La flamme romanesque est ranimée… Avec Le diable l’emporte,

l‘écrivain britannique Sebastian Faulks, choisi par les héritiers de Ian Fleming, relance, pour le plus grand bonheur des fans, les aventures de 007. Weekend a rencontré, à Londres, le nouveau père de James Bond.

Le 28 mai 1908 naissait Ian Fleming. Un siècle plus tard, la créature sortie de son imagination est devenue un mythe : l’espion le plus célèbre de tous les temps ; le mâle que tout homme rêverait d’être, que chaque femme aimerait séduire… On a pourtant tendance à l’oublier : avant d’être un héros de cinéma, James Bond 007 fut un personnage de papier. Et son créateur, admiré en son temps par Raymond Chandler et John Fitzgerald Kennedy, révolutionna le roman d’espionnage – à l’instar de ses modèles Eric Ambler et John le Carré. A la mort de Fleming, en 1964, Casino Royale, Dr No, Opération Tonnerre, On ne vit que deux fois et autres Goldfinger s’étaient déjà écoulés à 27 millions d’exemplaires, en dix-huit langues. Depuis, ses quatorze romans ont dépassé les 100 millions d’exemplaires et, statistiquement, un être humain sur deux a vu l’une de leurs adaptations au cinéma.

 » Un héros, un méchant, une femme fatale et voici le livre « , écrivit Fleming pour expliquer le phénomène jailli de sa propre expérience d’espion pendant la Seconde Guerre mondiale. La Grande-Bretagne fête le centenaire de ce monument national avec deux expositions londoniennes, dont une à l’Imperial War Museum, et une pléthore de publications, parmi lesquelles la réédition de l’intégrale de son £uvre (comprenant un livre pour enfants et deux recueils de reportages), les Mémoires de Miss Moneypenny et un passionnant essai de l’historien Simon Winder, James Bond, l’homme qui sauva l’Angleterre (Demopolis).

Autre événement très attendu : la sortie d’un roman que n’espéraient plus les adorateurs de James Bond : la suite de ses aventures… Entretenir la flamme romanesque revient désormais à l’écrivain britannique Sebastian Faulks, choisi par les héritiers de Ian Fleming. L’auteur du nouveau James Bond, Le diable l’emporte, a reçu Weekend à Londres, dans son bureau de Kensington, en jeans et baskets, sourire aux lèvres. Autour de son ordinateur, les portraits de Tolstoï et de Charles Dickens.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment avez-vous découvert James Bond ?

Sebastian Faulks : Tout d’abord en lisant les romans de Ian Fleming, lorsque j’étais à l’école, dans les années 1960. Un ami indien m’a parlé du personnage. J’ai vu les films ensuite. Concernant les romans, j’ai eu du mal avec Bons baisers de Russie. Je trouvais l’action trop lente. C’est le premier James Bond que j’ai lu. J’avais 12 ans.

Ces livres étaient pourtant interdits à l’école…

C’est vrai. Notre proviseur était très autocratique. Il exigeait de signer chaque ouvrage introduit dans l’enceinte de l’école. S’il ne le signait pas, il le confisquait et le renvoyait ensuite à nos parents. Il signait parfois des James Bond s’ils lui paraissaient respectables. Il fallait évidemment éviter les filles déshabillées en couverture.

Quel est, pour vous, le meilleur roman de Ian Fleming ?

J’adore Moonraker. Il est différent des autres. Le dénouement se passe en Angleterre. J’aime également Au service secret de sa Majesté – mais surtout certains passages car aucun James Bond n’est parfait. Dans quelques-uns, Fleming introduit une dimension de danger national qui me plaît. Si Bond n’agit pas, on frôle le conflit international. Mais le rythme est souvent trop lent. D’autres sont des histoires criminelles, comme Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir ou Goldfinger. Bond est alors un flic, il essaie de démanteler des gangs. Ces histoires sont plus enlevées, mieux rythmées. Mon ambition était de lier les deux styles, écrire une intrigue avec le rythme rapide des romans criminels, et traversée par la sensation de danger des romans d’espionnage de Fleming.

Pourquoi les héritiers de Ian Fleming vous ont-ils choisi ?

Je ne sais pas vraiment. Le groupe de personnes qui s’occupe des affaires littéraires de Fleming s’appelle Ian Fleming Publications Ltd. C’est l’une des responsables, Corinne Turner, qui m’a choisi. Elle aimait, paraît-il, mes livres et mon aisance à raconter des histoires en changeant d’époque.

Comment définiriez-vous le style de Fleming ?

Ce n’est pas très difficile à cerner. Mes études de littérature anglaise et d’analyse de textes m’ont bien aidé. En fait, Fleming écrit comme un journaliste. Les phrases sont courtes. Il y a peu d’adjectifs, peu d’adverbes. Il utilise beaucoup de verbes actifs. Bien sûr, il possède sa propre idiosyncrasie. Il se lance dans de longues descriptions lorsqu’il parle de trains, d’avions, de bateaux. Il décrit plus les machines que les femmes ! (2) Ce fut très facile de me fondre dans son style. Pour Le diable l’emporte, j’ai lu un article de Ian Fleming Comment écrire un thriller et cela m’a énormément aidé. Il y décrivait sa routine quotidienne et révélait son secret : écrire vite, à raison de 2 000 mots par jour. Il passait peu de temps aux corrections. Le truc, pour lui, c’était d’écrire coûte que coûte, garder le rythme, ne pas s’arrêter. Il achevait un James Bond en six semaines. J’ai suivi ses consignes : j’ai écrit 2 000 mots par jour et j’ai rédigé mon roman en six semaines.

Vous évoquez Sarcelles au début de votre livre. Vous connaissiez ?

Mon éditeur français m’a renseigné. Je cherchais, pour mon intrigue – qui se déroule dans les années 1960 -, une banlieue parisienne célèbre à l’époque. Il m’a proposé trois lieux. J’ai regardé sur une carte et j’ai choisi.

Et êtes-vous allé en Iran, toile de fond de ce roman ?

Pas encore. Je me suis promis d’y aller. Je n’avais pas le temps nécessaire lorsque j’écrivais. Il y a une ville, à la frontière avec l’Afghanistan, où se déroulent les échanges de drogue. Sur le Net, j’ai trouvé un petit film incroyable tourné là-bas. Quelqu’un marchait dans les rues, une caméra à la main. J’ai pu tout voir, les habitants, les maisons, entendre les sons… La seule chose qui manquait était l’odeur : peut-être des senteurs d’opium, de poussière, d’oranges…

Pourquoi avoir choisi l’Iran ?

Je voulais avant tout un pays non utilisé par Ian Fleming. Il me fallait un peu d’originalité. Je ne pouvais pas choisir le Japon, par exemple. Fleming n’aimait pas du tout le Moyen-Orient, ce qui est surprenant car dans les années 1960, le Liban, par exemple, était un endroit considéré comme  » glamour « . J’ai voulu que mon roman se déroule dans un pays intéressant à l’époque, mais également aujourd’hui. L’histoire se passe en 1967 et l’Iran d’alors était en paix. On y parlait de voitures, de discothèques, de cocktails. Les femmes n’étaient pas voilées. Quarante années se sont écoulées depuis. Les lecteurs vont se dire :  » Ah bon, l’Iran c’était comme ça ? Waouh !  » Il y a aussi l’Union soviétique. Bond avait déjà effectué un bref séjour en Russie. J’ai voulu le replonger dans ce pays, montrer à quel point c’était dangereux pour lui, en pleine guerre froide. C’est une contrée si vaste. Même si les jeunes lecteurs ne se souviennent pas du communisme, ils savent toutefois que la Russie est un pays menaçant, puissant et imprévisible, où règne le crime. Si vous demandez à un politicien occidental quels sont les pays qu’il redoute le plus au monde, la Russie et l’Iran arriveront en tête de ses réponses. C’est pour cela que je les ai choisis.

Pourquoi avez-vous situé l’action dans les années 1960 ?

Quand j’ai commencé à écrire, j’ai eu du mal à situer mon récit dans le monde contemporain. La raison principale est le style que j’ai décidé d’employer. Mais il faudrait peut-être demander à un psychanalyste pourquoi j’ai ce besoin de raconter une histoire au passé, de remonter le temps… Le premier de mes livres situé dans un passé lointain fut The Girl at the Lion d’or ( NDLR : non traduit en français). Il se déroule en 1936 et raconte l’histoire d’une jeune serveuse dans un hôtel français. Une bonne partie de mes livres se situent d’ailleurs en France. On me demande souvent pourquoi. Là non plus, je n’ai pas vraiment de réponse.

Comment expliquez-vous le succès des romans de Fleming ?

Ils ont été publiés à la fin des années 1950. On sortait de la Seconde Guerre mondiale, du rationnement alimentaire. Fleming offrait donc des expériences nouvelles, auxquelles les gens ne pouvaient avoir accès. A l’époque, les Anglais ne voyageaient pas sur de longues distances, on ne connaissait pas encore les  » offres de vacances « , avec vol et hôtel à la clé. Les lecteurs des James Bond avaient envie d’évasion, de partir à l’étranger. Ils buvaient de l’alcool bon marché, dans des pubs sinistres, ne sortaient pas avec des filles splendides et ne pouvaient s’offrir un billet d’avion. Or Bond faisait tout ça à leur place. Il brûlait la vie par les deux bouts. Et puis, il incarnait une sorte d’idéal pour les hommes et les femmes de l’Angleterre d’alors. Ses aventures étaient excitantes. Il y a enfin un dernier aspect : son incarnation à l’écran. Des millions de jeunes gens vont voir Daniel Craig sans avoir la moindre idée de qui est Ian Fleming. Au Japon, au Venezuela, en Irak, ils n’ont sans doute jamais entendu parler de cet auteur mais ils connaissent tous James Bond.

Pensez-vous que 007 soit typiquement  » british  » ?

L’Empire britannique a produit des individus tellement différents qu’il est difficile de répondre. Mais je ne crois pas. Bond est un homme plein de ressources, qui peut se sortir de n’importe quelle situation. C’est aussi un homme très loyal et un bon vivant. Si vous pensez que ces caractéristiques peuvent s’appliquer aux Anglais, alors je vous répondrai oui.

Certains pensent que James Bond est politiquement de droite…

Je suis assez d’accord. Si Bond avait pu voter en 1964, il aurait probablement voté conservateur. Ses attitudes sociales ne sont pas celles d’un libéral. Il a une façon presque démodée d’approcher les femmes, n’est pas très ouvert sur l’homosexualité. Et il juge certains pays douteux. Il n’a jamais exprimé aucune couleur politique mais il est, c’est flagrant, plutôt de droite.

Et vous, vous situez-vous plus à gauche ?

Pas spécialement. Aux dernières élections, j’ai voté pour le Parti libéral-démocrate parce qu’il était le seul à être hostile à la guerre en Irak.

Quel acteur incarnant James Bond avez-vous préféré au cinéma ?

Sean Connery est de très loin mon favori. Et j’aimais bien la musique du générique. C’était le début de l’aventure. On savait enfin qu’on y était, pour 90 minutes de plaisir. Je n’ai pas vu les films avec Pierce Brosnan mais le dernier, avec Daniel Craig, je l’ai trouvé très bien. La chronologie est maintenant brisée. Ce qu’ils ont fait est intelligent. Ils ont modernisé le héros. Sean Connery, puis Roger Moore, sont deux images classiques de Bond. Pierce Brosnan restait dans la continuité. Avec Daniel Craig, on passe à quelque chose de radicalement différent. L’homme est petit, costaud – son corps n’est pas naturel, il doit passer des heures dans les salles de musculation. C’est visiblement un film destiné aux adolescents. Ils découvriront avec surprise qu’il existe également des livres sur James Bond.

Quelle différence apportez-vous par rapport aux films ?

Le personnage a évolué depuis ses débuts. Aujourd’hui, il appartient plus au monde de la bande dessinée qu’à la littérature. Il a rejoint le rang des superhéros, avec les gadgets, les effets spéciaux… Il est devenu une sorte de Batman ou de Superman. Moi, j’aime avant tout la vulnérabilité de James Bond. Pas le fait qu’il soit un héros. Je l’imagine habillé normalement, sans arme sophistiquée. Je lui ai donc redonné sa dimension humaine, avec ses faiblesses, tel qu’on le trouvait dans les romans de Fleming, à qui j’ai voulu rendre hommage.

Le livre est une commande : quelle est la nature de votre contrat ?

Un avenant avec les héritiers de Fleming stipule que je partage avec eux à 50 %. Et mon agent touche 20 % sur mes droits. Si vous voulez savoir quel est le montant de mon à valoir, il varie évidemment selon les pays : 4 000 £, 6 000 £, 3 000 £, 4 000 $… (5 000, 7 500, 3 750, 2 535 euros). Ce livre est vendu dans plus de pays que mes autres romans mais les avances perçues sont plus petites.

Si Le diable l’emporte est adapté au cinéma, quelle actrice choisiriez-vous pour le rôle de Scarlett, votre James Bond girl ?

Si vous avez une idée, je suis preneur… Personnellement, j’imagine une brune, un peu dans le genre de Sophie Marceau.

Aimez-vous le martini ?

J’apprécie beaucoup. J’ai découvert cette boisson à New York. J’aime bien l’alcool – mais j’ai arrêté de fumer. Dans mon roman, je fais beaucoup boire Bond. Il a toujours bu du whisky, du gin, de la vodka et du martini. Mais dans Le diable l’emporte, il boit du vin, ce qui est une première.

Votre contrat d’édition concerne-t-il un seul James Bond ou une série à venir ?

Mon contrat avec Penguin concerne seulement Le diable l’emporte. De toute façon, je n’ai pas envie d’en écrire d’autres. Ce serait préjudiciable à ma carrière.

Et si, en cas de succès, on vous demandait une suite ?

Je pense que je répondrais non.

Quel auteur voyez-vous poursuivre les aventures ?

Il faudrait surprendre, avec un écrivain en apparence très différent de l’univers de James Bond… Pourquoi pas Salman Rushdie ?

(1.) Le diable l’emporte (Devil May Care), par Sebastian Faulks, d’après Ian Fleming, traduit de l’anglais par Pierre Ménard, Flammarion, 356 pages.

(2.) Fleming collectionnait les livres techniques.

Propos recueillis par Tristan Savin

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