SCRIBOUILLART

Connu pour son banc aux inquiétantes ramifications, Pablo Reinoso, 56 ans, explore jusqu’à l’obsession les articulations entre design, architecture et sculpture. Dernière série en date : le  » scribbling  » ou l’art du griffonnage.

C’est un homme élégant et courtois qui vous ouvre la porte. Mais ne vous fiez pas à son apparence : Pablo Reinoso est un sorcier. Entre ses mains, les coussins deviennent des cages thoraciques qui se gonflent et se dégonflent au rythme d’une respiration presque humaine. D’un banc public, il torsade l’assise, incurve le dossier, liquéfie le corps d’origine pour en faire une plante carnivore qui grimpe le long des murs et se retourne sur sa proie. Cette dernière £uvre, d’une complexité technique folle, d’une beauté hallucinante, lui a apporté la célébrité.

Devant l’afflux de commandes qu’elle a engendré, l’artiste et designer franco-argentin aurait pu se contenter d’en produire jusqu’en 2055. Il n’en a réalisé qu’un petit nombre…  » J’adore l’idée de travailler sur des séries car elles permettent de voir évoluer une création au fil du temps. Mais j’avais épuisé mes gammes et j’ai eu envie de passer à autre chose. « 

Cet  » autre chose  » est visible dans son atelier sous la forme de maquette réduite. Il s’agit à nouveau d’un banc qui s’affranchit de son statut de siège pour finir en volutes démesurées. Mais cette fois-ci la référence n’est plus végétale…  » J’ai appelé cette série  » scribbling  » qui veut dire griffonnage en anglais. L’objet devient gribouillis. C’est un geste dépouillé de toute référence, comme une écriture primitive. « 

Pour voir ce banc en vrai, il faudra se déplacer en Grande-Bretagne où la sculpture, lourde de plusieurs tonnes d’acier et longue de quelques mètres, trône dans un parc. L’artiste s’apprête à en livrer une variation tout aussi monumentale pour un espace public en Suisse et une autre à Lyon. Mais le concept du  » scribbling  » ne concerne pas que le mobilier. Pablo Reinoso travaille selon le même principe sur un projet d’escalier, de maison sur pilotis et même de pont routier.  » Le  » scribbling  » peut s’appliquer avec rigueur à tous les domaines que ce soit l’architecture, la sculpture et le design.  » Trois disciplines qui l’obsèdent.

Pour elles, il a pris le risque de renoncer au confort quand en 2006 il quitte le groupe LVMH au sein duquel il fut pendant neuf années directeur artistique et créateur de flacons de parfum, entre autres pour Givenchy.  » C’était une période dorée, très confortable sur le plan financier. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans salaire mais c’était une rupture nécessaire. Aujourd’hui, je me concentre sur mon travail personnel sans que des cadres marketing me dictent ce que je dois faire… « .

Les commandes commerciales, il ne les accepte qu’au compte-gouttes en fonction du temps et de l’envie. Depuis sept ans, il collabore à la stratégie de marque de la Ligue française de football professionnel pour lequel il réalise également des trophées.  » Ils ont une ouverture d’esprit que j’ai rarement vue dans le monde du luxe, assène Pablo Reinoso. Et puis le ballon rond, en tant qu’Argentin, forcément cela me plaît. « 

Son pays d’origine ne lui a pourtant pas laissé que des bons souvenirs. Adolescent, il subit comme tous ses compatriotes le poids de la dictature. En 1979, au lendemain de son service militaire qui risque d’être prolongé, il prend la fuite, direction la France, la patrie de sa mère. Peu après son exil, l’aéroport de Buenos Aires est fermé. À Paris, il gagne une bourse pour étudier la sculpture sur marbre à Carrare. Le corps a très vite été une source d’inspiration. Il n’a pas 18 ans quand ses premières sculptures sur bois prennent les articulations humaines comme thème de recherche. Devenu jeune adulte, ce sera une étroite collaboration de maquettiste et photographe avec le chorégraphe Maurice Béjart. Et à l’âge de la maturité artistique, des sièges en forme d’os iliaque ou des coussins  » respirants « …

En trente-cinq ans de recherches, ce fils et époux de psychanalyste, marqué par Gaudí et la pensée structuraliste, n’a qu’une certitude :  » Il faut faire confiance à son inconscient. « 

ANTOINE MORENO

Il faut faire confiance à son inconscient.

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