Singes verts, oiseaux migrateurs, génie de la pluie… Le delta du Sine-Saloum réserve mille jolies surprises aux familles en quête d’émotions fortes. Récit de voyage.

La nuit tombe peu à peu sur Dakar. Sur le marché Casamance, quelques femmes vendent encore, sous la halle, du vin de palme et du miel. Effluves de crevettes et de mérous séchés, pêle-mêle d’épices et de fruits doux-amers…

Dakar, ville métisse qui ouvre les portes du voyage. Le nôtre nous mènera, cinq jours durant, dans la somptueuse région du Sine-Saloum, au nord de la Gambie. C’est un dédale d’îles et de bras de mer. Une aire sous influence, où génies et pangol (âmes des ancêtres) chuchotent d’étranges messages. Pour gagner le delta, il faut commencer par suivre la route jusqu’à Toubakouta. A bord des deux minibus, petits et grands achèvent de faire connaissance. Une complicité se crée au fil des nids-de-poule, le spectacle des hommes accrochés aux échelles des Ndiaga Ndiaye – les bus locaux – ravit les enfants. Quelle agilité ! Quelle indolence dans l’effort ! On détaille les boubous, les coiffures des fillettes aux cheveux si joliment nattés. La ville de Kaolack est notre dernière halte citadine avant de nous immerger dans la brousse et la mangrove. Les baobabs nous serviront ensuite de boussole. Nous allons camper sous la tente, chaque soir dans un lieu différent. Le jour, nous serons en pirogue pour naviguer d’une île à l’autre, au rythme des marées et du soleil. Baignades, séances de pêche, haltes chaleureuses dans les villages feront partie du programme quotidien. Avec, en plus, quelques heures de randonnée à pied sec, dans la brousse.

Le tout premier bivouac se trouve à Dassilame Sérère, le village de Pape, notre guide local. Très impliqué dans la sauvegarde du delta du fleuve Saloum, classé en 1981 réserve de biosphère par l’Unesco, Pape milite pour un écotourisme intelligent. Lagunes et cordons sableux racontent les marées qui rythment la vie des habitants, l’océan qui gagne peu à peu sur les fleuves.  » Comment s’appelle ce fruit ? » interroge Louise, 12 ans, en pointant une énorme gousse tombée d’un baobab. Pressé, transformé en jus épais, le pain de singe révélera plus tard son goût sucré. Stylo et carnet à la main, les plus grands jouent les botanistes en herbe. Tout les passionne : un carré potager, avec ses pépinières de tomates et d’oignons ; un champ de mil. La première douche, avec un broc et en plein air, est une vraie leçon de choses : dans la région du Sine-Saloum, là où se rencontrent les deux fleuves, l’eau ne se gaspille pas. Autres  » travaux dirigés  » : apprendre à reconnaître le glapissement du chacal et le rire de la hyène. En fin d’après-midi, le campement a pris des allures pimpantes. Les tentes sont disposées en hémicycle, et les lampes frontales dessinent sur le sol des halos rassurants. Une bouteille de bordeaux achève de souder les troupes, quelques enfants décident même de faire tente commune… L’excitation a pris le pas sur la timidité.

Le vrai bout du monde nous attend le lendemain. Le minibus laisse place à la pirogue. Une pirogue dont les couleurs, jaune, rouge, bleu, claquent comme une oriflamme. Fatou, la cuisinière, joue les figures de proue. Sans souci des embruns, elle pile le mil, épluche les aubergines amères à l’aide d’outils rudimentaires. Petits et grands admirent sa dextérité tout autant que son chignon tressé, sur lequel des dessins ocre tracent des manières de hiéroglyphes.

Dîners sur la natte, nuitées à la belle étoile, baignades et promenades en charrette se succèdent. Chaque île amène sa moisson de surprises et sa partition énigmatique. D’abord Missirah et son fromager, ou kapokier, légendaire.  » Pourquoi est-il célèbre ? » interroge la petite Milva.  » Il possède des pouvoirs magiques, on dit par exemple que les femmes sur le point d’accoucher doivent en parcourir la circonférence pour favoriser l’expulsion du bébé « , précise Pape. Sûr sûr ? Sait-on jamais, trois petits tours et puis s’en vont, histoire de se mettre les génies dans la poche… Plus au nord, Niodior découvre ses étranges amas coquillés, monticules d’arches ( » pagnes « ) et d’huîtres formés au cours des ans par les insulaires. Pour l’atteindre, nous franchissons le pont de la rivière Kwaï local : un ouvrage fait de vieux morceaux de pirogues et de bois de rônier. Le pont est bas et l’eau, peu profonde, mais le c£ur bat tout de même un peu la chamade… La découverte de Bétanti, village peuplé de Mandingues (l’une des nombreuses ethnies du pays), réserve au petit groupe de nouvelles émotions : chaque toubab (Blanc) est examiné à la loupe, car, dans ce bourg, peu d’habitants ont voyagé. Par contraste, la plage bordée par l’Atlantique semble un paradis vierge, hanté par les seuls singes verts et les crabes violonistes.

D’île en île, de pique-nique en bivouac, le groupe établit sa cartographie du proche et du lointain. Proche : les écoliers modèles, répondant en français aux questions du maître. Lointain : le mode de vie autarcique des îliens et les croyances des Sérères, qui vénèrent Roog Sène, le dieu universel, et Kauk, le génie de la pluie. Notre voyage se fait un peu plus aventureux. Il y a les épineux, qui égratignent les jambes, les plages où l’on accoste, avec de l’eau jusqu’aux cuisses, et ce potopoto (la vase) dans lequel il nous faut progresser, au milieu de la mangrove. Ah ! ce potopoto, comme il invite aux fous rires ! De temps à autre passe une pirogue, avec des hommes chaussés de grandes bottes. Ils viennent ramasser les huîtres sauvages, accrochées aux racines des palétuviers, ou pêcher la carangue avec leurs filets. Silence. Les plus bavards se font soudain  » taiseux « . Un pélican prend son envol ; des aigrettes pavoisent ; perchée sur une branche, une sterne caspienne joue les belles endormies.

Thérèse Rocher

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