On connaît les bienfaits physiques de la discipline : favoriser l’endurance, entretenir les muscles en douceur, protéger du vieillissement… Mais se balader a aussi un effet positif sur le moral et le bien-être mental.

C’est sans doute un des rares mouvements que l’on fait sans réfléchir. Une capacité physiologique, que l’on acquiert plus ou moins rapidement après la naissance, parfois même avant la parole. Nos pieds, nos jambes, l’un devant l’autre pour bouger, aller voir plus loin, parcourir et conquérir des contrées inexplorées… Cette fonction, qui a permis à nos ancêtres le nomadisme, a néanmoins perdu son rôle primordial :  » La marche, par sa lenteur et par la fatigue qu’elle entraîne, n’a pas cessé de représenter pour l’homme une contrainte dont il fallait se débarrasser par la richesse ou le progrès technique « , explique Frédéric Gros, professeur de philosophie à l’Université Paris-XII et auteur du livre Marcher, une philosophie(1). A contrario, redécouvrir aujourd’hui les avantages de cette activité, c’est prendre conscience que la vitesse, l’immédiateté peut être aliénante. Donner à manger à son bébé en lisant ses mails sur son téléphone, travailler sur son ordinateur tout en chattant avec une amie… En étant connectés partout et tout le temps, nous ne sommes plus réellement présents nulle part. La rupture qu’impose une promenade à pied dans notre rythme de vie nous permet une déconnexion salvatrice, voire une délivrance. Le rythme et la régularité des pas étirent le temps, qui semble ralentir, et permet une respiration plus ample. L’espace que l’on traverse paraît plus impressionnant et est vécu plus intensément, parce qu’on ne l’appréhende pas uniquement du regard, mais parce qu’il s’inscrit progressivement en nous : on en connaît concrètement les reliefs, les douceurs et les secrets.

A 36 ans, Céline, journaliste, revient de trois mois passés en solitaire sur le très couru chemin de Saint-Jacques de Compostelle.  » A vivre des semaines à 4 km/h, je me suis rendu compte que c’était en fait la vitesse nécessaire à deux personnes qui se croisent pour se dire bonjour, raconte la pèlerine. A ce rythme, on a le temps de constater le passage d’un animal au loin, de voir petit à petit le village qu’on veut atteindre grandir sous nos yeux… Le temps que l’on met pour se déplacer contraste avec l’effervescence de notre vie quotidienne.  »

UN NEZ, DEUX PIEDS

Le bien-être psychologique vient déjà du simple fait d’être dehors et de fouler le sol.  » On est trop souvent en hauteur, dans des bureaux, sur du béton… Sans entrer dans des considérations ésotériques, le fait de mettre les pieds au sol nous reconnecte au magnétisme de la terre dont nous avons besoin « , explique Christian Vrient, thérapeute et formateur en marche nordique. Cette occupation équivaut d’ailleurs à une séance de réflexologie plantaire : les points énergétiques chers à la médecine chinoise sont stimulés, ils rééquilibrent l’individu, produisant une sensation de bien-être. Une sensation renforcée par une respiration adéquate, à elle seule relaxante.  » Quand on se dépense en pleine nature, on nettoie ses poumons de l’air vicié accumulé à cause du stress, continue Christian Vrient. Plus on est sous tension, plus on respire haut dans la poitrine. Le monoxyde de carbone reste alors dans les poumons. Or, plus il stagne, plus il pollue le sang, et plus on est énervé.  »

Mais la marche présente un autre avantage : elle est tellement évidente qu’elle se fait inconsciemment. Elle occupe le corps sans trop d’effort, libère l’esprit et rend donc l’individu disponible à la pensée. Il est alors plus aisé de se connecter à son ressenti de l’environnement : l’odeur des sous-bois, le chant des oiseaux, la lumière particulière du soleil… Ces détails dont on prend conscience peuvent faire remonter des choses enfouies au plus profond de nous.  » Je me souviens très bien avoir marché 4 heures dans la campagne sous une pluie battante, d’avoir beaucoup pleuré à ce moment-là, alors qu’une heure avant, je me sentais légère et sans souci, se remémore Céline. Il y a comme une connexion entre nos émotions et les obstacles du sentier qu’on emprunte physiquement… Et on accepte ces contraintes parce qu’on ne doit voir personne après, on n’est pas obligé d’aller au boulot, on n’a rien d’autre à faire. Après une telle épreuve, on se sent nettoyé de pensées toxiques et disposé à vivre le moment présent.  »

UN RETOUR AUX SOURCES

Le masque social et les rôles imposés perdent alors toute utilité… Chacun se recentre sur ses propres valeurs et redécouvre la joie des plaisirs simples : manger, boire, dormir, se reposer. Ce retour à plus d’authenticité favorise aussi les relations humaines : trouver de l’eau, demander un abri, et par là, profiter des rencontres et des échanges.  » Sur la route, on est vulnérable. On ne peut pas faire autrement que d’entrer en contact avec les autres « , commente Céline.

Dimitri Haikin est psychothérapeute. Il consulte dans son cabinet mais également en Walk&Talk (2), c’est-à-dire lors de séances-balades, ici et ailleurs.  » J’organisais depuis longtemps des séjours de marche à l’étranger, dans le désert et la montagne, précise le spécialiste. Mais je me suis rendu compte qu’à Bruxelles aussi, mes patients avaient besoin de prendre l’air. Et je constate que le dialogue extérieur est bénéfique : il est plus éveillé, plus facile, parce qu’on est directement en contact avec ses émotions. Et puis, le fait d’être sur un chemin, d’avancer ensemble, donne de nouvelles perspectives aux problèmes, plus constructives. L’esprit est ouvert et la nature élargit le spectre des possibilités.  » De nouveaux horizons s’esquissent, tout redevient possible.

(1) Marcher, une philosophie, par Frédéric Gros, Carnet Nord.

(2) Dimitri Haikin, www.walkyourmind.com

PAR STÉPHANIE GROSJEAN

 » 4 km/h, c’est en fait la vitesse nécessaire à deux personnes qui se croisent pour se dire bonjour. « 

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