Musique, art et artisanat, soirées culturelles et littéraires, plaisirs de la table… Blottie au pied de sa prestigieuse abbaye, Floreffe cultive un art de vivre unique. Le 2 juillet, le premier Samedi Vif de l’été 2005 vous plongera dans une ambiance sereine et éclectique.

Nappées par une lumière vive, les bâtisses de l’abbaye de Floreffe affichent une fière allure. En cette fin de matinée, le silence un peu solennel qui règne dans cet univers empreint de spiritualité est rompu par un joyeux brouhaha provenant de toutes parts. Les escaliers séculaires en chêne et les couloirs interminables résonnent de centaines de pas. Des adolescents en jean, baskets et tee-shirts bigarrés jaillissent de partout. On crie, on rigole, on s’apostrophe. Dans l’ancien réfectoire, transformé en cantine, flottent déjà des fumets bien appétissants. Les tables et les sièges en formica ont remplacé le lourd mobilier en chêne de jadis. En revanche, la chaise du lecteur est toujours là mais plus personne ne lit des épîtres pendant les repas. Le passé et le présent s’entrechoquent ainsi partout. Dans les anciens appartements abbatiaux, transformés en classes de cours, des crucifix voisinent avec des ordinateurs. Dans les couloirs, d’étonnantes vitrines remplies d’oiseaux empaillés cohabitent avec des peintures religieuses. Des horloges, des obélisques, des coffres anciens côtoient des placards en métal, vestiaires des élèves. Dans l’ancien cloître, on ne médite plus. On y joue au basket… En se transformant en école, l’abbaye de Floreffe a superbement négocié sa survie et continue à s’épanouir grâce à la vitalité et l’enthousiasme de 1 500 enfants et adolescents.

Petit flash-back. La jolie cité, proche de Namur, doit sa renommé, dès le début du xiie siècle, à la personnalité flamboyante de Norbert de Gennep. Très charismatique, ce chanoine a un  » plan de carrière  » bien arrêté. La foi, il l’a, certes. Il a d’ailleurs été converti, selon la légende, comme Paul de Tarse, sur le chemin de Damas, en 34 après Jésus-Christ. Comme Paul, Norbert tombe de son cheval, est aveuglé par une lumière intense, entend la voix de Jésus et se lance sur les routes pour des années d’évangélisation. Commence alors une vie nomade…

Dans cette époque bien tumultueuse, Norbert tente d’apaiser les colères des uns et les querelles des autres. Il prêche l’amour et la paix, ambitionne de métamorphoser l’Europe. A la demande du pape Calixte II, il structure son enseignement, puis crée le premier monastère à Prémontré, dans la forêt de Saint-Gobain, à deux pas de Laon dans le nord de la France. Le nouvel ordre des Prémontrés n’a pas l’intention de secouer le monachisme par de grandes réformes. Norbert se contente de former des chanoines  » à son image « , puis de les envoyer vers les paroisses voisines. En 1121, Godefroid et Ermesinde, comtes de Namur, offrent à Norbert un vaste terrain à Floreffe, une sorte d’éperon, entouré de fortes dénivellations, et lui demandent d’y fonder une abbaye. Parallèlement, l’ordre des Prémontrés explose et de nombreuses  » filiales  » sont fondées en France, en Belgique et en Allemagne.

Floreffe jouit d’un prestige inouï. Tout d’abord, l’abbaye a été fondée par Norbert lui-même (il mourra en 1134 et sera canonisé en 1582). Ensuite, elle est très riche. Les comtes de Namur successifs continueront de la doter sans compter. D’autres seigneurs se montrent, aussi, particulièrement généreux vis-à-vis de cette abbaye modèle. Après deux siècles d’essor et de prospérité, Floreffe entre dans une inévitable période de crise. Comme partout ailleurs, la richesse et l’opulence tournent un peu la tête aux abbés et aux chanoines. Les m£urs se relâchent, la vie spirituelle cède le pas à des plaisirs plus terre à terre. Tout rentre dans l’ordre quelques décennies plus tard, avec l’arrivée de l’abbé Thierry de Warnant qui rétablit la discipline. La vie monastique redevient exemplaire et irréprochable, pour très longtemps. Dans cette situation sous contrôle, on peut dès lors envisager des travaux de rénovation et d’embellissements.

Au xvie siècle, deux abbés, Godefroid Martini et Guillaume Dupaix se distingueront comme de grands bâtisseurs. Les premières constructions, austères et sommaires, cèdent la place à des bâtiments plus vastes, à l’architecture plus aboutie. Au siècle suivant, le credo  » plus d’espace  » sera remplacé par  » plus de luxe « . Le raffinement envahit même l’église abbatiale avec, notamment, ces extraordinaires stalles, sculptées par Pierre Enderlin. On peaufine les extérieurs avec l’aménagement de très beaux jardins à la française et d’un portique à l’italienne, appelé Galerie Toscane, visibles encore aujourd’hui. Les travaux d’embellissements se poursuivent malgré une époque tourmentée et incertaine, marquée par des guerres, des occupations de l’abbaye et pillages, une épidémie de peste… Le calme revient avec le siècle des Lumières. Une fois de plus, on reconstruit, on remanie, on améliore, on enjolive.

Tel que nous le voyons aujourd’hui, l’ensemble architectural date du xviiie siècle. Les bâtiments mêlent la brique et la pierre. Leurs silhouettes, élégantes et harmonieuses, évoquent plutôt un vaste château de plaisance qu’une abbaye. Intra muros, la vie monastique est réglée comme du papier à musique et certains chroniqueurs de l’époque n’hésitent pas à citer Floreffe en exemple, pour  » la régularité, la discipline, la subordination, l’ordre et l’urbanité qui y règnent « . Malheureusement, plus pour très longtemps. La Révolution française gronde aux portes de Floreffe. En 1791, l’abbaye compte encore 68 religieux. Ils seront expulsés en 1797. Les bâtiments, demeurés fort heureusement intacts, sont prêts à être dispersés, lors d’une vente publique à Paris. Les amateurs ne manquent pas. Le plus motivé, le chanoine Ferdinand Richald, se déguise en républicain et réussit à racheter, avec deux chanoines associés, leur ancien bien. Mais l’époque a changé et les trois courageux ne réussiront plus jamais à  » recoller les morceaux  » et à faire revivre, à Floreffe, l’ordre des Prémontrés. Dès 1819, les bâtiments sont cédés à l’évêché de Namur qui y fonde directement une école avec deux sections û enseignement primaire et secondaire û ainsi qu’un petit séminaire pour prêtres qui sera transféré à Namur en 1967. Le collège compte aujourd’hui quelque 500 élèves au niveau primaire, installés dans l’ancienne ferme, et 1 000 élèves au niveau secondaire (dont 200 internes). Au fil du temps, la jeunesse d’un autre temps a pris possession de tous les bâtiments. Dans les années 1960, malgré le départ du petit séminaire, il a même fallu construire une aile supplémentaire. Assez banale, conçue dans le plus pur style des Sixties, elle a heureusement su se faire discrète, cachée derrière un grand massif d’arbres.

Aujourd’hui et demain

Le promeneur d’aujourd’hui ne peut donc faire qu’une visite partielle de l’abbaye. Elle ne manque pourtant pas d’intérêt. Avant de franchir le prestigieux porche d’entrée, on admire, au-dessus, la statue de saint Norbert, redorée à l’occasion de la visite du roi Baudouin en 1988. Puis on pénètre dans la cour d’honneur, appelée aussi Cour Verte. Plusieurs bâtiments prestigieux du xviiie siècle entourent les beaux jardins à la française. Au nord, l’élégante Galerie Toscane, avec son jardin suspendu, est flanquée, à gauche, d’une tour surmontée d’un clocheton chinois. Ici, il n’y a rien à voir ni à visiter. L’ensemble, fictif et purement décoratif, sert à fermer la perspective des jardins. Avant de pénétrer dans l’église, on ne manquera pas de s’approcher de la balustrade pour jouir d’un panorama splendide, admirer la boucle parfaite de la Sambre et, plus loin, deviner les paysages de Namur et de la région de Charleroi.

L’église abbatiale est un véritable puzzle architectural qui joue avec toutes les époques. Derrière la façade xviiie, on découvre, successivement et sur une longueur de 90 mètres 70, la nef du xiiie siècle, le transept, élevé à la fin du xiie et au début du xiiie et, enfin, le ch£ur construit au xviie siècle. Dans les années 1770, l’avant-dernier abbé de Floreffe fait appel à Laurent-Benoît Dewez et le charge de lisser ces variations éclectiques et d’y apporter une certaine harmonie. L’architecte opte pour le style néo-classique. Des couches de stuc blanc envahissent les murs. L’ambiance immaculée est rythmée par des chapiteaux corinthiens, des feuilles d’acanthe, des bas-reliefs, des guirlandes, des volutes et… des monuments funéraires, purement décoratifs. Il faut baisser les yeux pour admirer les sols en marbre, placés au xviie siècle. Les blocs taillés en triangles, en losanges ou en carrés, réunissent la plus grande variété de marbres représentés en Belgique ! Les chefs-d’£uvre ne manquent pas. On admire aussi les orgues, de très belles statues, et, surtout, ces 74 stalles en chêne, parfaitement intactes et très bien conservées. Pierre Enderlin, sculpteur namurois originaire d’Allemagne, les a réalisées en seize ans, entre 1632 et 1648. Il faut vraiment prendre son temps pour étudier de près ce travail extraordinaire. Le sculpteur a imaginé des dizaines de personnages du Nouveau Testament, des anges et des grotesques. Il n’y a pas deux motifs qui soient identiques ! Certains spécialistes considèrent ces stalles comme les plus belles du monde avec celles de la cathédrale d’Ulm en Allemagne et celles de la cathédrale d’Amiens en France. On s’approchera ensuite du maître autel géant, sculpté en marbre en 1648, pour jeter un coup d’£il sur la pierre de fondation de l’abbaye où il est bien noté que  » saint Norbert un jour sur cette pierre célébra la messe en 1121 « .

En quittant l’église, on descend 76 marches pour rejoindre le moulin-brasserie, le seul bâtiment original de l’abbaye du xiiie siècle (et l’exemple unique de l’architecture civile datant de cette époque qui subsiste dans le Namurois), restauré en 1972. C’est le fief de Michel Alexandre, son dynamique directeur. Deux événements majeurs, organisés avec la complicité de la Maison communale, rythment cet espace accueillant,  » veillé  » par une superbe charpente d’époque. Le deuxième week-end de septembre célèbre  » le Temps du terroir « . Environ 6 000 personnes viennent déguster les spécialités des plus grandes maisons de bouche de Wallonie. Tout au long du mois de décembre,  » le Temps des cadeaux  » réunit une foule d’artisans : potiers, sculpteurs sur bois, graveurs sur verre, etc. Cet événement, reconduit depuis vingt-deux ans, a toujours autant de succès auprès des 50 000 personnes qui se déplacent pour choisir un cadeau original et intelligent.

D’autres exemples de la vitalité de Floreffe ? La manifestation Artisanart qui durant le week-end d’Ascension attire tous les métiers d’art de Wallonie, des ébénistes, des ferronniers, des céramistes, des créateurs de vitraux, de bijoux et de tissus. Le premier week-end d’août, place à la musique. Le festival Esperanzah !, dédié aux musiques du monde, est l’événement le plus populaire. On vient en famille, pour écouter de la musique, flâner, se mêler à la foule colorée et… s’instruire. Les stands pédagogiques et les échoppes proposant des objets issus du commerce équitable ne désemplissent pas

 » L’abbaye draine des milliers de visiteurs, explique le bourgmestre André Bodson. Toutefois, notre objectif est d’aller plus loin et démontrer que Floreffe cache d’autres richesses. Nous avons acquis une grande expérience dans l’organisation d’événements qui attirent des milliers de personnes. La gestion est lourde, mais tout se passe toujours très bien. Il n’y a jamais de bousculades. Les habitants sont compréhensifs, on n’a jamais de plaintes, à cause du bruit, par exemple. Le projet immédiat consiste à développer la saison culturelle, équilibrer les représentations théâtrales, en proposant, aussi, une pièce en wallon, ainsi que donner aux habitants une possibilité de découverte, en organisant des ateliers d’écriture, des stages de dessin ou de peinture.  » A plus long terme, André Bodson rêve de réaménager la rue principale de Floreffe, d’élargir les trottoirs, d’offrir plus d’espace aux piétons, d’agrémenter la vue par un mobilier urbain agréable et esthétique. L’espoir est que les travaux démarrent début 2007. L’autre projet urbanistique qui aboutira bientôt ? La restauration, à deux pas de l’abbaye, du superbe colombier et de son lac voisin en un espace vert, accessible à tous. Pour terminer, une bonne nouvelle qui réjouira les amateurs de vin. Pour renouer avec la tradition vinicole de la région, Jean-Philippe Dave et Daniel Hoffman, ont créé l’ASBL Vitis flores (fleurs de la vigne) et ont planté, il y a trois ans, dans la périphérie de Floreffe, 12 000 pieds de vigne. Chouchouté et pomponné, c’est le plus joli vignoble du monde. Les premières dégustations viennent d’avoir lieu et le vin blanc est, selon les spécialistes,  » acceptable « . Rendez-vous en 2006, pour goûter le vrai vin, parvenu à sa maturité.

Barbara Witkowska

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