Parfumer les plats pour titiller nos sens « olfacto-gustatifs », Christophe Chabaud en a rêvé. Il a osé. Découvrez ses « épices de parfums » aux pouvoirs gourmands et envoûtants.

C’est l’histoire d’un savant un peu fou. Christophe Chabaud, 35 ans, parfumeur de formation, a mis au point la première ligne d’arômes… alimentaires. Un concept totalement inédit qui bouleverse tous nos préjugés culinaires. Après avoir conçu, au milieu des années 1990, des fragrances d’ambiance domestiques – eau de linge, bougies, pierres parfumées, encens – il s’essaie un jour, un peu par hasard, dans son salon de thé de Montpellier, à de nouvelles saveurs. « J’y ai proposé avec Sophie, mon épouse, des chocolats à la violette et quelques plats parfumés au jasmin. Les clients ont apprécié et m’ont encouragé à développer d’autres arômes. Je me suis pris au jeu sans savoir où cela me mènerait… »

Trois ans et demi après les premiers essais, Christophe Chabaud et ses complices laborantins ont développé une gamme de quelque 35 essences diffusée en France, en Italie, en Suisse et en Belgique. Commercialisés sous la forme de petits vaporisateurs protégés dans un étui blanc, les « épices de parfums » consacrent définitivement la rencontre de l’olfactif avec l’univers de la cuisine. Une trentaine d’essences pour évoquer tour à tour les fleurs (rose, jasmin, lavande, mimosa, chèvrefeuille, genêt, fleur d’oranger, lierre, violette), les agrumes (citron vert, bergamote, pamplemousse, orange), les épices (cannelle, badiane, safran, muscade), les fruits (fraise des bois, framboise, pêche, mangue), les herbes (menthe, coriandre, basilic, origan), les fruits secs (pistache, amande, noisette, pigeon) ou ce que Christophe Chabaud nomme la famille des gourmands (miel, chocolat, vanille, moka). De quoi enrichir notre palette olfactive qui peut distinguer jusqu’à dix mille « teintes » différentes.

« Les épices de parfum rendent possible la réalisation de préparation extrêmement subtiles et raffinées », explique Christophe Chabaud dans « Le goût du parfum » (aux éditions Equinoxe), un ouvrage consacré récemment à son travail. « La rose évoque l’Inde, la fleur d’oranger les fastes de l’Orient, la badiane la Chine. Ils apportent leur présence parfumée aux compositions culinaires, où l’équilibre des goûts, des parfums et des matières se répondent, participant ainsi à la poésie éphémère de la cuisine. »

Un concept que notre « nez » a pu concrétiser grâce aux avancées techniques en parfumerie qui permettent d’obtenir des matières aromatiques ultraqualitatives. Sous l’action de nouveaux solvants volatils ou du C02 supercitrique, les solutions gagnent en fidélité et en réalisme olfactif. La plupart des parfums sont obtenus par distillation; d’autres sont reconstitués artificiellement. « C’est le cas du lierre ou du chèvrefeuille qui à l’état naturel sont toxiques et sont donc inutilisables tels quels. La violette, elle, est recomposée à partir d’extraits de citronnelle. » La pression d’un petit vaporisateur -ce geste d’ordinaire réservé à l’intimité du corps – au-dessus des plats entraîne cependant quelques réticences… Il y a des peurs, parfois un rejet très fort de la clientèle, c’est vrai… La manipulation des molécules est interprétée comme « un truc chimique », dans le plus mauvais sens du terme. C’est ridicule mais je vous rassure il y a aussi des réactions très positives. Il suffit de se servir des parfums comme des épices. » Avec méthode et minutie.

« L’intégration du parfum dans les préparations doit se faire progressivement et dans des proportions adaptées », souligne Christophe Chabaud. « Si le jasmin, la framboise ou le safran sont de puissants arômes qu’il faut manipuler avec précaution, le chèvrefeuille, la bergamote ou la mangue se caractérisent par leur douceur. L’art de la cuisine des parfums est un art de correspondance et d’accords. Le gingembre ne serait pas tout à fait le gingembre sans sa note poivrée, le jasmin sans sa facette vanillée, l’orange sans ses notes boisées de cardamome et de cannelle. » Et le créateur d’ inviter à se servir des « épices de parfum » pour souligner une note, comme on souligne au crayon le contour d’un oeil, permettre des assemblages inédits, oser des constructions aromatiques impensables. « L’essence de mimosa développe une note boisée d’acacias et une facette poudrée d’héliotropine qui lui confère un raffinement délicat et incomparable », précise notre spécialiste, grand amateur de salade au vinaigre de genêt et de mousse de fruits parfumée à l’essence de rose. « L’arôme très riche du safran, pour prendre un autre exemple, expire des notes florales légères, un coeur de réglisse et un fond de résineux oriental. C’est aussi l’évocation de l’Inde des épices ou de la cuisine de l’Espagne. Subtilement dosé, il donne une couleur exotique à de nombreux desserts. Et il peut s’accommoder parfaitement à d’autres épices, comme le gingembre. »

Dans ses ateliers de Montpellier, où il reçoit chaque semaine de Grasse, la ville des parfums, les matières premières pour ses préparations, Christophe Chabaud pense déjà à de nouveaux horizons « olfacto-gustatifs ». « Je viens de mettre au point des parfums qui résistent à la cuisson, confie-t-il. J’en suis très fier. Il faut se dire que nous ne sommes encore qu’à la préhistoire de la rencontre entre le goût et l’odorat. »

Texte et photos: Antoine Moreno [{ssquf}], Carnet d’adresses en page …,

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