Erigée en bord de mer, Seattle est surplombée par de profondes forêts de conifères qui la cernent de toutes parts sur son flanc Est. Pour celui qui la découvre en voiture, la surprise est de taille quand soudain, l’Interstate 5 abandonne un écrin de verdure pour pénétrer dans un ensemble de hautes tours de verre et d’acier qui s’étagent à flancs de coteaux, avant de butter sur le front de mer, là où s’alignent les quais du port.

Bâtie sur une série de collines basses coincées entre un bras de mer à l’Ouest, la Puget Sound, et deux paisibles lacs d’eau douce, le Washington à l’Est et l’Union au Nord, Seattle bénéficie de la générosité de la nature. Pour mieux l’appréhender, il faut gravir les 185 mètres qui conduisent à la plate-forme futuriste de la Space Needle, une tour filiforme qui trône au c£ur du Seattle Center, là même où se déroula l’Exposition internationale de 1962 dédiée au xxie siècle. Au sommet, un restaurant pivotant offre une vue exceptionnelle sur toute la ville et ses environs, depuis les cimes enneigées de la chaîne des Cascades, dans l’Olympic National Park, jusqu’au port de Tacoma. Une ville verte et bleue, ponctuée de nombreuses collines arborées et creusée de vastes plans d’eau reliés par des canaux qui découpent la zone urbaine en petits îlots de verdure.

C’est à pied que l’on découvre le mieux la ville. On peut y déambuler des heures durant sans paraître suspect comme ce pourrait être le cas dans la plupart des grandes cités américaines où la voiture est reine. Sa topographie particulière, en forme de montagnes russes, n’est pas sans rappeler San Francisco, mais à une échelle plus réduite. Seattle a conservé malgré tout une taille humaine et se livre comme un livre d’images dont on tournerait les pages au fil de ses quartiers. De l’un à l’autre, les frontières sont étroites et laissent exploser bien des contradictions, entre une modernité arrogante et un exotisme bigarré, un souci de rentabilité et des préoccupations écologiques, une exigence trépidante et une ambiance détendue, voire même bon enfant.

Modernité et tradition.

Toujours en pleine expansion, Seattle a donné naissance à deux des plus célèbres Bill américains, des pionniers chacun dans leur domaine : Bill Boeing et Bill Gates. Elle compte aussi à son palmarès la chaîne des cafés Starbuck’s et Amazon. com, la première librairie en ligne. Ici, les nouvelles technologies se développent sans cesse et l’argent coule à flots.

Le centre de la ville multiplie les gratte-ciel audacieux pour y accueillir le siège social de différentes entreprises. Il abrite, aussi, toute une gamme de commerces aux vitrines branchées et une brochette des meilleurs restaurants de la ville. A midi, les bobos s’échappent des tours de verre pour venir grignoter un hamburger ou une salade composée, assis au soleil sur les gradins de marbre et de granit des grandes banques. Uniquement desservi par des navettes de bus gratuites, le centre a en effet, depuis plusieurs années, restitué la rue aux citoyens.

Tout près de la Pike Street, un marché haut en couleur attire les badauds : des poissonniers haranguent les clients en lançant les poissons au-dessus des étals. Fait rare aux Etats-Unis, la ville peut se targuer de proposer un véritable marché public. Durant la crise des années 1930, plus de 600 fermiers se rendaient chaque jour à Seattle pour vendre leurs produits. Le marché devait décliner après la Seconde Guerre mondiale. Il fut miraculeusement sauvé par la volonté des habitants de la ville et classé en 1971.

Une volée d’escaliers permet de joindre le Waterfront, une longue promenade en bois le long de Elliot Bay, où s’alignent les quais du port de Seattle, qui, pour la plupart, sont parsemés de boutiques de souvenirs où s’entassent des ribambelles d’objets plus inattendus les uns que les autres. C’est aussi le point de départ des nombreux bateaux qui desservent les îles au large de la baie. La plus connue abrite les derniers Indiens qui occupaient autrefois le site. Les autochtones du Tillicum Village ont bien intégré le sens des affaires à la mode américaine : ils savent comment satisfaire les rêves d’enfant des nombreux touristes, trop heureux de découvrir les totems qui émaillent l’île, d’assister à des danses tribales, ou encore à la cuisson traditionnelle du saumon, ouvert et grillé entier sur des piques de cèdre, au-dessus d’un feu de bois d’aulne.

L’invitation au voyage.

Des totems, il y en a encore au c£ur même de Seattle. Le plus célèbre, qui représente le buste du Chief Sealth, se dresse à Pionneer Square, le quartier historique. C’est ici qu’en 1852 s’installèrent les premiers colons, après une sévère bataille contre les Indiens qu’ils repoussèrent dans les îles. Ce totem a sa petite histoire : volé en 1890 aux autochtones de Fort Tongass, en Alaska, il fut brûlé par un pyromane en 1938. La ville envoya alors 5 000 dollars aux Indiens pour en sculpter un nouveau. Les Indiens empochèrent l’argent en guise de dédommagement pour… le premier totem et exigèrent un nouveau versement de 5 000 dollars pour exécuter la commande. Aujourd’hui, le Pionneer Square est aisément reconnaissable à ses immeubles de briques rouges occupés par des galeries d’art, des musées, des boutiques d’antiquaires, des librairies, des théâtres… Toutefois, ce n’est vraiment le soir qu’il s’anime avec des bars sportifs, dans les boîtes de rythm and blues ou de rock.

Ici, on est fier aussi des talents de Jimi Hendrix, ou de Kurt Cobain, le fondateur du groupe Nirvana et de la culture grunge, tous les deux natifs de Seattle. Aujourd’hui encore, Seattle se veut un peu rebelle. Ils sont nombreux à avoir déserté le centre-ville pour les rives du lac Union qui abrite un quartier de petites maisons flottantes où la vie s’écoule tranquillement. Ici on partage le poisson que l’on pêche directement depuis sa terrasse ou on se retrouve au bord des écluses qui relient le lac Union et le lac Washington. Construites en 1917 pour éviter que les eaux salées de l’océan ne pénètrent dans les lacs et n’endommagent l’écosystème, elles permettent de maintenir un niveau d’eau suffisant pour les activités de loisir et la promenade sur les ponts flottants. Mais le point de rendez-vous des habitants du lac, c’est le long de l’échelle à poissons, là où les saumons, venus des torrents de montagne se jettent dans le lac pour migrer vers la mer. Et c’est ici que pas moins de 500 000 d’entre eux entre juin et septembre reviennent pour frayer, attirés par l’eau douce.

Mais, le lac Union qui les a vu naître c’est aussi le théâtre incessant de décollages et d’atterrissages d’hydravions. Papillons rugissants, ils virevoltent dans le bleu du ciel, puis piquent légèrement du nez avant d’amerrir tout en douceur sur les eaux du lac, creusant derrière eux un large sillon d’écume.

Christiane Goor

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