Avec la plus grande densité d’étoilés Michelin par habitant, San Sebastian est une destination gastronomique de premier choix. A savourer aussi : la tournée des bars à pintxos.

Guide pratique en page 60.

 » L orsqu’un gourmet de Madrid ou de Barcelone veut s’offrir un long week-end gastronomique c’est immanquablement à San Sebastian qu’il vient.  » Ana Piquin connaît bien les atouts de sa ville pour la faire découvrir tout au long de l’année : aux artistes du Festival international du cinéma pour lequel elle travaille et aux groupes qu’elle guide hors saison dans sa ville natale. San Sebastian compte pas moins de neuf restaurants étoilés au Guide Rouge Michelin, dont deux avec la cotation suprême de 3 macarons. Mais une autre spécialité locale est, elle aussi, à conseiller aux gourmands : la tournée des bars à pintxos.

Orthographié pintxos en basque, le mot pinchos û en castillan û signifie originellement brochette, celle que l’on consomme par le bout du bâtonnet dans les bars de la vieille ville.  » Le périmètre de la Parte Vieja est à la portée de n’importe quel piéton, précise Ana. Ce qui fait que nous ne restons pas au même endroit. Par principe, l’amateur de pintxos picore, passe d’un bar à l’autre.  »

Avec le temps, les meilleurs établissements ont cherché à se distinguer en développant des spécialités originales. Txepetxa propose une dizaine de canapés aux anchois. Ganbara est connu pour sa préparation au crabe (le txangurro). La Vina fait fureur avec ses cornets en pâte farcis de fromage frais. A la Cepa, plus de 200 jambons pendent en permanence au-dessus du bar. Chez Manuel Martinez, la grande tablette du bar est envahie de centaines de bocadillos…

 » Faire le tour des bars à pintxos, c’est aussi l’occasion de rencontrer de nouveaux amis et de boire un verre avec eux, s’enthousiasme Ana. Comme les étapes sont nombreuses, on demande une copa remplie à moitié ou moins…  » Si elle coule souvent à flots, la bière subit cependant la concurrence du vin rouge et, surtout, du Txakoli, le vin blanc régional légèrement carbonique, servi avec un art consommé. Le garçon lève la bouteille au-dessus de sa tête et fait couler un filet de vin dans le verre, sans doute pour dégager un peu de ce gaz carbonique. A la Casa Urola, où l’on prétend offrir le meilleur de la vieille ville, le Txakoli accompagne un plat traditionnel à base de morue.

Le fin du fin ? La Cuchara de San Telmo. C’est ici, au pied de l’église du même nom, qu’Alex Montiel cuisine ses pintxos creativos. A 1 ou 2 euros la portion, vous découvrez de purs régals comme des joues de b£uf en pot au feu, un bouillon crémeux de pois chiches et morue, une tempura de morue ou des tomates légèrement rôties et farcies d’une sauce à base de ventrêche de thon. Discret, presque misanthrope lorsque l’interlocuteur l’ennuie, Montiel ne fait jamais état des deux maisons pour lesquelles il a longtemps travaillé : El Bulli ( lire aussi pages 12 à 18) et Martin Berasategui. Qu’importe puisque ses petits plats ont la classe des grands.

Situé dans le même tronçon de rue, le N°1 se signale par une porte discrète contre laquelle on peut lire Kainoieta. Pour entrer, il faut montrer patte blanche. C’est en effet un club réservé aux hommes. Fondée en 1900, Kainoieta est l’une des plus anciennes sociétés gastronomiques de San Sebastian, qui en compterait à ce jour une centaine. Toutes ont en commun un mode d’organisation unique.

 » Les sociétés gastronomiques constituent un des piliers de notre vie sociale, explique José Antonio Salas, président de Gaztelubide (sans doute la plus célèbre et la plus puissante d’entre elles, avec ses 250 membres et sa liste d’attente de plusieurs dizaines de personnes). Ici se rencontrent toutes les couches de la société, tous les métiers, du garagiste à l’avocat en passant par le chef d’entreprise. Selon leurs occupations, les membres se rencontrent à raison d’une fois par semaine, parfois plus. Ils forment de petits groupes, de quoi constituer une table de six, et passent la soirée ensemble, en dégustant ce que l’un deux a préparé.  »

En pratique, le local de la société gastronomique s’articule autour d’une cuisine, souvent imposante et digne d’un vrai restaurant. La société met à la disposition de ses membres non seulement l’infrastructure mais aussi un garde-manger de base : du sel à l’huile, en passant par les conserves de thon ou de poivrons. La cave est aussi bien fournie, du Txakoli au Cava (méthode champenoise), sans oublier la bière et les alcools. Le cuisinier de service apporte quant à lui les matières premières fraîches. Ce jour-là, le président Salas et ses amis savouraient une préparation très prisée de joues de congre aux coquillages. Une merveille !

A la fin du repas, tous font les comptes. Et tous versent la somme due dans une petite caisse prévue à cet effet.  » Depuis des générations, il en est ainsi, s’enorgueillit le président Salas. C’est de l’autocontrôle ou de l’autogestion. Mais je puis vous assurer que jamais un cent n’a manqué ni ne manquera.  »

Mondes fermés, les sociétés gastronomiques sortent au grand jour lors des réjouissances. Déguisés en… cuisiniers, leurs membres animent notamment la plus grande fête de San Sebastian : la Temborrada (le festival des tambours). Elle commence le 19 janvier à minuit pour durer 24 heures. Elle honore le saint patron de la ville, mais elle salue aussi l’esprit d’Orphée, d’Epicure ou de Bacchus, les tambourins ayant d’ailleurs la forme de tonnelets à cidre.

Communauté comptant 2 000 000 de personnes, le peuple basque maintient ainsi spontanément nombre de traditions, comme le Txotx : la dégustation du cidre. Du 20 janvier à la fin avril, les cidreries des alentours de San Sebastian ouvrent leurs portes pour des soirées très animées. Cette tradition, qui touche un public jeune et souvent féminin, s’inspire d’une pratique ancienne, lorsqu’on allait acheter sa réserve de cidre pour l’année. Le producteur faisait alors goûter sa récolte aux clients. Il y a fort à parier que les dégustations prolongées étaient autrefois tempérées par quelque bout de pain. Mais, aujourd’hui, on préfère des plats préparés, comme l’omelette à la morue, la morue frite ou une roborative côte de b£uf à la braise. Certains ont même développé une véritable  » industrie touristique  » autour du Txotx, accueillant dans de grands espaces des bus entiers de touristes, notamment français.

Installé à Astigarraga, un des plus importants villages du cidre, Axintixio Battenetxea produit quelques dizaines de milliers de litres de cidre par an… dans le strict respect des traditions. Les pommes qu’il presse sont cueillies dans la localité et non importées. La plupart des convives mangent debout, entourant comme autrefois des tables hautes. Et chacun, chacune se plie au rituel. En effet, la bonne dégustation passe par la consommation de petites rasades de ce cidre bien mousseux que l’on se sert soi-même au robinet, en écartant son verre le plus possible de la barrique pour faire mousser encore la boisson.

Rassasié de mille et un délices, il ne faudrait pourtant pas oublier de visiter San Sebastian, la ville balnéaire autrefois résidence d’été de la famille royale espagnole et ses superbes plages de la Concha et Ondaretta formant une baie concave ponctuée de l’île de Santa Clara. Une promenade vers la colline d’Igueldo permet d’en saisir toute la beauté. La plage de La Zurriola offre quant à elle une vue magnifique sur le Kursaal, £uvre contemporaine de l’architecte Rafael Moneo. Reste à terminer l’après-midi en sirotant un verre sur la place de la Constitution. Toutes les fenêtres des balcons qui la composent sont numérotées, souvenir du temps où ils étaient louées pour y regarder les corridas. Et bientôt viendra le moment de songer à une nouvelle tournée de pintxos.

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