centaures VI de Picasso.

HIGHLIGHTS

Nendo Works 2014-2015 : sous cet intitulé laconique, un solo show forcément consacré à l’année écoulée. C’est tout ? Oui, sauf qu’il s’agit de l’ultraprolifique studio, qui a mis les 365 derniers jours à profit pour sortir pas moins d’une centaine de produits, dont la présentation nécessitera toute la surface du Museo della Permanente, habillé pour l’occasion de panneaux blancs immaculés. Parmi la vingtaine d’éditeurs qui eurent recours aux services de Nendo en 2015, on compte évidemment des Japonais, mais également nombre d’Européens, tels que Foscarini, Louis Poulsen, Gebrüder Thonet Vienna, Moroso, voire encore des marques comme Haägen-Dasz ou Tod’s pour de ponctuelles collaborations-récréations. La majeure partie de cette exposition fut néanmoins trustée par le nombre impressionnant de collections réalisées pour Glas Italia, dont certaines furent montrées en exclusivité à un public conquis d’avance, mais néanmoins séduit par les chaises en trompe-l’oeil de Pair, les douces couleurs des tables basses Soft ou les facétieux plateaux des étagères Slide. Rendez-vous l’an prochain pour voir les nouvelles merveilles signées par les stakhanovistes nippons et leur leader, Oki Sato.

TENDANCES

Si le style Memphis a fait son grand retour à Milan cette année, de stands courus comme celui de Cappellini aux galeries huppées de San Gregorio, l’une des manifestations les plus ostensibles de ce fracassant come-back eut lieu le long des vitrines du flagship store Kartell de la Via Turati. Présenté comme un hommage, le projet Kartell goes Sottsass annonce l’édition de produits originaux du  » pape  » Ettore Sottsass et de nouvelles versions classiques signées Urquiola, Starck ou Lissoni, habitées par l’influent mouvement italien des années 80.

Mailles et cordages ont réapparu chez de nombreux éditeurs italiens, notamment chez B&B Italia, chez Flexform avec le dossier du siège Crono ou de façon variée chez Living Divani, qui dévoilait la chaise George’s et les dernières déclinaisons des fauteuils Gray et Frog : Carbone, Cellulose et Scooby – pour son tressage en scoubidou. On notera également le retour du cannage, par exemple chez Marcel Wanders, qui revisite sa chaise Cyborg (photo) avec une version cannée, Vienna, pour Magis et un élégant canapé en rotin, Wrap, du designer japonais Hiroomi Tahara, exposé par Yamakawa Rattan à la galerie Antonio Battaglia.

Le marbre a récemment opéré un retour en force, retrouvant sa noblesse, occultée un temps par une image devenue trop académique ou trop kitsch. Pour varier les plaisirs, des marques, de Flexform à Bottega Veneta, proposent aujourd’hui des variantes noires, tout comme Minotti avec cette collection de tables Catlin, signées Rodolfo Dordoni (photo).

Pour illustrer le recours toujours plus fréquent aux reflets or, cuivre ou argent, on s’en voudrait de ne pas montrer le somptueux Cinema, où Tom Dixon exposait sa nouvelle collection, en prenant de plus un contrepied, celui de la collection Double Zero de Moroso, l’atout  » métal brillant  » d’un catalogue dont la plupart des nouveautés sont pourtant moelleuses et colorées.

PAR MATHIEU NGUYEN

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